Décédé l'âge de 99 ans, le doyen des pianistes avait accordé une interview à Bernadette Beyne, co-fondatrice de notre média.
Depuis la dissolution du Beaux-Arts Trio -il donnait son concert d'adieu au Festival Mendelssohn de Leipzig le 23 août 2009-, Menahem Pressler multiplie les concerts, tantôt en récital, tantôt en concertos, tantôt en musique de chambre avec de jeunes interprètes. Je me souviens l'avoir rencontré à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth peu après la fin du Trio et et lui avais demandé comment il envisageait son avenir. D'emblée, il m'avait répondu : « Je continue... Pressler and Friends ! ».
Le flûtiste Franck Masquelier et son confrère Marc Grauwels font paraître un album de duos de Mozart intitulé Il Mio Tesoro (Indesens Calliope Records). Ils proposent des arrangements pour deux flûtes d’airs d’opéras de Mozart, un répertoire plaisant et finement musical à partir de grands chefs d'œuvres connus de tous. A cette occasion, Crescendo Magazine s’entretient avec les deux artistes.
Qu’est ce qui vous a motivé à envisager cet album centré sur des arrangements pour deux flûtes d’airs d’opéras de Mozart ?
Dès l’apparition de la littérature soliste pour le traverso, soit au tout début du XVIIIe siècle, en France, le duo pour 2 flûtes avait rencontré un grand succès et il a immédiatement engendré en même temps un authentique répertoire de sonates et de suites originales, et une somme considérable d’adaptations en tous genres d’airs populaires. Le genre s'est développé à vive allure pour connaître, au tournant des années 1780, une vogue extraordinaire à travers toute l’Europe. Le jeu en duo devient alors une évidence. Aujourd’hui, il existe une quantité d'œuvres originales ou d’arrangements pour cette formation. Nous avons donc naturellement choisi les airs des opéras de Mozart comme thématique de cet album, dans lesquels, y compris dans cette formation en duo, on peut entendre le génie de ce compositeur. Finalement, ils ont été assez peu enregistrés malgré leur côté très divertissant à jouer et à écouter.
Ces arrangements sont-ils de Mozart lui-même ? Quelles sont leurs qualités ?
Mozart aurait lui-même réalisé quelques-uns de ces arrangements lorsque l’on consulte l’édition originale de ces duos. Mais on sait aujourd’hui qu’il n’en est rien, cette mention n’ayant qu’un pur objectif commercial. Le monde de l’édition à cette époque ne s’embarrassait guère de scrupules. Les airs d’opéras sont donc arrangés à l'époque de Mozart ou juste après, mais les arrangeurs ne sont pas connus. Le seul arrangeur connu de cet album est Wilhelm Barge, virtuose allemand de la deuxième moitié du XIX° siècle, qui a arrangé pour deux flûtes le duo K.V156, qui est à l'origine une sonate pour violon et piano.
Comment avez-vous choisi les morceaux programmés sur cet album car il ne reprennent que des airs tirés de 3 des célèbres opéras de Mozart ? Est-ce qu’il y aurait matière à un autre album avec des airs tirés de Cosi fan Tutte, Clemenza di Tito….?
Il existe donc actuellement quatre recueils des opéras de Mozart qui sont édités pour cette formation dans des arrangements d'époque : La Flûte enchantée, Les Noces de Figaro, Don Giovanni et l’Enlèvement au sérail. Il nous a semblé intéressant de proposer une sélection de ces airs : d’une part, ceux qui sonnent le mieux dans cette formation, et d’autre part, ceux qui sont les plus connus du public. Depuis l’édition de ces quatre recueils, il existe d’autres arrangements des autres opéras de Mozart. Mais serait-t-il intéressant de les enregistrer ? La question se pose.
L'album se clôture par deux duos en sol majeur K. 156 Op.75. Pouvez-vous nous présenter un peu ces œuvres ?
Ce duo est un arrangement du virtuose allemand Wilhelm Barge (1836 - 1925), soliste à l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig, qui a choisi six morceaux de Mozart et les a arrangés pour duo de flûtes.
Celui que nous avons choisi est à l’origine la Sonate pour violon et piano K. 380, dont W. Barge a choisi les deux mouvements rapides particulièrement adaptés à la brillance et la virtuosité de notre instrument.
Benoît Mernier, organiste et compositeur belge, est à l’honneur d’un concert Namur Concert Hall. Lors de ce concert intitulé “Miroirs Vénitiens”, le vendredi 5 mai prochain, le public du Namur Concert Hall pourra découvrir une de ses nouvelles compositions. Timothée Grandjean et Alex Quitin, reporters de l’IMEP, rencontrent Benoît Mernier pour évoquer sa nouvelle création et les autres développements de sa riche actualité.
Lors du concert “Miroirs Vénitiens” du vendredi 5 mai, le public du Namur Concert Hall pourra découvrir une de vos nouvelles compositions. Pouvez-vous nous faire la genèse de cette œuvre ?
Jérôme Lejeune, fondateur du label Ricercar, a toujours marqué un vif intérêt pour la musique d’aujourd’hui. Il est aussi l’administrateur de l’ensemble Clematis. Il m’a contacté ainsi que le compositeur liégeois Michel Fourgon pour nous proposer de nous associer à un programme de concert intitulé « Miroirs vénitiens ». Il s’agissait donc d’écrire des œuvres nouvelles dialoguant avec du répertoire italien du XVIIe siècle. Dans mon travail de compositeur, j’ai toujours été sensible à la question de la tradition. Comment, par la création d’aujourd’hui, prolonger, commenter la musique du répertoire ? C’est une question qui m’est chère. Pour moi, la création doit s’ancrer dans une réalité. Elle doit parler au public et faire écho dans un souci de communication, détachée d’une certaine forme d’abstraction. Elle ne peut se refermer sur elle-même sous peine d’être morte née. Il n’est pas question ici de nostalgie ou d’obédience à des formes passées mais plutôt d’un acte d’émulation : comment la musique du passé peut-elle nous inspirer des formes nouvelles dans un souci de reliance. Je pense qu’aujourd’hui nous avons besoin à tous les niveaux de créer du lien. Créer du lien entre les individus et aussi entre les différentes formes d’expressions artistiques. Nos sociétés sont menacées par l’éclatement et le repli sur soi. L’Art a plus que jamais pour mission de relier les choses entre elles, de faire sens. Pour moi, il est moins question de « faire œuvre » que de créer du lien. À cet égard, ce projet a donc retenu mon attention et mon envie.
Votre composition sera associée aux œuvres anciennes principalement puisées dans le répertoire vénitien du XVIIe siècle de Biagio Marini et Giovanni Legrenzi. L'ensemble Clematis joue donc sur des instruments anciens. Est-ce un défi d’écrire pour ce type d’instruments ? Il y a-t-il des enjeux particuliers au niveau de la notation par exemple ?
Écrire pour des instruments anciens demande effectivement de repenser un certain nombre de choses. Il y a bien sûr les questions techniques. Un exemple : le violon baroque se joue sans mentonnière ; les gestes compositionnels doivent être donc être adaptés à cette réalité. Il ne s’agit pas de se sentir limité mais de comprendre ce qui fait la caractéristique de cet instrumentarium. Le démanché (ou le fait de passer rapidement d’une position à une autre sur le violon ou le violoncelle) ne peut pas être imaginé comme sur les instruments modernes. Par ailleurs, le travail sur le jeu d’archet est beaucoup plus subtil et différencié à l’époque baroque qu’après la révolution française. On sait que le chant était au XVIIe et XVIIIe siècles le modèle absolu. Le jeu d’archet baroque s’inspire de cela. On va parler de consonnes plus ou moins définies, un peu comme les coups de langue pour les instruments à vent. Il y a donc là un champ d’expérience très fertile et stimulant. Mes pièces écrites pour ce projet travaillent beaucoup sur cette question. Je me suis inspiré des pratiques et notations de l’époque mais avec un imaginaire d’aujourd’hui. L’expressivité est toujours au centre de mon attention, que soit en tant qu’interprète à l’orgue ou dans mon travail de compositeur. Cette question est cruciale à l’époque baroque, particulièrement pour la musique italienne animée par les « affetti » développés par des compositeurs tels que Monteverdi pour le chant et Frescobaldi essentiellement pour le clavier, ainsi que par leurs descendants. Je me suis donc senti très en phase en écrivant pour ce projet.
Le 21 avril, le Forum national de la musique de Wrocław, en Pologne, a accueilli la cérémonie annuelle de remise des prix et le concert de gala des International Classical Music Awards. Le NFM est également récipiendaire d’un Special Achievement Award des ICMA 2023 qui salue la réussite artistique et la vision de ce projet. Jakub Puchalski, de Polskie Radio Chopin, membre du jury, a réalisé l'entretien suivant avec Andrzej Kosendiak, directeur du NFM.
Le Forum national de la musique est une institution musicale, mais c'est aussi un lieu - un nouveau complexe de quatre salles de concert à Wrocław. Cela fait des décennies que l'on parle d'une bonne salle de concert pour la Philharmonie de Wrocław. Comment le Forum national de la musique a-t-il émergé de ces nombreux projets et concepts ?
L'histoire du NFM a commencé en 2002, lorsque Rafał Dutkiewicz a été élu maire de Wrocław. Le projet de construction d'une salle de concert figurait à son programme. À l'époque, j'étais son conseiller pour la préparation du programme culturel. Plus tard, il m'a engagé comme plénipotentiaire -et les travaux de construction de la salle ont commencé. Bien sûr, la communauté urbaine de Wroclaw essayait depuis longtemps d'ériger une nouvelle salle de concert, mais seul ce projet a pu aboutir.
Dès le début, nous avons prévu de mener deux projets en parallèle : d'une part, construire une salle de haut niveau et, d'autre part, élaborer un programme de développement de la vie musicale à Wrocław. Nous avons mené ces deux investissements en parallèle, mais il faut dire que le projet de construction lui-même, la salle, est devenu un catalyseur pour tous les changements qui ont eu lieu dans la façon de concevoir l'offre culturelle, dans le développement de la vie musicale.
Pouvez-vous revenir sur la vie musicale Wrocław avant le NFM ?
En 2005, alors que le projet de construction d'une nouvelle salle était déjà en cours, je suis devenu directeur de la Philharmonie de Wroclaw et, en même temps, directeur du festival Wratislavia Cantans. Il y avait donc le grand festival, la Philharmonie -et une salle de 465 places dans un bâtiment hideux des années 1960. C'était le point de départ. Aujourd'hui, nous disposons d'un lieu qui abrite quatre salles de très haut niveau. Nous avons, en plus de la Philharmonie, plus d'une douzaine d'autres ensembles, dont certains très importants, et plusieurs festivals. Tout cela, c'est le NFM.
On peut donc dire que le succès est né grâce au nouvel espace ?
Oui, même si je dois souligner que l'idée n'était pas seulement de construire une salle. Dès le départ, le projet comportait deux éléments -la construction de la salle et le développement d’une offre culturelle- et c'est très important. Bien sûr, le fait que la salle soit d'une qualité et d'un prestige extraordinaires a aidé tout le monde, y compris les ensembles artistiques, a permis de faire un saut qualitatif, car même avec les grands efforts des musiciens dans l'ancienne salle, cela n'était pas possible. Il n'y avait aucune possibilité d'évolution : les musiciens, même ceux qui étaient assis au même pupitre, ne s'entendaient pas les uns les autres -il y avait du bruit. En ce sens, cette nouvelle salle est devenue un outil fantastique pour le développement des ensembles artistiques, pour renforcer leur forme et leur importance. Mais aussi pour créer une communauté d'auditeurs. Auparavant, nous ne pouvions inviter qu'une poignée de personnes, et il arrivait souvent que l'ancienne salle ne fasse pas salle comble, parce que les gens estimaient qu'elle était inadéquate. Aujourd'hui, des centaines de milliers de personnes nous rendent visite chaque année.
La soprano Ermonela Jaho est l’artiste de l’année 2023 des International Classical Music Awards. En prélude à la cérémonie de remise des prix et au concert de gala, la chanteuse s’entretient avec Irina Cristina Vasilescu, de la Radio Romania Muzical. Une interview réalisée depuis Sydney où la chanteuse répétait Adriana Lecouvreur.
Ermonela Jaho, je voudrais revenir brièvement sur quelques-uns des moments les plus importants de votre vie professionnelle. J'ai lu quelque part que, enfant, vous vouliez être chanteuse de musique pop. Est-ce exact ?
Oui, c'est vrai. Quand vous êtes un enfant, c'est la musique qui vous touche le plus et vous voulez devenir tout de suite célèbre ; ces rêves commencent comme ça. Plus tard, j'ai réalisé que mon âme appartenait à la musique classique.
C'est une production de La Traviata vue à Tirana qui a changé votre point de vue et recadré toute votre vie, en fait. Qu'est-ce qui, dans ce chef-d'œuvre verdien, a impressionné la jeune fille que vous étiez à l'époque, ?
C'est intéressant que vous me posiez cette question maintenant, car je me la posais très récemment, après la dernière représentation de La Traviata au Metropolitan de New York. Je me suis souvenue de ce moment, quand j'étais si jeune et que j'ai vu mon premier opéra. J'avais 14 ans. J'ai commencé à chanter à 9 ans pour devenir une pop star mais, à 13 ans, j'ai voulu étudier la musique à un niveau professionnel, et j'avais choisi le chant. J'ai auditionné au lycée des arts de Tirana où j'ai étudié à partir de ce moment-là. Comme je voulais "voir" la manière de chanter la musique classique, je suis allée à notre opéra (le seul que nous ayons en Albanie) ; c'était La Traviata (chanté en albanais) et je suis tombée amoureuse, c'était magique !
Je ne peux pas l'expliquer avec des mots ; tout m'a émue -l'ouverture, l'histoire, le drame, la tragédie. Celà m'a tout de suite touchée et, à la fin de la soirée, je me suis dit -ainsi qu'à mon frère qui était avec moi : maintenant, je sais que je veux devenir chanteuse d'opéra et je ne veux pas mourir sans avoir chanté ce rôle au moins une fois dans ma vie. La semaine dernière, c'était ma 306e incarnation de Violetta Valery ! Je suis tellement fière (et je le dis avec humilité) d'avoir réalisé mon rêve. Je voulais ça si désespérément ! J'ai beaucoup travaillé, mais je pense que l'univers m'a aussi aidée à réaliser mon rêve !
Ce fut la première étape de votre éducation musicale. Ensuite, en 1994, vous êtes allée en Italie, étudier à l'Accademia Nazionale di Santa Cecilia à Rome. Qui étaient vos mentors à ce moment-là ?
En 1993, j'ai remporté un concours de chant et, pour la première fois depuis longtemps, l'Albanie s'est ouverte sur le monde. Katia Ricciarelli est venue en Albanie et elle a choisi cinq chanteurs d'opéra (étudiants et professionnels) pour une master-classe à Mantoue. J'en étais et, après cette expérience, j'ai voulu rester en Italie car j'ai vu la première lueur sur la voie de mon rêve. A Santa Cecilia, j'ai travaillé avec Valerio Patteri, mais aussi avec Paolo Montarsolo, un grand basso italien. J'ai toujours un professeur de chant à New York, car nous restons étudiants pour toujours. Même si vous avez déjà du succès, il est nécessaire de continuer à étudier, remettre un peu les choses à plat -techniquement parlant, car sur scène les émotions peuvent prendre le dessus.
Fraîchement auréolée de son succès personnel dans le rôle d'Antonia dans les Contes d'Hoffmann à La Scala de Milan, Eleonora Buratto vit un moment particulièrement heureux dans sa carrière : la soprano de Mantoue, en effet, a enchaîné ces dernières années une série de débuts dans un répertoire très large, allant de l'Otello de Rossini à Madama Butterfly de Puccini, en passant par ce Verdi qui, entre Ernani et Don Carlo, apparaît de plus en plus comme la pierre angulaire de sa carrière actuelle et future. Nicola Cattò (membre du jury ICMA Musica) a rencontré Eleonora Buratto le lendemain de la fin des représentations de l'opéra d'Offenbach Les Contes d'Hoffmann et juste avant son départ pour New York, où elle a chanté Mimì dans une série de représentations de la Bohème : l'occasion était (aussi) de parler de l'enregistrement de la Messa di gloria de Rossini, dirigé par Antonio Pappano et primé d’un ICMA 2023.
Vous fêterez l'année prochaine vos 15 ans de carrière, pourtant du fait de l'ampleur de votre répertoire et du prestige des théâtres dans lesquels vous chantez, il semble que beaucoup d'autres se soient écoulés : est-il déjà temps de faire un premier bilan ?
Est-ce vrai ? je ne m'en étais pas rendu compte ! En fait oui, un premier bilan est aussi utile pour se remémorer les jalons que vous avez franchis, comment vous les avez atteints, s'il y a eu des erreurs, pour comprendre si vous auriez pu mieux faire pour ne pas répéter, à l'avenir, des erreurs de jugement.
Comme beaucoup de chanteurs, vous avez commencé par un répertoire plus léger, pour ensuite virer vers celui de l'opéra pur : mais Rossini est toujours très présent. Comment votre approche a-t-elle changé techniquement ?
En fait, j'aurais aimé que Rossini fasse partie de ma carrière même au début : un rôle parmi tant d'autres que je n'ai jamais pu chanter est Fiorilla du Turco in Italia. En plus des productions de concert (je pense au Stabat Mater et à la Petite messe solennelle). Heureusement, des propositions me sont venues pour de grands opéras comme Moïse et Pharaon ou bien Otello, chanté à Pesaro : avec une technique et un timing corrects entre les productions , il n'est pas impossible de chanter à la fois Butterfly et Desdémone. Il faut avoir une bonne période de repos. L'an dernier, après Butterfly, j'ai chanté la Bohème et surtout l'Alice de Falstaff, ce qui m'a permis de retrouver cette agilité, cette légèreté qui sont vitales chez Rossini. Aussi parce que je ne chante pas Cio-Cio-San en alourdissant la voix, mais en la respectant, en jouant avec les couleurs, en essayant de différencier les trois actes en insistant sur l'évolution de l'enfant naïf du premier à la tragédie finale. C'est, à mon avis, une façon d'assurer la santé de la voix. Mais la technique passe toujours en premier !
Aussi parce que, ensuite, ça dépend quel Rossini vous chantez : Desdémone est un rôle d’Isabelle Colbran, qui me semble tout à fait adapté à votre voix actuelle…
Les rôles que je peux garder au répertoire ne sont que ça. Et c'est un grand plaisir de les chanter. Maintenant j'ai en tête deux titres que j'ai très envie d'aborder : Guillaume Tell et La donna del lago. Quelqu'un m'a même demandé une Hermione… : il faut bien évaluer.
Parlons de cette Messa di gloria : comment s'est formalisé cet enregistrement ?
Je ne connaissais pas cette musique, mon agence m'a soumis la proposition, alors j'ai lu attentivement la partition. Comme les dates d'enregistrement étaient planifiées juste avant un engagement prévu avec le Requiem de Verdi à Paris, j'y ai un peu réfléchi, juste à cause de ce que j'ai dit avant. Mais c'était une proposition flatteuse, et ça s'est très bien passé. Je voulais vraiment travailler avec Maestro Pappano, avec qui je n'avais enregistré que le petit rôle de la prêtresse dans Aïda. Pendant les répétitions de musique et celles avec l'orchestre, il m'a beaucoup aidée à comprendre des aspects de Rossini que j'abordais avec un point de vue plus tardif, en entrant avec trop de lourdeur dans la voix : il ne m'a pas demandé de "spoggiare" (supprimer l'appoggio) mais d'alléger ma voix et ma façon de penser. Il m'a aidée à trouver une tonalité pour laquelle je lui suis très reconnaissante : j'ai pu faire de l'agilité et des aigus en pianissimo, il m'a aidée à retrouver des aspects de ma technique que je n'exploitais plus. Et ce sont des pages, pour la soprano, qui ont une tessiture très haute et très virtuose. Je ne sais pas quand je pourrai travailler à nouveau avec Maestro Pappano : il y avait un projet Puccini avec lui à Londres (La rondine), mais il a été reporté.
Cette année, le jury des International Classical Music Awards (ICMA) récompense le pianiste italien Alessandro Marangoni avec un prix spécial pour son enregistrement de l’intégrale des Péchés de vieillesse de Rossini. Nombreux sont les pianistes qui ont abordé, ces quinze dernières années, les pièces et bribes curieuses et provocantes des quatorze volumes de Péchés de vieillesse, l'énigmatique testament musical du vieux Rossini. L’intégrale de Marangoni est cependant la première vraiment complète, s'étendant à toute la musique de chambre et à toutes les pièces vocales (presque toutes enregistrées avec des chanteurs italiens), y compris des pièces contemporaines des Péchés mais absentes des volumes de la collection officielle, ainsi qu'une vingtaine de pièces inédites récemment découvertes. C'est une œuvre exigeante, pleine de surprises, car les quelque deux cents pièces de ce corpus sont stylistiquement très hétérogènes et dessinent le portrait d'un compositeur sournois et ironique. Le musicien, passionné par les découvertes et les répertoires rares, s’entretient avec Nicola Cattò et Luca Segalla du magazine Musica.
Comment est né ce projet ? Et comment a-t-il évolué en cours de route ?
Le projet est né un peu par hasard : je ne connaissais pas cette énorme quantité de musique rossinienne. Alors que j'étudiais avec Maria Tipo, elle m'a dit un jour qu'elle avait joué des Péchés quand elle était jeune, et qu'elle pensait que ça me conviendrait. J'ai donc commencé à faire des recherches et j'ai réalisé l'ampleur de cette production : j'ai compris que ce serait un excellent travail non seulement en tant que pianiste, mais aussi en tant que chercheur, ce qui me passionnait beaucoup. Les partitions n'étaient pas facilement disponibles, souvent épuisées… J'ai donc commencé -c'était en 2008- à penser à rassembler une sélection de Péchés pour un seul CD ; mais j'ai remarqué qu'il n'existait pas de véritable version complète de ce répertoire, alors j'ai proposé à Naxos, ma maison de disques, de combler cette lacune. Ils ont réagi avec enthousiasme. Mais le projet initial a grandi au fil des années, grâce aussi à la contribution d'amis du calibre d'Alberto Zedda, Bruno Cagli (qui a été le premier à me donner quelques manuscrits qu'il possédait) et au travail avec la Fondation Rossini, qui a mis les manuscrits à ma disposition. Nous, les pianistes, avons l'habitude de travailler avec des partitions publiées. C'était inhabituel et passionnant. Certaines pièces de cette intégrale n'avaient jamais été enregistrées, d'autres étaient vraiment inconnues, comme le Tema e variazioni qui se trouvait, entre autres, à la Fondation Rossini et avait échappé à tout le monde (il ne figurait pas dans le catalogue de Péchés que Rossini lui-même avait compilé).
Combien de pages ont été données en première mondiale ?
Vingt. Et ce n'est pas tout. Il y a quelques pièces découvertes plus tard. L'une le fut même le lendemain de la fin des enregistrements. Ce sont deux petites choses, mais je les aurais incluses sur les CD ! Et il y aura probablement d'autres découvertes.
Depuis 2018, Sébastien Bujeaud prépare une thèse de musicologie sur Jehan Titelouze (c1563-1633), que l’on peut considérer comme le père de l’école d’orgue française, notamment grâce à son recueil de douze Hymnes (1623) dont nous commémorons le quatre-centième anniversaire. Un magnifique album enregistré par Léon Berben est à la hauteur de l’événement. Le compositeur a bien sûr attiré l’attention de la science et a connu nombre d’études et d’articles, mais c’est la première fois qu’il est le sujet d’une telle synthèse monographique. À la faveur de ses récents travaux, sous la direction de Philippe Vendrix, le doctorant, rattaché au Centre d’Études Supérieures de la Renaissance (Université de Tours), a bien voulu échanger avec nous : pour nous aider à mieux cerner Titelouze, sa vie, son art, et la singularité esthétique de son œuvre.
Les recherches et publications de Jean Bonfils, Denise Launay, Maurice Vanmackelberg, Willem Elders, Norbert Dufourcq contribuèrent dès les années 1960 à mieux connaître l’existence, les talents et le génie de Titelouze. Pourriez-vous retracer les grandes étapes de son ascension, depuis sa naissance à Saint-Omer jusqu’à sa consécration à la cathédrale de Rouen ? Vos investigations ont-elles révélé des faits majeurs sur son parcours, ou contredit des vérités établies de sa biographie ?
Tout d’abord, merci beaucoup de m’avoir invité pour parler de mes recherches, à l’occasion de cet anniversaire des Hymnes. D’après ce que nous disent les sources audomaroises, Titelouze est issu d’une famille de ménétriers, amateurs et professionnels, d’origine toulousaine et non anglaise, établis à Saint-Omer depuis plusieurs décennies. Grâce aux riches archives rouennaises, j’ai pu établir sa présence à Saint-Martin-sur-Renelle à Rouen dès 1583, avant qu’il ne soit nommé organiste de la cathédrale en 1588. Titelouze fut expert en facture d’orgues dès ses débuts rouennais, il bénéficia donc à Saint-Omer d’une formation d’instrumentiste, en facture et reçut probablement les ordres mineurs. Il fut également organiste dans d’autres églises rouennaises, et sut se faire apprécier du chapitre de la cathédrale malgré des rappels à l’ordre pendant les troubles.
Titelouze fut naturalisé en 1604, pour pouvoir posséder des biens et des titres, prit l’habit de prêtre en 1609 (peut-être formé chez les Jésuites de Rouen rouverts en 1604) puis celui de chanoine en 1610. Je pense qu’il profita de la richesse culturelle de Rouen et de ses voyages à Paris pour compléter son savoir en théorie musicale et composition, en poésie, en liturgie et théologie en tant que chanoine ; la musique composée, son principal legs actuel, étant la dernière étape de sa riche vie et de ma thèse. Il voyagea de Poitiers à Amiens pour expertiser des orgues, et durant son canonicat puis sa retraite à partir de 1629, alla régulièrement à Paris pour publier ses œuvres, et élargir son entourage musical et savant.
Ma thèse est un rassemblement de sources éparses et une exploitation la plus exhaustive possible des archives, ce qui me permet une plus grande précision sur son ascension sociale et ses différentes activités. Je contredis les recherches antérieures à propos de sa formation, que je pense avoir été plus progressive, débutée à Saint-Omer puis renforcée à Rouen ; de même les archives précisent qu’il prit l’habit de prêtre en 1609 à Rouen et non dans sa ville natale. Les archives de la cathédrale de Rouen me permettent de le suivre jour après jour pendant son canonicat de 1610 à 1629, de noter ses absences, assez longues sans être indignes car il fut peu rappelé à l’ordre, les sujets à propos desquels il siège et décide. Je note trois mois d’absence fin 1622 pour aller à Paris faire éditer ses Hymnes, quatre mois en 1626 pour ses Magnificat et Messes. Outre ses expertises et voyages parisiens, Titelouze alla régulièrement dans ses prébendes dans l’actuelle Seine-Maritime, il participe au roulement de messes, offices et cérémonies à la cathédrale en tant qu’organiste exécutant et chanoine décideur, et devient un notable rouennais.
Titelouze prend même l’ascendant sur le Maître de chapelle nommé après le départ fracassant de H. Frémart en 1625, en s’occupant du financement des enfants et des chantres, en siégeant systématiquement au sujet de la musique et de la liturgie ; d’où ses messes publiées et les cérémonies qu’il dirigea pendant sa retraite. Je pense enfin qu’il dût aller à la Cour, à Paris et Saint-Germain-en-Laye, étant donné qu’il connaissait les Chabanceau de La Barre, organistes et clavecinistes du Roi.
Depuis qu'il a écrit Winternacht en 1978, la référence à la neige est peu à peu devenue une constante dans la musique du compositeur danois. "Ça me prend", dit-il. "Ce qui me fascine dans la neige, c'est sa blancheur, ainsi que l'idée qu'elle puisse se transformer en glace". Mais Abrahamsen est aussi très conscient de "l'autre côté de l'hiver", précise-t-il, qui est qu' "après l'hiver vient le printemps. C'est précisément ce qui se passe à la fin de Winternacht, mais aussi à la fin de son opéra La Reine des neiges(2019) dont la production puis la sortie en DVD, dans sa version anglaise, par le Bayerische Staatsoper vient d'être primée d’un International Classical Music Award 2023. Dans cet esprit, Jesús Castañer du magazine espagnol Scherzo, membre du jury ICMA, a rencontré le compositeur.
Vous avez écrit votre premier opéra, La Reine des neiges (2019), à l'âge de 62 ans. Avez-vous pensé à faire un opéra auparavant ?
Oui. J'avais prévu d'écrire un opéra en 1988, mais je n'ai jamais réussi à trouver la bonne histoire, et je n'avais pas non plus développé une écriture vocale propre pour faire quelque chose comme ça. C'est lorsque je composais Schnee (10 Canons pour 6 instruments), entre 2006 et 2008, que j'ai lu le conte de fées Snedronningen (La Reine des neiges) de Hans Christian Andersen, et j'ai tout de suite vu les possibilités de cette histoire. J'en ai été très ému. J'ai même écrit un livret moi-même, mais ça n'a pas marché, et en fait je crois n'en avoir jamais parlé à personne. Mais certaines des idées de Schnee ont été inspirées par ce conte. Prenez par exemple le deuxième canon, qui dans l'opéra apparaît dans la scène où Kay et Gerda sont sur une place de la ville et il lui montre à quel point les flocons de neige sont fantastiques, puis ils tournent pendant que les autres enfants jouent avec la neige. Quand j'ai écrit cette musique pour Schnee, j'avais déjà cette image en tête. Naturellement, lorsque l'Opéra Royal m'a demandé en 2012 si j'étais intéressée par l'écriture d'un opéra, j'ai rapidement répondu : « Oui, La Reine des Neiges ».
En fait, le lien entre La Reine des Neiges et Schnee est si fort qu'à certains moments on peut avoir le sentiment que le premier est en quelque sorte contenu dans le second. Par exemple, le premier canon de Schnee apparaît dans le prélude de l'opéra et réapparaît vers la fin, lorsque Gerda est avec Kay dans le château et ne sait pas comment le réveiller. Mais alors que dans le Prélude la « réponse » était au début de la phrase, dans cette autre scène elle est à la fin. Tout comme dans Schnee. C'est alors qu'une larme tombe de l'œil de Gerda ; c'est-à-dire que la « réponse » est enfin trouvée.
C'est un point intéressant. Je n'y avais jamais pensé. En effet, dans Schnee, je travaille avec deux phrases canoniques : d'abord vient la « réponse », puis vient la « question », et à la fin de chaque canon cet ordre est inversé. Autrement dit, au début, nous avons déjà la réponse, mais nous devons d'abord nous lancer dans un voyage pour trouver la question. Et ce n'est que lorsque nous avons la question, à la fin, que nous réalisons que la réponse était en nous depuis le début, nous n'en étions tout simplement pas conscients. Parfois, nous avons les réponses, mais nous ne pouvons pas croire qu'elles soient si simples.
Le Budapest Festival Orchestra (BFO), fondé par Iván Fischer, entame sa quarantième saison. La phalange hongroise se produira sous la baguette de son fondateur mais aussi avec des chefs d'orchestre et des solistes tels que Lahav Shani, Paavo Järvi, Gérard Korsten, Yefim Bronfman, Anna Vinnitskaya et Veronika Eberle. Iván Fischer a accordé un entretien exclusif à notre collègue Dávid Zsoldos du média hongrois Papageno (membre du jury des ICMA). Lors de cet entretien, il aborde son parcours avec son orchestre, mais aussi la manière de faire s'il commençait à monter un orchestre aujourd'hui.
Vous souvenez-vous de la sonorité de l'orchestre du festival lors de sa première saison ?
Parfois, je travaille avec des orchestres de jeunes et mes souvenirs me reviennent, et je me rends compte que c'est ainsi que sonnait le BFO dans les premières années. L'enthousiasme de la jeunesse a quelque chose de charmant et de captivant, mais en même temps, bien sûr, il est indiscipliné et parfois irrépressiblement rapide. La plus grande différence réside peut-être dans la manière dont nous gérons le temps. À l'époque, l'orchestre était comme un véhicule à moteur turbo, ou un cheval de course, il aurait été comme au galop tout le temps. Aujourd'hui, il est comme un cheval sensible, qui détecte et réagit à chaque mouvement et lit dans les esprits.
Dans quelle mesure les séances de travail locales prévalent-elles encore dans une scène musicale qui s'internationalise de plus en plus ? Peut-on entendre l'école hongroise de cordes, mondialement connue, dans le son du BFO ?
Je pense que oui. Bien qu'il y ait une différence significative entre l'école de violon de Transylvanie et la tradition de Budapest, le BFO est une combinaison des deux. Et n'oublions pas que notre école de violon est liée à l'école russe, créée à Saint-Pétersbourg par Lipót Auer. De nombreux professeurs de musique -Loránd Fenyves, Zoltán Székely, János Starker, et d'autres- ont emmené l'expérience de cette école jusqu'en Amérique. L'école hongroise des cordes est encore plus clairement audible ici, mais le fossé se rétrécit.
Quels sont les solistes et les chefs invités qui ont eu la plus grande influence sur le développement de l'orchestre ?
Au cours des 40 années d'existence du BFO, les visites de quelques artistes invités ont laissé une marque particulièrement profonde. J'aimerais commencer la liste par Sándor Végh, qui a pratiquement ouvert les yeux d'une génération d'instrumentistes à cordes. Parmi les solistes, Zoltán Kocsis, György Pauk, András Schiff, Leonidas Kavakos, et parmi les chanteurs Christine Brewer et László Polgár ont eu la plus grande influence sur nos musiciens. Mais Gábor Takács-Nagy, Jordi Savall, Reinhard Goebel et bien d'autres ont joué un rôle important dans notre développement.