Scènes et Studios

Que se passe-t-il sur les scènes d’Europe ? A l’opéra, au concert, les conférences, les initiatives nouvelles.

Goran Filipec, Chopin en perspectives 

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Le pianiste Goran Filipec construit une discographie de haut vol où prédomine des œuvres de Liszt. Pour le label Naxos, avec lequel il collabore depuis de nombreuses années, il fait paraître un nouvel album consacré à Chopin. Goran Filipec apporte un regard neuf sur le compositeur au travers d’un album remarquablement pensé. Goran Filipec répons aux questions de Crescendo Magazine. 

Cet album est le premier de votre belle discographie qui est consacré à Chopin. Pourquoi enregistrer Chopin à ce moment de votre carrière ? 

Chopin faisait toujours partie de mon répertoire. Je l’ai joué beaucoup en concert, mais, comme il y a un grand nombre d’enregistrements de ses œuvres, je n’étais pas particulièrement attiré par l’idée de l’enregistrer. En outre, on trouve quelques enregistrements vraiment exceptionnels des œuvres de Chopin, et je me réfère surtout aux enregistrements historiques. La proposition qui m’est arrivée de M. Klaus Heymann fondateur de Naxos, a réveillé mon enthousiasme et je me suis lancée dans ce projet en essayant de retrouver la fraîcheur dans ces morceaux beaucoup joués, et de contextualiser le répertoire d’une façon qui n’est pas neuve, vu qu’elle date des siècles précédents, mais qui est pratiquement oubliée aujourd’hui. 

Votre album propose les Ballades et les Scherzos et quelques Préludes. L'œuvre de Chopin est vaste, mais pourquoi avoir choisi ces partitions précisément et pas d’autres ?  

Le programme m’a été suggéré par la maison discographique, et j’ai apprécié la suggestion car elle était pertinente. Il y a une correspondance entre les Ballades et les Scherzos au niveau des périodes où ces morceaux ont été composés. Ce sont des morceaux de forme moyenne qui dans le contexte d’un programme communiquent très bien entre eux. 

Sur cet enregistrement, les œuvres mêlent formant un parcours mélangé, avec des Préludes parsemés au fil de l’album, comme des points d'équilibre.  Comment avez-vous conçu ce voyage à travers ces partitions de Chopin ?  

Pour chaque Ballade, chaque Scherzo et la Fantaisie, j’ai choisi, comme introduction, une Prélude du compositeur qui pourrait correspondre à ces morceaux au niveau de tonalité, texture, ou de caractère. Chopin n’a jamais joué les Préludes comme un cycle, mais il les jouait comme introduction aux formes plus grandes, comme les Ballades. La pratique de préluder avant les grands morceaux était habituelle au 19e siècle, et ces miniatures ont été conçues dans l’esprit des préludes de l’époque. Souvenons-nous des Préludes de Clara Schumann ou de Kalkbrenner.  Le programme dans sa totalité a finalement résulté trop long pour un CD, et l’éditeur a décidé de le découper, et de publier en forme numérique ce qui ne rentrait pas dans le disque.  

Les JM ont 85 ans et lancent « Ode aux lendemains », un spectacle-appel à la résistance

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C’est en octobre 1940 que sont créées à Bruxelles les Jeunesses Musicales, un mouvement qui gagnera après-guerre une dimension mondiale. A cette occasion, les JM programment « Ode aux lendemains », un spectacle qui rejoint le thème fondateur de résistance à la base de leur fondation en 1940. L’intuition du fondateur Marcel Cuvelier n’était-elle d’organiser un mouvement qui allait rassembler tous les jeunes du pays autour de ce grand idéal qu’était la découverte de la musique classique du monde entier ? Son but : faire jaillir une flamme d’espoir et entretenir la force de la musique pour unir, apaiser et inspirer. L’urgence de cette démarche est plus que jamais d’actualité aujourd’hui.

L’organisation de ce spectacle représente aussi un juste retour à la démarche fondamentale des Jeunesses Musicales : faire partir le mouvement des jeunes eux-mêmes, en faire leur chose, longtemps illustrée par la démarche fondamentale des délégués, ces intermédiaires jeunes eux-mêmes entre les membres et les organisateurs. « Ode aux lendemains », qui est soutenu par toutes les équipes des Jeunesses Musicales et l’équipe pédagogique de l’OPRL, part du travail de 140 jeunes de 5e et 6e, issus de huit écoles d’horizons très différents. Cette création collective est portée par Fabrice Murgia, à coup sûr, le metteur en scène belge le plus innovateur et par le compositeur arrangeur Gwenaël Mario Grisi, très remarqué lors de sa résidence à l’OPRL. Elle est basée sur une série de grandes œuvres, de l’« Hymne à la joie » de Beethoven à « Romeo et Juliette » et sur des textes écrits et chantés par 140 jeunes de 5e et 6e. Le tout dirigé par Laurent Zufferey.

Au festival Ex-Tempore de Leipzig

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Le 9ème Festival d’improvisation de musique ancienne Ex-Tempore s’est tenu à Leipzig du 2 au 5 octobre 2025. Il conviait le public à quatre concerts très variés, trois journées complètes de masterclasses /ateliers avec 11 professeurs ainsi que deux soirées de Jam Session « après concert » ouvertes à tous dont la première était dansée. 

Venise 1625 était le titre du concert d’ouverture du jeudi 2 octobre dans la Alte Börse de Leipzig. L’ensemble all’improvviso et la soprano Viola Blache nous ont offert des interprétations uniques d’œuvres de Claudio Monteverdi, Francesco Cavalli, Alessandro Grandi et Heinrich Schütz — des versions qu’on n’entendra qu’une seule fois, car elles étaient magnifiquement improvisées.

Jamais je n’avais ressenti avec autant d’évidence le lien rhétorique entre la musique et le texte dans ce répertoire italien du début baroque. Ce soir-là, il s’est déployé avec une force et une justesse saisissantes.

Le premier air, Quel sguardo sdegnosetto de Monteverdi, basé sur une chaconne, a été interprété avec une originalité remarquable. Là où les trois strophes sont habituellement enchaînées, nous avons eu droit à de véritables improvisations instrumentales insérées entre elles, chacune construite sur la chaconne, venant souligner et approfondir le jeu amoureux exprimé par le texte. Un rendu d’une grande finesse.

La soprano Viola Blache manie sa voix et ses diminutions avec la même agilité que les dessus instrumentaux. Sa parfaite maîtrise de l’interprétation historique lui permet d’improviser des ornements nombreux, toujours expressifs, sans jamais les alourdir par un vibrato excessif — ce travers fréquent chez des voix trop puissantes ou trop tendues pour ce répertoire.

Dans Et è pur dunque vero de Monteverdi, les ritournelles — à la flûte comme au violon — prenaient une saveur toute particulière. Martin Erhardt excelle à la flûte à bec, à la fois comme interprète et improvisateur, tout comme Michael Spiecker au violon, Christoph Sommer au théorbe avec son jeu tout en écoute et en résonance, et bien sûr la très subtile violiste Miyoko Ito, elle aussi improvisatrice hors pair.

Grégor Chapelle lance la troisième phase de développement de la Music Chapel

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La Music Chapel (anciennement Chapelle Musicale Reine Elisabeth) étend à partir du 1er janvier 2026 ses activités au domaine d’Argenteuil afin de créer un campus musical international au sein de la nature.  Six mois de travaux d’aménagement précéderont l’installation des premiers résidents en septembre 2026. Une période d’analyse de trois ans permettra ensuite de définir les paramètres de bon fonctionnement de l’institution rénovée.

Pour faire le point sur cette opération, nous avons rencontré Grégor Chapelle, le CEO désigné de la Chapelle après le décès de Bernard de Launoit.

Selon lui, on peut répartir l’histoire de la Chapelle Musicale sur trois grandes périodes. La première s’étend de 1939 à 2004 : c’est l’époque où la Chapelle destinée aux jeunes musiciens belges s’organise selon le schéma préparé par Ysaÿe et mis en œuvre après sa mort sur la supervision de le Reine Elisabeth. L’objectif est d’offrir aux jeunes musiciens un lieu de travail et de réflexion qui permette une grande concentration tout au long de l’année.

La deuxième phase qui commence en 2004 est celle de l’internationalisation qui répond à une réalité nouvelle de l’enseignement de la musique. Elle a été portée à bout de bras par Bernard de Launoit. On fait appel à des maîtres réputés internationalement (Dumay, El Bacha, Van Dam) qui seront rejoints au fil du temps par des artistes du calibre de Gary Hoffman, Louis Lortie ou Frank Braley. On multiplie les master classes et les contacts avec d’autres institutions internationales. Le nombre de jeunes artistes en résidence ne cesse d’augmenter, ce qui implique la disponibilité de nouveaux locaux. Bernard lance alors le projet de construction de l’aile de Launoit qui est une grande réussite.

Aujourd’hui, la Chapelle est reconnue comme un lieu d’excellence international. Mais son succès ne va pas poser quelques problèmes. Quand je suis arrivé en 2024, on avait atteint les 80 artistes en résidence. Avec pour effet que celle-ci changeait un peu de structure. Sur les 20 studios disponibles, 10 sont occupés de manière permanente, les 10 autres étant mis à disposition sous forme de rotation entre classes d’instruments. Dumay arrive-t-il que tous les violonistes convergent et qu’il faut les héberger mais ce sera pour les remplacer très vite par les pianistes dès l’arrivée de Frank Braley. Le rythme est donc infernal et ne permet pas toujours les rencontres latérales entre disciplines, ni la pratique en profondeur de la musique de chambre que préconise le projet. De plus, la Chapelle a traversé quatre années difficiles avec l’assaut du COVID en 2020/1 et la maladie de Bernard qui se déclare en 2022 et l’emporte en mars 2023. La Chapelle n’a plus de CEO mais est gérée avec un bel engagement par les équipes en place. Aujourd’hui, on peut dire qu’elle rentre en vitesse de croisière. Mais elle doit définir un nouveau business plan pour absorber les problèmes déjà connus.

Notre situation est très différente de celles de nos concurrents directs : en Allemagne, Kronberg bénéficie d’un très gros soutien public et, aux Etats Unis, Curtis, Colburn et Julliard disposent d’endowment funds colossaux qui vont de 200 millions à un milliard de $. Le budget de la Chapelle, lui, est financé à concurrence de 10% par des subsides publics et pour le solde par des supports privés (mécènes et sponsors).

Émotions raveliennes

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Ça se présentait bien ! 

Iasi (prononcez Iache) est la deuxième ville roumaine, une métropole universitaire bien connue du millier d’étudiants français qui y fréquentent assidûment facultés de médecine et de stomatologie ; ancienne capitale ; ville de culture. La Philharmonie est une institution reconnue comme l’une des meilleures du pays avec un orchestre symphonique que je dirige régulièrement chaque saison. Au menu de nos récentes retrouvailles, un beau programme Ravel. Tout se présentait bien. Mais…

Quelques jours avant la première répétition, la seconde harpiste fait défaut. Il n’y a qu’à la remplacer, penserez vous. Oui, mais yaka ne fonctionne pas toujours. Car si, en nos terres hexagonales, les harpistes sont légion et se disputent les parts de marché, dans d’autres pays ce n’est pas nécessairement le cas. Bien sûr, il y a toujours une (ou un) harpiste à l’effectif permanent de tous les orchestres symphoniques, mais pas deux. Pourquoi ? parce que le répertoire qui nécessite deux harpes est assez réduit. Et quand il en faut deux, on engage un musicien ou une musicienne supplémentaire. Mais que faire en cas d’indisponibilité de dernière minute de cette musicienne supplémentaire dans un pays où l’offre est réduite ? pas besoin d’être Prix Nobel d’économie pour comprendre que nous sommes dans une impasse.

Ça se présentait mal ! 

Car Ravel aimait la harpe et nombre de ses œuvres en réclament deux. Péché de gourmandise. Mais restons calmes, pas de panique. En quelques heures le programme est remanié, au prix de l’abandon, la mort dans l’âme, de tout ce qui fait appel à deux harpes.

Les répétitions commencent dans une atmosphère amicale, très professionnelle. Oubliés les soucis, Ravel nous absorbe, il nous envoûte. Drôle de ptit bonhomme.

Émotions antitétaniques.

Deuxième jour, j’apprends que le premier violon solo a été griffé à la main droite par le chat de ses voisins. Infection, vaccins, impossible de tenir l’archet. Son alter ego, une jeune femme de grand talent, vient me voir pour m’annoncer la nouvelle et s’excuse à l’avance pour les solos de Ma mère l’Oye qu’elle n’a pas préparés puisqu’ils ne lui étaient pas destinés : elle fera pour le mieux aujourd’hui, mais demain ce sera bien. En fait, c’est déjà parfait le jour même.

 Benjamin Bernheim ... in patria

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Grâce à une invitation de l’Agence de concerts Caecilia, Benjamin Bernheim donne un premier récital au Victoria Hall de Genève dans le cadre de la série ‘Les Grands Interprètes’.

Né à Paris il y a quarante ans (9 juin 1985) d’un père français et d’une mère suisse, fils adoptif du baryton Antoine Bernheim, Benjamin grandit à Genève et en Haute Savoie, apprend le violon et le piano et fait partie, à dix ans, de la Maîtrise du Conservatoire Populaire de Genève. A dix-huit ans, il entre dans la classe de Gary Magby à la Haute Ecole de Musique de Lausanne et en 2008, il remporte la bourse Leenards et rejoint l’Opera Studio de l’Opernhaus de Zürich, avant de s’affilier à la troupe de ce théâtre deux ans plus tard. En 2012, il débute au Festival de Salzbourg en Agenore dans Il Re pastore de Mozart. Depuis 2015, s’ouvre à lui la grande carrière qui lui permet de se produire sur les principales scènes d’Europe et d’Amérique. Ici à Genève, personne n’a oublié son admirable Roméo dans l’ouvrage de Gounod donné en version semi-scénique le 10 janvier 2023.

Sir Simon Rattle et le BRSO : une leçon de direction d’orchestre, de musique et d’humanité

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« À quoi sert le chef d'orchestre ? », se demandent beaucoup de curieux de musique, voire de mélomanes pas tout à fait suffisamment avertis pour saisir les subtilités de cette activité en effet pour le moins mystérieuse. Après tout, les musiciens ont la partition sous les yeux ! Alors, à quoi bon leur indiquer ce qu’ils doivent jouer ?

Toute naïve qu’elle puisse paraître, la question est pertinente. Et les réponses complexes. Bien sûr, il y a les impulsions à donner, le rythme à unifier, la vision à transmettre, pour arriver à une interprétation homogène, qui est donc celle que conçoit le chef d'orchestre. Quand certains dirigent, on voit, en quelque sorte, défiler la partition tant les gestes semblent en être quasiment une analyse. Ce ne sont peut-être pas ces chefs-là qu’il faut observer pour se convaincre de leur utilité, ou plutôt de leur nécessité.

Car il y a aussi (les deux n’étant du reste pas totalement contradictoires, mais tout de même, chaque chef a sa tendance) ceux qui indiquent les dynamiques à répartir, les sonorités à équilibrer, les solistes à solliciter... bref à réagir en fonction de ce qu’il entend, voire qu’il anticipe (ce pour quoi il faut un réel talent). Tout cela nécessite une oreille extérieure.

Rose Naggar-Tremblay, Haendel en menu dégustation

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La contralto  Rose Naggar-Tremblay fait paraître un album consacré à Haendel (Arion). C’est un choix logique tant les partitions du compositeur accompagnent la carrière de la jeune artiste qui nous offre un véritable menu de roi au fil des airs, accompagnés par l'Orchestre de chambre de Toulouse.  Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec cette musicienne, bien dans son temps et qui développe une carrière loin des catégories passant avec aisance du lyrique à la chanson.    

Pour votre premier album, vous avez choisi le répertoire des airs de Haendel ? Pourquoi ce compositeur ? 

Enregistrer un album solo, dans le climat financier mondial actuel, est un immense privilège. Je voulais m’assurer de proposer un répertoire qui me colle à la peau. Haendel est le compositeur que j’ai chanté le plus souvent sur scène. Il n’y a pas un seul de ses rôles pour contralto (ou contre-ténor) du registre de Senesino que je ne me sentirais pas apte à défendre en production. J’ai d’ailleurs accepté de changer de rôle à la dernière minute l’an dernier, passant de Cornelia à Cesare dans une production du Capitole de Toulouse sous la direction de Christophe Rousset, à peine une semaine avant le début des répétitions. J’ai pu relever ce défi parce que je savais que le rôle de Cesare serait idéal pour ma voix, et que le plus grand défi, pour moi, serait simplement de le mémoriser. 

Une fois le compositeur choisi, il vous a fallu déterminer les œuvres et le nombre de partitions de Haendel est colossal. Comment avez-vous choisi les airs ? 

Bien qu’il y ait encore plusieurs rôles que je rêvais d’interpréter au moment du choix de pièces (Orlando, Bertarido, Cesare pour n’en nommer que quelques-uns ), je me suis inspirée des apprentissages découlant de l’enregistrement de mon album de chansons. En effet, mon seul regret suite à celui-ci avait été de ne pas avoir prévu ma tournée de spectacles avant d’aller en studio. La scène est le meilleur laboratoire. La relation avec le public et les collègues transforme nos interprétations, les font passer du papier à la chair vibrante. J’ai donc choisi d'interpréter sur l’album uniquement des œuvres que j’avais déjà vécues sur scène. À l’exception des airs de Cornelia, que j’aurais dû faire une semaine après à Toulouse, et de Polinesso, clin d’œil à la gigantesque Ewa Podles qui nous a quittés l’année dernière. 

Dans le communiqué de presse qui accompagne la sortie du disque, vous déclarez “J’ai envie que l’on offre ce disque à ses amis, à l’heure de l’apéro, comme une délicatesse qui inspire la joie du partage.”. La musique ne peut-elle être que synonyme de bonheur et de joie ? 

Bien sûr que non,  l’album comprend bon nombre de moments mélancoliques ou suspendus, mais la tristesse est déjà tellement plus douce quand elle est partagée. Haendel était lui-même un gourmand notoire, c’est ce qui m’a donné l’idée d’évoquer la joie d’un festin de jour de fête sur la pochette. 

Vous êtes Canadienne et contralto colorature et naturellement, on pense aussitôt à votre compatriote Marie-Nicole Lemieux, bien connue ici en Belgique. Je crois savoir qu’elle est une figure particulièrement inspirante pour vous ? Quelles sont les autres chanteuses qui vous inspirent ? 

J’ai suivi la carrière de Marie-Nicole de loin depuis mon adolescence, mais j’ai eu le bonheur de travailler avec elle tout récemment alors que j’étais sa doublure pour une production de Carmen. Quel bonheur de pouvoir la côtoyer de plus près ! C’est un véritable feu roulant d’idées musicales et théâtrales, il faut arriver en pleine forme pour pouvoir la suivre. J’ai toujours été fascinée par le timbre unique et la bravoure d’ Ewa Podles et le raffinement de Nathalie Stutzmann. Je rêverais d’ailleurs de pouvoir chanter sous sa direction.

Robin Pharo, cap sur l'Angleterre 

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Robin Pharo est directeur de l'ensemble Près de votre oreille (Near your ear) avec qui il fait paraître un album intitulé “Lighten mine eies” (Harmonia Mundi). Ce nouvel enregistrement  marque une étape importante dans le parcours de l’ensemble « Près de votre oreille ». Depuis sa création en 2017, l’ensemble explore la musique de chambre ancienne, en particulier le répertoire anglais, de l’époque élisabéthaine aux débuts de la restauration de la monarchie anglaise. Avec ce nouvel opus, c’est le compositeur William Lawes qui est à l’honneur.  Robin Pharo répond aux questions de Crescendo Magazine pour nous présenter ce disque qui s’impose comme une référence. 

Pour votre premier album pour Harmonia Mundi, vous avez choisi de mettre à l’honneur William Lawes. Pourquoi ce choix ? 

C’est une décision qui s’est faite un peu par hasard… En écoutant un disque magnifique de l’ensemble Correspondances, Perpetual night, j’ai découvert une pièce sublime de William Lawes, qui ouvre aujourd’hui l’album Lighten mine eies. J’ai alors fait le lien avec un nom qui m’était familier. Pourtant, je n’avais jamais écouté à ce moment ses célèbres pages pour consort de violes de gambe et orgue, que j’ai depuis eu la chance de jouer avec l’ensemble Près de votre oreille. Je savais simplement qu’elles existaient parce que je suis violiste. J'ai alors cherché à en savoir plus sur William Lawes et notamment sur sa musique vocale. Je ne savais pas que je tomberais alors sur des dizaines de pièces jamais enregistrées, d’une beauté exceptionnelle.

Comment avez-vous sélectionné les œuvres présentées sur cet album ? 

Comme pour tous les programmes que je crée, je cherche instinctivement une forme de dramaturgie et d’éloquence, comme celle qu’on recherche lorsqu’on peint un tableau (je dessine très mal mais je me débrouille mieux avec la musique !). À la différence par exemple d’une pièce qu’on compose d’après un texte existant, lorsqu’on crée un programme de récital, il faut aussi trouver une idée à dépeindre. Celle-ci ne vient pas immédiatement. Je dirais qu’on ne lève réellement le voile sur un tel récital qu’une fois que celui-ci est terminé. C’est comme si on peignait à l’aveugle, avec pour seule boussole, le son, et qu’on parvenait enfin à une image à la fin du travail de sélection. En quelque sorte, l’histoire qu’on a dépeinte est alors le fruit du hasard, et aussi de contraintes très pragmatiques, la nécessité de présenter des formes variées, des moments rythmiques, tendres, etc… Et puis on cherche un début qui attire notre attention, un milieu qui nous permet d’exulter, et une fin qui nous transcende… Composer un programme est un exercice absolument fascinant mais il est aussi très exigeant. 

Comment l'art de Lawes s’intègre-t-il dans son temps, en particulier à la suite de Byrd et Gibbons ? 

Je dirais que l’art de Lawes est à la fois un chemin vers l’ailleurs et un aboutissement. Comme Byrd et Gibbons, ses prédécesseurs, William Lawes connaît à la perfection les secrets du contrepoint le plus subtil et le plus virtuose. C’est ainsi qu’il compose des fantaisies à 6 voix spectaculaires. William Lawes dévoile aussi dans ses œuvres contrapuntiques un réel désir de nouveauté. Il n’hésite pas à emprunter des ostinato marquant et de fausses relations violentes. Il est capable de se saisir de l’étrangeté comme personne à son époque. Pour le répertoire instrumental, nous lui devons des pièces exceptionnelles comme ses fantaisies Sunrise et Sunset, qui ressemblent à de petites symphonies bien plus tardives pour orchestre à cordes… Ses harp consorts et ses royal consorts sont aussi une illustration de son avant-gardisme qui l’amène à des associations d’instruments inédites. Comme son grand frère, Henry, il écrit aussi pour la voix et je dirais que sa musique vocale profane ressemble encore plus que celle de son aîné, à ce qu’on pourra découvrir chez des compositeurs plus tardifs comme John Blow. Elle a donc une importance probablement plus grande sur l’évolution de la musique vocale. Pour moi, William Lawes est donc un compositeur très important pour l’évolution globale de la musique classique britannique. Ses talents de musicien l’ont amené à composer beaucoup pour le théâtre et les spectacles de cours qu’on appelle mask. Cette notoriété acquise a rendu sa disparition encore plus tragique pour le monde culturel anglais, lors de la Grande Rébellion. 

Il cappello di paglia di Firenze : étourdissant Nino Rota pour lequel Michieletto déchaine son sac à malices

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C’est un superbe pari que vient de réaliser l’Opéra de Liège-Wallonie en révélant au public belge Il cappello di paglia di Firenze, la farce musicale de Nino Rota.

Un compositeur prolifique

Renommé pour ses musiques de film (plus de 170 !), ce dernier fut le compositeur-lige de Fellini. Mais cette intense activité en cache une autre non moins majeure comme compositeur classique avec pas moins de 4 symphonies, 9 concertos, beaucoup de musique de chambre et 11 opéras dont ce Cappello, écrit en 1946 mais créé seulement en 1954 à Palerme avec un grand succès qui couronne le compositeur de La Strada, le film de Fellini sorti la même année.

Rota ne se laissa jamais embrigadé dans les aventures de l’avant-garde d’après-guerre. Son écriture s’inscrit dans la foulée des grands classiques avec toutefois une dose d’ironie primesautière ou sentimentale qui fait tout le sel humaniste de sa production.  Il cappello di paglia di Firenze , inspiré du Chapeau de paille d’Italie de Labiche, en est une des plus étincelantes illustrations.

Une farce délirante

L’œuvre récupère avec éclat la course folle d’un marié, Fadinard, à la recherche d’un chapeau de paille dévoré par le cheval du prétendant. Or il se fait que le chapeau appartient à une femme mariée Anaïde, en galante compagnie avec un bel officier. Le mari étant un sombre jaloux, Fadinard se voit forcé de retrouver un couvre-chef du même type. Et le voilà parti, trainant derrière sa noce, faire le tour des modistes jusqu’à ce qu’une dernière le prévienne qu’elle a vendu l’unique exemplaire restant à la Baronne de Champigny. Il la visite donc au milieu d’un gala, suivi de la noce qui dévore ce qu’elle croit être le repas de noces au « Veau qui tête ». La baronne avoue avoir offert le chapeau à sa filleule, Madame Maupertuis. Fadinard se précipite chez cette dernière et y découvre son mari qui n’est autre que l’époux d’Anaïde. Furieux, ce dernier charge son revolver et Fadinard ne doit son salut qu’à une fuite qui le ramène devant chez lui, bientôt rejoint par la noce où le beau-père Nonancourt exige que l’on rende les cadeaux. C’est alors que l’on constate que l’oncle Vézinet, qui, sourd, ne comprend rien de qui se passe avait amené comme présent un…chapeau de paille de Florence. Le temps de le dénicher et de le rendre à Anaïde et celle-ci peut l’afficher devant son mari. Après mille péripéties, tout s’arrange donc dans un consensus retrouvé.

Un tel récit exige un rythme un peu fou où l’orchestre, plein d’allusions et de citations d’autres compositeurs, toujours traitées avec une rare malice, est le véritable moteur de l’histoire. Les chanteurs, eux, sont traités avec une juste caractérisation de leurs joies, colères ou fantasmes. L’opéra repose donc pleinement sur une complicité amusée entre le plateau et la fosse.