Andsnes et Chamayou interpellent la démarche ultime à 4 mains de Schubert et la confrontent aux improvisations libres de Kurtág
Etrange mais fascinante confrontation que le programme de ce concert.
D’une part, les chefs d’œuvre à quatre mains du dernier Schubert de l’année 1828 où le compositeur interrogent les formes classiques du rondeau, de l’allegro et de la fugue pour leur donner leur force extrême tout en insufflant à sa Fantaisie D.940 une vigueur, en totale contraste avec la douceur la plus ineffable, qui assume pleinement l’esprit imaginatif d’une authentique « Fantasia ».
D’autre part des extraits des Játékok, ces courtes pièces où Kurtág entend retrouver l’esprit d’un enfant pour qui le piano signifie encore un jouet dont il use pour créer des sonorités qui sont pour lui autant de découvertes. Cet apprentissage de la musique de l’intérieur plutôt qu’à partir du formalisme des pages écrites à des fins pédagogiques, le compositeur les a réunies en neuf volumes séparés dont les IVe et VIIIe sont confiés dédiés au piano à quatre mains. Kurtág et sa femme Marta ont beaucoup joué ces courtes pièces en public, en solo ou à deux, en même temps que les transcriptions de Bach réalisées par György Kurtág.
Une confrontation éprise de liberté
Ce sont ces deux univers que Andsnes et Chamayou ont résolu de confronter, commençant les deux parties du concert avec une page de Schubert, le Grand Rondeau D.951 et la Fugue en mi mineur D.952. Ensuite chacun des deux pianistes nous proposent 5 Játékok, d’un pouvoir expressif très varié pour enchaîner sur des lectures complices de trois pièces à quatre mains pour terminer par une grande page de Schubert qui, chaque fois, bénéficie d’une lecture très impliquée, nourrie par des accords savamment tranchés qui donnent un poids renouvelé à des pages souvent abandonnées à l’anecdote de leur fraicheur rhétorique.
Les deux pianistes se font en effet un point d’honneur d’offrir aux notes une résonance affirmée qui construit le propos et érige de véritables monuments sonores dans la fougue virile de l’Allegro D.947 ou dans les méandres hallucinés d’une Fantaisie D.940 qui assume avec éclat tous les emportements que permet le genre. Au sein de ce discours d’une rare densité, l’auditeur est captivé par l’engagement solidaire des deux pianistes dont les moindres inflexions semblent dictées par le message énoncé par leur compagnon.