Scènes et Studios

Que se passe-t-il sur les scènes d’Europe ? A l’opéra, au concert, les conférences, les initiatives nouvelles.

Rencontre avec Dominique Corbiau 

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Le contre-ténor Dominique Corbiau fait paraître un album consacré à la Cantate baroque italienne (Sonamusica). Ce programme explore la cantate pastorale avec un programme original mais fédérateur. Pour cet album, il est aux côtés de l’Ensemble La Camerata Sferica qu’il a fondé. Dominique Corbiau répond aux questions de Crescendo Magazine. 

Votre album met en avant la cantate baroque italienne. Le répertoire baroque est d’une richesse presque sans fin, dès lors, pourquoi avoir opté pour ce genre musical de la cantate baroque ?

J'ai conçu ce programme pour des concerts d'été qui ont finalement été annulés à cause du Covid. On m'avait demandé de proposer quelque chose sur le thème de la nature et avec un effectif instrumental restreint pour faciliter les déplacements. La cantate pastorale m'a donc semblé une évidence par son format chambriste (voix soliste et continuo) et par l'omniprésence de la nature comme sujet ou décor de l'action dramatique. En faisant quelques recherches pour choisir les œuvres, j'ai remarqué que la symbolique et le sens poétique des fleurs avaient souvent inspiré les compositeurs italiens du début du 18ème siècle (mon répertoire fétiche). De là m'est venue l'idée d'élaborer une sorte de bouquet floral et musical. J'ai par ailleurs décidé de ne pas toujours enregistrer l'intégralité d'une cantate mais de parfois choisir un air en particulier, qui collait parfaitement avec la thématique et dont je savais qu'il conviendrait idéalement à ma voix.

À la lecture du programme, il y a des œuvres de compositeurs connus comme Alessandro Scarlatti et Nicola Porpora, mais aussi d’autres de compositeurs moins connus comme Giovanni Zamboni ou Giovanni Battista Pescetti. Je présume que c’est un choix délibéré de mettre en avant des compositeurs encore peu connus ?

Les pièces vocales sont effectivement de compositeurs plus connus mais n'ont que peu (voire jamais) été enregistrées. L'aspect "découverte" est donc bien présent tant pour les parties chantées que pour les interludes instrumentaux qui sont eux de compositeurs plus rares. Comme vous le faisiez remarquer, le répertoire baroque est d'une grande richesse, alors autant s'aventurer dans des contrées moins explorées.

Outre les cantates, l’enregistrement alterne les pièces vocales avec des partitions instrumentales. Pourquoi cette optique d’une sorte de pause instrumentale entre les cantates ?

Je conçois toujours mes programmes (concerts ou disques) en étant attentif à l'enchaînement des pièces. Que ce soit la tonalité, le tempo, le caractère ou l'orchestration, tous ces éléments doivent selon moi être agencés soigneusement pour apporter la fluidité nécessaire à une écoute agréable. Dans le même ordre d'idée, je reprends la recette de mon prédécesseur, le contre-ténor Gérard Lesne qui a toujours inséré des pièces instrumentales dans ces albums de cantates baroques italiennes (des enregistrements de référence pour moi !). Ces quelques "respirations" musicales permettent de casser le côté un peu monolithique et répétitif propre à la structure de ces œuvres qui sont basées sur l'alternance systématique entre récitatifs et arias da capo. On peut ensuite retrouver la voix avec un intérêt renouvelé.

L’Ensemble Diderot et Audax Records : plaisir de découvertes

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Depuis quinze ans, les quatre musiciens baroques de l’Ensemble Diderot -Johannes Pramsohler et Roldan Bernabé (violons), Gulrim Choi (violoncelle) et Philippe Grisvard (clavecin)- défendent la sonate en trio en innovant les approches interprétatives de ce répertoire. Lors d’un concert à la Salle Cortot à Paris, le 12 novembre dernier, ils ont présenté trois sonates en trio de Johann Gottlieb Goldberg (1727-1756) et Wilhelm Friedmann Bach (1710-1784). La deuxième partie était consacrée à des mélodies de Robert Dussaut (1896-1969) et de son épouse Hélène Covatti (1910-2005) par Adriana Gonzalez et Iñaki Encina Oyón.

Le nom de Johann Gottlieb Goldberg est connu par les variations qui porte son nom, composées par Jean-Sébastien Bach. Mais que sait-on de lui ? Presque rien. Johannes Pramsohler présente le concert en soulignant que certains musicologues contestent qu’il était l’un des derniers élèves de Bach, mais selon lui, « le fait est tout de même clair quand on regarde ses partitions ». En effet, leurs interprétations mettent en exergue les riches contrepoints qui commencent à s’émanciper vers un style plus lyrique, exprimé notamment dans les mouvements lents, évoquant parfois même le bel canto. Le contrepoint de Goldberg, joyeux et chantant (par exemple « Alla breve » et « Gigue » de la Sonate en ut majeur), voire primesautier, enchante l’auditoire. Le style galant n’est certes pas encore là, mais on sent dans l’interprétation une envie latente de s’envoler dans cette direction. La sonate en si bémol majeur de Wilhelm Friedmann Bach a une proximité évidente avec celle de Goldberg. Dans son deuxième mouvement, nos musiciens offrent dans les imitations entre différents instruments une grande réjouissance musicale, alors que dans le finale, les coups d’archet vigoureux mais élégants, soutenus par le clavecin bienveillant, confèrent une réelle fraîcheur à la musique.

Concert anniversaire de Rena Shereshevskaya

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Rena Shereshevskaya, professeur de piano très recherchée, fête cette année trente ans de présence en France. À cette occasion, l’Ecole Normale de Musique de Paris où elle enseigne a organisé, dans le cadre de sa saison de concerts, « Les Rencontres musicales de Cortot », une grande soirée réunissant ses anciens élèves menant une carrière internationale. 

Le 4e Prix et le Prix spécial de la critique musicale de Moscou remportés au Concours Tchaïkovski en 2015 par Lucas Debargue, alors totalement inconnu sur les scènes internationales, ont également propulsé son professeur, Rena Shereshevskaya, comme une enseignante exceptionnelle. Sa réputation ne cesse de croître, elle est reconfirmée avec le Premier Prix et le Grand Prix d’Alexandre Kantorow à l’édition suivante du même concours en 2019. Son plus célèbre élève vient d’ailleurs de remporter le Gilmore Artist Award, considéré comme le sommet des récompenses aux pianistes. Outre ces deux génies singuliers, elle a décelé et formé de nombreux autres talents. Parmi eux, Rémi Géniet (2e Prix au Concours Reine Elisabeth en 2013 et lauréat de Young Concert Artists International Audition en 2015), Julian Trevelyan (2e Prix au Concours Horowitz en 2023, 2e Prix et Prix de la meilleurs interprétation du concerto de Mozart et Prix du public au Concours Geza Anda en 2021), Maroussia Gentet (1er Prix et tous les prix spéciaux au Concours d’Orléans en 2018)… Des noms émergents étaient aussi à ce concert, comme Marcel Tadokoro (3e Prix au Concours Santander et deux prix spéciaux au Concours Van Cliburn en 2022) et Slava Guerchovitch (1er Grand prix, Prix de la meilleure interprétation d’une pièce contemporaine et Prix Shigeru Kawai au Concours d’Epinal en 2022). 

Le retour de Viktoria Mullova à Monte-Carlo 

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Viktoria Mullova n'était plus venue à Monte-Carlo depuis plusieurs années. Ce retour était très attendu des mélomanes tant l'artiste se plaît à s’affranchir des frontières : après un passage par la musique baroque jouée sur cordes en boyau avec les meilleurs ensembles baroques, une incursion dans le monde du jazz et du pop, culminant par un duo de jazz avec son fils le bassiste Misha Mullov-Abbado. On la retrouve en compagnie de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dans le Concerto n°1 de Chostakovitch, une partition qui est son cheval de bataille depuis des années. 

Mullova revient au jeu de ses débuts, celui inspiré de l'école russe transmise par son mentor Leonid Kogan. La profondeur, la retenue, l'émotion et l'autorité avec lesquelles elle aborde chaque mouvement se démarquent vraiment. Chaque note est chantée, la résonance de son violon est étonnante, elle a une manière très pure de faire de la musique qui va droit au cœur. Elle commence le premier mouvement avec une ligne de chant douce et hypnotique qui ne s'arrête qu'à la dernière mesure. Le scherzo a tout le mordant nécessaire. Le son douloureux de la Passacaille, la virtuosité de la cadence et le “Burlesque” qui tourne en dérision la folie de l’agitation quotidienne, est époustouflant. Qui donc ne serait pas bluffé par l'incroyable virtuosité de Mullova ? Elle se balade dans les portées, sur des tempi supra-humains et reste imperturbable... Quel talent, quel flegme -et quel immense travail. Avec Mullova, la plus grande virtuosité est toujours au service de la plus grande musicalité. Même si l'on craint l'usage forcené des superlatifs, ne s'approche-t-on pas ici du sublime ? C'est un triomphe ! Après plusieurs rappels elle nous offre une page de Bach qui est son compositeur préféré, et qu'elle joue à merveille.

Micromégas, opéra rêvé et rêve d’opéra

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Le projet frémissait depuis un temps, de donner à Ars Musica sa sœur bisannuelle, en même temps qu’à la voix sa place dans la création contemporaine : Next Opera Days prend appui sur l’accessibilité (relative) de l’opéra de poche (la souplesse d’une distribution et d’une mise en scène parcimonieuses) pour propulser des (jeunes) compositeurs-narrateurs sur les scènes bruxelloises. L’opéra parlé (poétique et radiophonique) Consensus Partium d’Alessandro Bosetti et David Christoffel ouvre le jeu (après une table ronde sur les potentielles métamorphoses du genre et une master class de chant) et Mary de Clara Olivares (au Théâtre de La Balsamine le 17 novembre) , opéra entre littérature et art de la marionnette, le referme, deux créations entre lesquelles je m’installe, aux Brigittines, dans la Chapelle aux briques brutes aujourd’hui accolée à son aile moderne, vitrine de verre presqu’indécente dans la nuit pluvieuse mais diablement accueillante, pour l’inédit Micromégas, au premier soir des deux représentations que propose le festival -en fait, pas tout à fait, puisque la matinée est dédiée, en version courte, aux enfants, ravis du conte, jouissif autant que philosophique, de Voltaire.

Les trois voix féminines s’échelonnent sur la gauche de la scène (Karolyn Karolyi, la voix du cycle Sippal, Dobbal, Nádihegyedüvel de son compatriote György Ligeti ; Blandine Coulon, ancienne des chœurs d’enfants de la Monnaie ; Elise Gäbele, du Conservatoire Royal de Bruxelles), que délimite un dispositif visuel à deux écrans, encageant avec la douceur du translucide du premier les dix musiciens de l’Ensemble Musique Nouvelles et son chef, Jean-Paul Dessy. Les images en mouvement de Thomas Pénanguer, plasticien vidéo-graphique d’origine bordelaise, accompagnent de lueurs floues, parfois figuratives, le plus souvent évocatrices, les quatre parties musicales, jouées sans véritable interruption, et habillent l’imaginaire voltairien, prétexte, au travers du voyage interplanétaire du secrétaire de l’Académie de Saturne et du géant Micromégas, résident érudit exilé de Sirius, à une critique, argumentée et ironique, de l’ignorance nombriliste, de la guerre injuste, de la croyance intolérante -1752 ne diffère au fond pas tant de 2023.

Debussy, Ravel et Attahir par le Quatuor Arod 

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Le Quatuor Arod s’est imposé comme l’un des ensembles de chambre les plus brillants de la scène mondiale actuelle. A l’occasion de ses 10 ans, le Quatuor Arod fait paraître  un album  qui propose les quatuors de Debussy et Ravel mis en relief par une création de Benjamin Attahir. Cet enregistrement Erato est complété par un documentaire du légendaire Bruno Monsaingeon “Le quatuor Arod - Ménage à quatre” qui nous plonge dans le quotidien des musiciens.  Crescendo Magazine s’entretient avec Jérémy Garbarg, violoncelliste, du Quatuor Arod. 

Votre album propose les Quatuors à cordes de Debussy et Ravel, deux piliers du répertoire, en particulier pour des interprètes français. Qu’est-ce qui vous a motivés à enregistrer, maintenant, au stade actuel de votre évolution artistique, ces deux partitions et pas avant ?

Pour un quatuor français, s'attaquer aux quatuors de Ravel et Debussy est une étape assez symbolique. L'année des 10 ans d'existence du Quatuor Arod semblait être le bon moment pour s'adonner à ce répertoire que nous chérissons. En tant qu'artistes, nous avons été baignés toute notre vie dans la culture de la musique française mais aussi de toutes ses formes d'art, et aborder ce langage nous est apparu comme quelque chose d'évident. Durant ces dix années d'existence, nous avons peaufiné les couleurs de notre instrument quatuor, et marquer cette saison anniversaire par l'approfondissement et l'enregistrement de ces chefs-d'œuvre nous a profondément inspirés et fait évoluer. 

Votre album propose le premier enregistrement de l’édition révisée RAVEL EDITION du Quatuor pour instruments à cordes de Ravel. Qu’est-ce que cette édition vous a apporté  ? En quoi cette édition révisée a-t-elle questionné votre connaissance  de la partition de Ravel ?

La question de l'édition est toujours centrale dans notre travail de recherche autour de l'œuvre que nous travaillons et la découverte du travail de la RAVEL EDITION a profondément remis en question certains aspects de l'œuvre. Là où le novice ne voit qu'une différence de nuance, d'emplacement d'une dynamique, d'un phrasé, nous voyons l'expression d'un premier geste artistique altéré par la volonté d'interprètes de l'époque, le travail bâclé d'éditeur qui prend des libertés dans la copie, et un rapport à la musique plus libre de la part du compositeur. Le travail de la RAVEL EDITION consiste à revenir à la source et à comprendre le pourquoi des modifications ultérieures. Obtenir ces éléments de réponse en tant qu'interprètes a permis de trouver plus de cohérence dans la partition à beaucoup de moments où nous nous questionnions. De plus, cela permet aussi de comprendre que Ravel a parfois révisé la partition car les interprètes qui en ont assuré la création n'avaient pas forcément les moyens de réaliser la version écrite correctement -à l'interprète de juger de ce qui sonne le mieux, en fonction de son goût.  Nous encourageons tous les quatuors à travailler sur cette édition, et espérons que les droits régissant le manuscrit en permettent bientôt la libre consultation. 

Cet album propose également une œuvre contemporaine de Benjamin  Attahir, Al Asr. Comment avez-vous rencontré ce compositeur ? Qu’est-ce qui vous a séduit dans son écriture ?

Il y a beaucoup de liens entre Benjamin Attahir, le Quatuor Arod, et Ravel et Debussy. Al Asr a été créé en 2017 par le Quatuor Arod et c'est la pièce que nous avons le plus souvent joué en concert -plus de 70 représentations en 6 ans ! L'univers sonore de Benjamin est très imagé, suggestif et poétique, lui conférant ainsi de grandes similitudes avec les chefs-d'œuvre de Ravel et Debussy. Il reproduit dans sa pièce la "chaleur écrasante du désert", un oud, et compose une immense fugue finale. C'est cette fascination pour les compositeurs du passé qui l'ont aussi poussé à travailler sur la révision du Quatuor de Ravel avec la RAVEL EDITION, tout était donc fait pour que nous intégrions sa pièce à notre album français. 

Philippe Chamouard, compositeur

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Le compositeur Philippe Chamouard est à l’honneur d’un album Indésens Calliope Records qui propose 3 de ses concertos. A l’occasion de cette parution stimulante portée par des interprètes d’exception, Crescendo a souhaité s’entretenir avec le compositeur. 

En ces temps de déconstructions multiples, votre œuvre comporte force figures classiques comme des symphonies et des concertos. Qu’est-ce qui vous attire vers ces formes musicales ?

Il paraît dépassé d’utiliser encore de nos jours les formes musicales classiques. Pendant plusieurs siècles, elles ont fait la preuve de leur solidité et de leur équilibre. Pourquoi s’en passer de nos jours ? La variation est toujours présente chez les compositeurs alors qu’elle apparaît en tant que forme au XVIe siècle. Bien qu’on puisse utiliser des structures plus libres comme je le fais souvent plutôt dans des partitions courtes, c’est cet équilibre formel qui me permet de construire une partition symphonique.

En ce qui concerne les concertos, cet album en propose 3 : pour violon, basson et trompette. Soit 3 instruments très différents de timbres et de tessitures. Vous avez également composé un concerto pour harpe celtique Qu’est-ce qui vous a séduit dans ces instruments au point d’en composer des concertos?

Concernant la forme du concerto, le sujet est différent. D’abord, excepté celui pour basson qui a été conçu comme tel avec trois mouvements, les autres partitions ne sont pas réellement des concertos. Ce sont plutôt des œuvres concertantes ou avec instrument principal et orchestre. En réalité, chacun de mes « concertos » possède sa propre personnalité qui ne répond pas forcément aux critères de la forme. J’ai écrit le Concerto pour violon qui est en fait un concertino en un seul mouvement car j’ai toujours été attiré par les instruments à cordes. C’est la raison pour laquelle j’ai composé un « concerto » pour violoncelle dont l’intitulé Entre source et nuages à plus de valeur. D’ailleurs, c’est l’éditeur qui l’a classé dans le genre concerto. Le Concerto nocturne pour trompette et orchestre n’est pas non plus un concerto au sens usuel du terme bien que ce soit Maurice André qui m’ait demandé d’en écrire un pour son instrument. J’ai voulu faire résonner une trompette non pas brillante et virtuose comme elle est souvent montrée mais poétique, encline au charme et à la méditation ; ses timbres se fondant avec les autres pupitres de l’orchestre.  Il y a peu de pièces orchestrales concertantes avec la harpe celtique et le basson. Je trouvais utile de leur consacrer au moins une partition.

L'Opéra de Monte-Carlo commence sa saison avec la Messa da Requiem de Verdi

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L'Opéra de Monte-Carlo ouvre sa saison 2023-2024 avec le Requiem de Verdi donné au Grimaldi Forum. Ce concert de prestige devait être dirigé par Daniel Barenboïm, mais le légendaire musicien a dû hélas annuler sa venue du fait de ses problèmes de santé. C'est Kazuki Yamada, directeur musical et artistique de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo qui a accepté, grâce à un revirement de dernière minute dans son emploi du temps, de reprendre le flambeau de ce concert très attendu. 

Le Requiem de Verdi peut être vu comme une sorte d'opéra religieux donnant une vision romantique de la mort, plus que comme une messe pour le repos de l'âme. Le scénario diabolique où l'homme a beaucoup de raisons d'être jugé et la destruction de cette merveilleuse planète. Ce requiem romantique et lyrique est impressionnant avec les sublimes voix bien harmonisées de l'excellent chœur de l'Opéra de Monte-Carlo. Le chœur est magnifiquement préparé par  Stefano Visconti. Les quatre brillants solistes chantent de manière superlative. La soprano lettone Marina Rebeka a une voix puissante et lumineuse. La mezzo-soprano biélorusse Ekaterina Semenchuk  est réputée pour les rôles verdiens et possède un timbre de voix intense et chaleureux. Le baryténor Michael Spyres donne une performance extraordinaire. Sa voix est pleine d'émotion pure avec une technique et une sensibilité prodigieuse. La basse Ildar Abdrazakov, souffrant, a cédé sa place au baryton-basse uruguayen Erwin Schrott qui séduit par sa  voix étincelante. 

A Genève, un chef de classe : Daniele Gatti 

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Pour un concert intitulé ‘Ode à la nature’, l’Orchestre de la Suisse Romande invite le chef d’orchestre milanais Daniele Gatti, actuel directeur principal du Teatro del Maggio Musicale Fiorentino et futur directeur musical de la Sächsische Staatskapelle de Dresde à partir de l’automne 2024. 

Son programme commence par une page peu connue de Felix Mendelssohn, l’ouverture de concert Meeresstille und glückliche Fahrt (Mer Calme et heureux voyage) op.27 datant de 1828 et inspirée par deux brefs poèmes de Goethe. En un pianissimo profond, l’Adagio initial est conçu comme un lento monochrome presque lugubre que les vrilles de la flûte finissent par animer en suscitant la progression des cordes vers un Allegro vivace où la précision du trait va de pair avec la noblesse d’expression. Et par un subtil rubato des violoncelles s’amorce la coda brillante avec sa fanfare de cuivres annonçant joyeusement l’arrivée à bon port. 

Daniele Gatti propose ensuite l’une des pages symphoniques majeures de Claude Debussy, La Mer, qu’il débarrasse d’un flou impressionniste pour tirer au cordeau l’étagement des quintes à vide puis isoler chaque segment mélodique, tout en concédant la primauté aux cuivres. Les violoncelles divisés affirment l’avènement de midi en un lyrisme pathétique qui culminera avec le choral solennel des cuivres. Jeux de vagues est emporté par une houle frémissante sous les brusques contrastes d’éclairage que diluera le pianissimo des harpes, tandis que Dialogue du vent et de la mer prend un aspect menaçant par le grondement sourd des timbales et violoncelles provoquant de déchirants éclats. Les bois traduisent la progression irrépressible du vent entraînant le déferlement des éléments en furie, sans aucun répit jusqu’à la coda des cuivres et au cinglant coup de timbale conclusif.

Victoria de los Ángeles : Gala du centenaire au Liceu

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Mis à part leur année de naissance, deux des plus grandes cantatrices du XXe siècle, semblent partager plus de divergences que des points un commun : une vie privée discrète voire ascétique pour Victoria, un étalage de « paparazzi » et une énorme renommée pour Maria Callas, une carrière brillante, certes, mais la Barcelonaise n’est jamais devenue un icône de masses. Pourtant, si l’Espagnole avait eu une enfance heureuse et pas marquée par la mésentente avec sa mère comme Callas, sa vie privée d’adulte ressemble cruellement à un calvaire, tenu dans le secret ou dans la plus grande discrétion. Car, de ses deux enfants, le deuxième avait un syndrome de Down, avec les difficultés que cela pouvait causer à cette époque et le premier, Juan Enrique, décéda dans sa trentaine de manière inopinée. Pour couronner l’ensemble, son mari entretenait une deuxième famille de plusieurs enfants avec sa secrétaire et cela aux frais de la cantatrice car le divorce était impossible dans l’Espagne franquiste. Un détail glaçant sur la condition féminine dans cette période si proche -et que certains semblent actuellement regretter- : le mari qui aurait tué sa femme adultère, n’était puni que par le bannissement selon le Code Pénal en vigueur alors… Un autre aspect divergeant entre les deux tient à leur renommée : si Callas divisait les esprits entre partisans et détracteurs acharnés, rivalité avec la Tebaldi incluse, Victoria semble n’avoir connu que l’éloge pour sa musicalité, sa recherche infatigable de la vérité expressive et son talent pour transmettre au public les émotions les plus profondes. Invitée par Wieland Wagner, elle est à ce jour, avec Plácido Domingo, la seule espagnole à avoir chanté dans le « Santa Sanctorum » wagnérien de Bayreuth. Sa carrière internationale fut splendide : entre 1950 et 1961 elle chanta 200 représentations au Metropolitan de New York, en passant par le Covent Garden à Londres, La Scala de Milan, le Wiener Staatsoper ou le Teatro Colón à Buenos Aires et, dès ses débuts, au Liceu. Pourtant, un aspect essentiel de sa carrière fut le récital de « Lieder » : elle considérait que cet aspect du chanteur était un défi immanquable : « Le lied aide à parfaire le phrasé, la musicalité et se joint à la poésie, à la littérature… à la toute culture en définitive ! » disait-elle.