Rencontres

Les rencontres, les interviews des acteurs de la vie musicale.

Sào Soulez-Larivière, altiste 

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L’altiste Sào Soulez-Larivière est récipiendaire du Prix Jeune artiste 2023 des International Classical Music Awards. Le jeune musicien s’entretient avec notre collègue Frauke Adrians du média Das Orchester pour évoquer son parcours et son actualité.

 Comment s’organise votre emploi du temps ? 

En ce moment je suis aux deux endroits ! L'année dernière, j'ai terminé mon Bachelor à Berlin à la Hochschule für Musik Hanns Eisler Berliner avec Tabea Zimmermann, et maintenant je fais en quelque sorte la navette entre Berlin et la Kronberg Academy, où je suis les cours  en vue de l’obtention de mon Master. Là aussi, je continue mes cours avec Tabea Zimmermann.

Est-elle votre modèle -peut-être même dans le sens où vous aimeriez enseigner comme elle un jour ?

Oh oui ! C'est un très grand privilège d'étudier avec une artiste comme Tabea Zimmermann. Je suis toujours fasciné et ravi de voir à quel point elle reste fidèle à la musique et à quel point elle est capable de transmettre cela à ses élèves. De mon côté, j'ai déjà pu aider certains élèves en classe et j'ai remarqué à quel point vous en apprenez sur les autres -et même sur vous-même ! J'en suis très reconnaissant et je veux continuer.

Vous avez une vingtaine d'années, mais votre alto est encore plus jeune que vous : vous jouez sur un instrument fabriqué par le luthier Frédéric Chaudière en 2013. Un alto aussi « frais » est-il fait pour vous et pour le répertoire, qui est généralement déjà bien centenaire, que vous interprétez principalement ?

Très certainement. Mon alto me convient parfaitement : en termes de taille, mais aussi en termes de sonorité. Nous nous sommes cherchés et trouvés, pour ainsi dire ! Un musicien réalise très vite s'il a le bon instrument ; après tout, il passe toute sa vie avec. Je ne dirais pas qu'un instrument plus ancien est nécessairement meilleur qu'un instrument moderne, ils ont juste des qualités différentes. En fin de compte, cela dépend vraiment de la démarche sonore recherchée par l'instrumentiste.  « Trop frais » n'est certainement pas le propos de mon alto ! Ce qui est excitant, c'est que nous construisons quelque chose de nouveau ensemble. 

Comment en êtes-vous venue à jouer de l'alto ?

En fait, j'ai commencé à jouer du violon quand j'étais petit. Comme ma sœur aînée, qui est violoniste, j'ai étudié le violon intensivement avec Natasha Boyarsky à l'école Yehudi Menuhin en Angleterre, mais j'ai ensuite essayé l'alto dans des ensembles de chambre et l'orchestre en cours de route. Et c'est là que je suis tombé amoureux. C'était l'instrument qu'il me fallait ! Le timbre, la tessiture de l'alto : tout cela me tenait beaucoup plus à cœur qu'avec le violon. Bien sûr, ce changement d'instrument amène aussi des ennuis, il faut s'entendre avec une nouvelle clef par exemple, mais après on apprend ça. J'ai particulièrement aimé le sentiment d'être au milieu d'un ensemble à cordes. En tant qu'altiste, vous utilisez plus vos oreilles que votre voix, pour ainsi dire !

Mais en tant que soliste à l'alto, vous n'avez pas autant de répertoire à votre disposition qu'un violoniste…

Bien sûr, mais ce n'est pas forcément un inconvénient, bien au contraire ! En tant qu'altiste, vous êtes constamment mis au défi d'explorer les possibilités de votre instrument et d'ouvrir de nouveaux répertoires. On emprunte beaucoup au violon, au violoncelle, voire à la clarinette. J'aime beaucoup arranger des œuvres pour l'alto et essayer des partitions contemporaines, et quand je programme des concerts, j'aime le sentiment de repousser les limites du répertoire. L'idée que nous, les musiciens d'aujourd'hui, sommes de véritables pionniers, contribuant à façonner ce qui est jouable pour les futures générations de musiciens, je pense que c'est fantastique.

Okko Kamu, à propos de Sibelius 

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Ce n’est pas tous les jours que l’on peut s’entretenir avec une légende de la direction d’orchestre à propos d’un compositeur qu’il a tant servi au concert et au disque : le chef d'orchestre finlandais Okko Kamu.  Alors qu’il fait paraître un enregistrement de la version complète de La Tempête de Sibelius (Naxos), le grand musicien répond à nos questions.  

Vous avez enregistré La Tempête dans sa version originale et complète avec des solistes vocaux et un chœur. Quelle est la place de cette œuvre dans l'œuvre complète de Jean Sibelius ? 

Je crois que Sibelius avait un fort appétit pour le théâtre (l'une de ses filles est devenue actrice). Son ami de toujours, Axel Carpelan, l'avait encouragé à regarder de près les pièces de Shakespeare pour y trouver une éventuelle inspiration. Je pense que Carpelan avait plutôt Macbeth en tête, mais il était mort au moment où la proposition de mettre en musique La Tempête est parvenue à Sibelius depuis Copenhague. La productivité de Sibelius s'était alors calmée, mais il voyait dans la tempête météorologique de la pièce une réincarnation possible de son activité qui avait capté sa curiosité. En voyant cette Tempête sous cet angle, elle a dû avoir une grande importance pour lui en tant que compositeur.

Cette version originale de La Tempête, bien que très appréciée des amateurs de l'œuvre de Sibelius, reste assez marginale en concert et au disque. Si je ne me trompe pas, votre nouvel enregistrement n'est que la 2e version au disque. A votre avis, qu'est-ce qui explique cette "timidité" à programmer ce chef-d'œuvre ?

Je pense qu'aujourd'hui, il est plus habituel pour les chefs d'orchestre d'être invités à donner ou à choisir des programmes qui seront très applaudis.  Étant en grande partie l'accompagnement d'une pièce de théâtre, la partition de Sibelius n'a pas été conçue pour fournir cela. Même la Tempête -incontestablement un grand morceau de musique- n'est pas écrite pour être une vitrine musicale et exige une sensibilité délicate de la part des interprètes pour donner vie aux composantes shakespeariennes pour lesquelles elle a été composée. 

Cette œuvre, dans sa version intégrale, avec une musique parfois assez " abstraite ", avec une " beauté froide " dans ses effets, pose-t-elle des défis au chef d'orchestre ?

La musique de scène de Sibelius a toujours servi exactement l'expression scénique créée par le dramaturge et, dans cette représentation, nous y avons ajouté en accédant à l'intonation et au rythme de la langue danoise ainsi qu'aux caractéristiques nationales de plaisir et de facilité de ce pays, qui se reflètent dans le jeu orchestral.

Sibelius vous a accompagné tout au long de votre carrière et vous avez réalisé de nombreux enregistrements multi-platine. Votre vision du compositeur a-t-elle changé au fil du temps ? 

Il serait anormal que rien ne change ! Ma carrière s'est étendue sur plus de cinquante ans et a été marquée par de nombreuses influences, y compris des moments de remise en question. Parfois, je ne voulais pas enregistrer parce que je voulais être sûr de la pérennité de mes interprétations et j'ai eu raison de le faire. De plus, je veux que mes enregistrements évoquent l'esprit divin qui s'enflamme à ce moment avec la participation du public. C'est ce que nous avons dans cet enregistrement capté en concert et je pense qu'il a largement réussi à transmettre cet esprit créatif à l'auditeur.

Franck Russo, clarinettiste

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Le clarinettiste Franck Russo fait paraître chez Calliope un premier disque titré  “A la Nuit". Avec la complicité de la pianiste Laurianne Corneille et de la soprano Lia Naviliat Cuncic, il fait dialoguer Schumann et Schubert à la clarinette ou au cor de basset. Le musicien répond aux questions de Crescendo Magazine.

Votre nouvel album est consacré à des œuvres  de Schumann et Schubert. Pourquoi ce choix et comment avez-vous déterminé le programme ?

Je dirais que c'est tout d'abord Schumann qui a déterminé mon choix d'enregistrement quant à son tempérament musical et son caractère tant original qu'insolite. Eusébius et Florestan, son paroxysme, ses paradoxes ou bien ses contradictions m'évoquent beaucoup de choses depuis mes études au conservatoire, notamment avec Daria Hovora en classe de musique de chambre en sonate avec piano. Je pense que Robert Schumann est l'un de mes compositeurs favoris, chez qui je me retrouve souvent et avec qui j'arrive à m'exprimer à la fois tendrement et avec feu, avec folie... Schubert lui, s'associe tout naturellement avec Schumann, il est aussi une figure emblématique du Lied allemand et exprime une vocalité toute particulière, c'est à cet instant, dans ce choix de dualité que sont entrés dans l'aventure la voix de soprane ainsi que le cor de basset, voix d'alto... 

Ces deux compositeurs ne sont pourtant pas naturellement associés au répertoire pour clarinette ?

Alors si, ils le sont profondément mais assez discrètement, puisqu'aujourd'hui, il est vrai que les enregistrements de disques avec clarinette autour de Schubert et Schumann sont plus que rares.  Mais je voulais marquer une originalité, clairement, surtout dans un premier disque. Leur affection respective pour l'instrument est pourtant évidente, en premier lieu dans la musique de chambre à l’image de la Fantasiestücke de Schumann. Cette partition est composée originalement pour clarinette mais elle est désormais beaucoup plus jouée au violoncelle.  C’est une pratique que j’ai reprise en jouant à la clarinette les Cinq Pièces dans le Style Populaire Op. 102 de Schumann ou l'Arpeggione de Schubert... et ça marche ! Dans le répertoire symphonique, les deux compositeurs nous ont gâtés avec de magnifiques soli... 

 L’album porte le titre de la “A la nuit”. Pourquoi ce titre ?

Alors ce choix est venu tout à fait naturellement quand on a exploré les textes des Lieder, "Nacht", la Nuit était partout. Ce sont des mélodies si tendres, affectueuses, douces, parfois tourmentées, remplies d'amour que le moment de la nuit se trouve être le moment idéal, peut-être pour écouter cette musique ; ou alors j'ai voulu guider les auditeurs vers cet instant, et prendre le temps, se poser, écouter et respirer, se reposer... 

Pourquoi alternez-vous la clarinette avec le cor de basset ?

Tout simplement car j'avais en premier lieu envie de mettre à l'honneur cet instrument rare et si cher à Mozart... Il est aussi la voix d'alto ou de ténor et même parfois de baryton. Je chante donc avec la soprane, dialogue et raconte, dis les textes des Lieder des auteurs avec qui Schubert et Schumann ont collaboré... Je peux tout aussi bien, grâce aux timbres différents de ces clarinettes, exprimer tous ces sentiments de la Nuit. Dans la Romance d'Hélène de Schubert qui est composée pour orchestre et soprano (extrait de son Singspiel en un acte), c'est normalement la clarinette en si bémol (soprano) qui accompagne Hélène. Ici, j'ai fait le choix d'un arrangement pour cor de basset car, n'ayant pas l'orchestre, je pouvais terminer dans le grave les phrases d'introductions et cadences des bassons et violoncelles, ce que je ne pouvais pas faire à la clarinette. J'exploite ainsi tout le registre de l'instrument ainsi que ses possibilités d'expression... Dans l'Adagio et Allegro de Schumann, originellement pour cor, il me semblait opportun d'utiliser le cor de basset (du même registre), "petite basse" dans le jargon des clarinettistes et montrer une sonorité toute aussi particulière parfois même proche d'un cor cuivré. Mendelsohn l'avait utilisé dans ces Konzertstücke et après, pendant presque un siècle, il a disparu... Strauss l'a remis à l'honneur ensuite ! C’est un instrument que j'aime et comme je suis en quelque sorte ambassadeur de la marque Buffet Crampon, mon rôle est de faire découvrir des choses nouvelles ou si peu connues à mon public. 

Gwendal Giguelay, à propos des Études de Chopin 

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Le pianiste Gwendal Giguelay fait paraître un album consacré à des œuvres de Chopin. Cet enregistrement propose les  24 Études et la Berceuse, Op.57. Le pianiste nous narre la genèse d’un album lié à une histoire personnelle.  

Qu’est-ce qui vous a motivé à enregistrer les 24 Études de Chopin ?

Le projet a d’abord été de les interpréter en concert, ce que j’ai fait à plusieurs reprises. Les enregistrer a donc été une continuité naturelle de cette expérience, d’autant que s’enregistrer fait partie intégrante du travail du musicien, qui progresse toujours en s’écoutant « de l’extérieur ».

Pour les pianistes, les Études de Chopin représentent une sorte de panthéon, et les enregistrements de référence sont légion. C’est donc aussi une sorte de défi personnel auquel je me suis attelé, qui me permet d’aborder la suite du répertoire pianistique avec une nouvelle « arme » !

Pourquoi compléter ce cycle par  la Berceuse, op. 57 ? 

 Je trouve que la Berceuse prend tout son sens au regard des Études : la technique employée semble faire écho à certaines d’entre elles, et elle me semble être un regard en arrière de Chopin sur ses opus 10 et 25. C’est une pièce magnifique, que j’ai beaucoup jouée et avec laquelle j’ai souvent clôs mes concerts d’Etudes. Elle ramène au calme, à la sérénité, après une ascension de l’Everest très mouvementée ! C’était donc tout naturel qu’elle figure sur l’enregistrement. 

Vous avez également rédigé le livret de cet album et j’ai lu que vous organisez autour de ce projet des séances de méditation. Pourquoi aller plus loin que le simple enregistrement ? 

 Les deux opus contiennent à eux deux la quintessence du langage de la première moitié du XIXe siècle. Ils ne sont pas si souvent joués en concert, or je trouve qu’ils offrent un véritable voyage en terre romantique. Les faire découvrir en live est toujours un bonheur pour moi qui les ai découverts, enfant, grâce au disque. Je suis également enseignant et j’interviens depuis longtemps dans divers contextes pédagogiques : quel meilleur vecteur que ce répertoire pour transmettre l’émotion musicale ?

Gabriel Schwabe, violoncelliste 

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"Un violoncelliste de haut vol, doté d'une grande capacité créative et d'une maîtrise phénoménale de son instrument" : c'est ainsi que le critique musical Norbert Hornig décrivait, il y a cinq ans, le jeune violoncelliste Gabriel Schwabe. Né à Berlin en 1988, ce musicien ne cesse de combler le public et les critiques, en particulier grâce aux albums qu'il a enregistrés sous le label Naxos avec lequel il collabore depuis 2015. Lors de la remise des prix des International Classical Music Awards, le 21 avril prochain à Wroclaw, il représentera Naxos, qui a remporté le Prix de label ICMA de l'année. Frauke Adrians, du magazine Das Orchester, membre du jury de l'ICMA, s'est entretenue avec Gabriel Schwabe.

Gabriel Schwabe, sur votre dernier CD, vous interprétez des ballades de Chostakovitch et Prokofiev, entre autres. Vous sentez-vous particulièrement à l'aise dans cette musique ?

J'ai une affinité naturelle avec le XXe siècle -c'est le répertoire auquel j'ai le plus facilement accès. Mais cela ne signifie pas que j'y suis enfermé. En général, je suis aussi très à l'aise avec tout ce qui est romantique. En tant que soliste, il est bon d'avoir un large éventail de répertoires. Et en tant que violoncelliste -contrairement au piano ou au violon- vous êtes en mesure de connaître toutes les œuvres essentielles de la littérature. Si vous avez ensuite la liberté de découvrir de temps en temps quelque chose de nouveau, vous pouvez vous estimer heureux. Je m'attaque volontiers à quelque chose de plus méconnu si c'est une musique dont je suis convaincu à cent pour cent.

Comme le concerto pour violoncelle Oration de Frank Bridge sur votre  dernier disque  ?

Exactement. C'est une musique qui mérite vraiment d'être redécouverte. Avec le label Naxos, j'ai longtemps bricolé un concept pour ce CD. Rétrospectivement, il est étonnant que nous ayons bricolé si longtemps, car le couple Bridge-Elgar est en fait évident. Les deux compositeurs ont écrit leurs concertos sous l'impression de la Première Guerre mondiale, et leurs œuvres sont proches l'une de l'autre en termes de contenu et d'émotion. Seulement, l'Oration de Bridge a été presque oubliée peu après sa création, alors que le concerto d'Elgar est resté connu et populaire tout au long de son histoire.

Lorsque l'on entend le Concerto pour violoncelle d'Elgar, on pense inévitablement à Jacqueline du Pré. Est-elle -ou d'autres maîtres anciens du violoncelle- un modèle à émuler pour vous ?

Jacqueline du Pré -et je pourrais citer d'autres "maîtres anciens"- est une importante source d'inspiration pour moi. Seulement, lorsque vous jouez le concerto d'Elgar, vous ne devez pas faire l'erreur d'essayer de suivre les traces de du Pré. Je pense que chaque violoncelliste et chaque violoniste en arrive à ses interprétations personnelles. Pour moi, l'étude des grands prédécesseurs et de leurs enregistrements est très enrichissante et m'incite à trouver ma propre voie musicale.

Naxos vous laisse-t-il la liberté de choisir le répertoire de vos enregistrements ?

Oui ! Nous préparons les projets conjointement ; c'était déjà le cas pour l’album avec les œuvres de Saint-Saëns pour violoncelle et orchestre, que j'ai enregistré avec l'Orchestre Symphonique de Malmö dirigé par Marc Soustrot en 2017. La collaboration avec Naxos est excellente ; avec ce label, je peux enregistrer n'importe lequel de mes disqes avec des orchestres de premier ordre et de grands chefs.

Tamara Stefanovich, pianiste

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Fêtant cette année leur dixième édition, les Flagey Piano Days sont chaque année le rendez-vous à la fois des pianistes et des pianophiles curieux d’entendre valeurs confirmées et talents prometteurs de l’instrument classique se produire dans un répertoire souvent inattendu et toujours choisi par les interprètes.

Parmi les récitals les plus attendus figure certainement celui de l’aussi brillante qu’aventureuse pianiste serbe, Tamara Stefanovich qui a accepté de répondre à nos questions depuis son domicile berlinois. 

Votre programme qui fera entendre pas moins de dix sonates en une heure de temps sort résolument de l’ordinaire. Comment l’avez-vous choisi ?

En fait, je travaille un peu comme le ferait un bon cuisinier qui combinerait différentes saveurs. Lors de mes études au Curtis Institute de Philadelphie, je me rendais souvent à la Fondation Barnes -ce lieu extraordinaire où les œuvres ne sont pas montrées par ordre chronologique ou par école, mais par affinités artistiques- et cela m’a beaucoup marquée.

Je suis une passionnée de musique de notre temps et j’essaie ensuite de constituer des familles musicales apparentées par l’esprit plutôt que par la généalogie. Ce programme comportait à l’origine 20 sonates et je l’ai interprété il y a près d’un an au South Bank Centre de Londres. 

En fait, le problème est que les grandes sonates du répertoire sont trop jouées. Et que, trop souvent, on va au concert pour écouter ce qu’on connaît déjà et juger l’interprétation plutôt que l’œuvre. Franchement, je n’aime pas cette idée. Je me vois à la fois comme une détective et une archéologue : j’aime découvrir et faire découvrir des choses, et j’essaie de jouer, même pour mon usage personnel, tout ce qui existe, d’autant plus que j’ai la chance d’avoir une bibliothèque musicale extraordinaire chez moi. 

Pour revenir à votre question, j’ai réfléchi à l’histoire de la sonate, depuis ses débuts à l’époque baroque jusqu’à nos jours, sur une période de près de 300 ans. Comment l’habiter ?

Et ici, j’essaie de trouver une fraternité, des œuvres qui se répondent. On peut par exemple établir des parallèles entre C.P.E. Bach et Busoni (dont la Sonatina seconda est une espèce de fantasme) et le côté amateur et la naïveté de Ives. La Troisième sonate de Hindemith est passionnante, et j’aime retrouver des pièces souvent négligées ou même oubliées et montrer la fraternité qu’elles entretiennent, car ce sont des œuvres fortes qui doivent être entendues et exister.

Véronique Gens, la Voix humaine 

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C’est l’une des parutions les plus attendues de ce début d’année : le nouvel enregistrement de La Voix Humaine de Poulenc par Véronique Gens accompagnée de l’Orchestre National de Lille sous la direction d’Alexandre Bloch (Alpha). Alors qu’elle vient de triompher, en concert, à Lille et Paris, la grande chanteuse répond aux questions de Crescendo-Magazine.  

La Voix humaine de Poulenc est une œuvre très particulière dans le répertoire lyrique. Qu’est ce que cette partition représente pour vous ?  Quel a été votre premier contact avec elle ?  

C’est une œuvre que j’ai longtemps eu peur d’aborder pour multiples raisons : la longueur de cette « scène lyrique », un monologue sans aucun répit  ; sa durée avec quarante cinq minutes d’une intensité vocale et d’une violence psychologique que j’appréhendais beaucoup. C’était comme une chose inévitable et inaccessible à la fois. Il fallait être prête à de multiples points de vue : vocalement car l’orchestre est très lourd et large ; physiquement car c’est une pièce longue, et évidemment psychologiquement du fait de la   violence incroyable. Jean-Claude Malgoire m’en a parlé le premier.  Pendant des années, il m’a poussée à l’aborder ; j’ai finalement accepté de m’y frotter parce  que c’était lui, parce que c’était dans l’intimité idéale du Théâtre de Tourcoing et de son Atelier lyrique où j’ai eu la chance de faire tant de prises de rôles. Il a assisté à la première et nous a quittés le lendemain.

L’interprétation de La Voix humaine a été marquée par des grandes artistes, Denise Duval, Janes Rhodes, Françoise Pollet, Felicity Lott. Est-ce que leurs interprétations  sont pour vous une source d’inspiration ? 

Bien sûr,  j’ai vaguement écouté les versions dont vous parlez,…mais je n’aime pas trop essayer de copier les autres et j’aime bien me faire ma propre idée d’une pièce quand je l’aborde pour la première fois.  J’ai beaucoup réfléchi au texte de Jean Cocteau et, comme je le fais toujours, j’ai tenté de le dire tout simplement, avec honnêteté et sincérité. C’est un texte très moderne, comme une simple conversation qui pourrait avoir lieu aujourd’hui ( sauf la dame qui vous met en relation avec votre correspondant, et l’autre dame qui écoute votre conversation…quoique …aujourd’hui on peut hacker votre téléphone !)

Qu’est-ce qui vous a poussée à enregistrer cette œuvre ? Est-ce qu’elle est l’aboutissement de votre réflexion artistique qu'incarnent les albums "tragédiennes" ?  

J’ai passé une bonne partie de ma vie de chanteuse à interpréter des femmes trahies, trompées, abandonnées et malheureuses mais toujours amoureuses.  Cette pièce est un concentré de toutes ces femmes désespérées, de ces  tragédiennes folles amoureuses, et je commence à avoir une sacrée expérience de la façon dont je veux les interpréter. La clef est juste la sincérité. On ne ressort pas indemne de ces rôles lourds psychologiquement et on y laisse toujours une partie de soi, même si on sait que ce n’est que du théâtre.

Lanzelot de Paul Dessau, retour sur une production éditorialement majeure 

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Le label berlinois Audite propose un enregistrement du rare Lanzelot du compositeur Paul Dessau (1894-1979), par les forces musicales du Théâtre National de Weimar sous la direction de Dominik Beykirch. Cette parution est tirée d’une production scénique mise en scène par  Peter Konwitschny qui a remporté un grand succès. Crescendo a voulu en savoir plus sur les coulisses de cette parution importante pour notre connaissance du répertoire lyrique du XXe siècle. Nous remercions vivement Bettina Bartz, dramaturge ; Hans-Georg Wegner, ancien  directeur pour l’opéra au Deutschen Nationaltheater de Weimar (DNT) et Susann Leine, du service communication du DNT pour leurs précieuses contributions à cette interview. 

Qu'est-ce qui a motivé le Théâtre National de Weimar à programmer une nouvelle production et à enregistrer ce Lanzelot de Paul Dessau ? 

 Nous étions à la recherche d'une œuvre pour une coproduction avec l'Opéra d'Erfurt. Hans-Georg Wegner, notre directeur de l'époque, s'est souvenu que le metteur en scène Peter Konwitschny cherchait depuis de nombreuses années une maison avec laquelle il pourrait monter l'opéra Lanzelot. Peter Konwitschny connaissait très bien les auteurs de cet opéra légendaire, il connaissait donc l'esprit dont l'œuvre était issue.

Quelles étaient les intentions et la conception de la mise en scène de Konwitschny  ? 

Pour nous, le plus important était que la production ne porte pas un regard nostalgique sur l'époque où cet opéra a été écrit, mais qu'elle prouve sa validité encore aujourd'hui. En RDA, le dragon était au centre, en tant que symbole de l'État de surveillance dictatorial. Dans la production de Peter Konwitschny, le centre d'intérêt s'est déplacé : le public a eu l'impression d'être impliqué, car le metteur en scène a mis l'opéra en scène comme l'histoire d'une société installée dans des conditions intenables et mauvaises et qui a peur d'y changer quoi que ce soit. Ce n'est pas tant l'histoire du dragon d'aujourd'hui, mais celle d'un peuple accomodant et craintif, qui sait que tout est faux mais qui préfère un peu de sécurité à l'audace de la liberté. C'était très excitant de voir que cette véritable œuvre d'art peut être lue encore et encore. Dans notre production, l'énorme quantité de percussions fait partie du dragon (8 percussionnistes supplémentaires sur scène). Ainsi, la partie agressive et brutale de la musique constitue, avec évidence, un symbole du pouvoir oppressif et ne peut pas être considérée comme un manque de compétences du compositeur à écrire de la belle musique.

Quelles sont les qualités musicales et dramaturgiques de ce Lanzelot

La liste est trop longue pour être précisée ici. Dessau était un compositeur qui connaissait bien le domaine de l'opéra. Il a utilisé toutes ses connaissances pour écrire des scènes courtes avec une action complexe et une "musique de scène" toujours adaptée à la scène, au sens profond de l'action. Sa musique ajoutait une deuxième "couche" aux mots du livret. Le livret de Heiner Müller, quant à lui, était suffisamment concis pour laisser la place au compositeur. 

Qu’est ce qui vous a motivé à réaliser un enregistrement audio  de cette production ? 

Après que nous ayons communiqué sur le projet de produire scéniquement cet opéra, un responsable de la station de radio publique MDR Kultur nous a approchés avec la proposition de réaliser une captation live de la production qui serait ensuite diffusée. Nous avons estimé qu'il s'agissait d'une excellente occasion de faire connaître cet opéra à un public plus large. Le Label Audite a utilisé cet enregistrement pour l'album. 

Sophie Pacini, un récital en forme de puzzle 

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La  pianiste Sophie Pacini, qui fut jeune artiste des International Classical Music Awards 2017, fait paraître un nouvel album intitulé Puzzle (Fuga Libera).  Ce récital propose un parcours personnel avec des œuvres de Chopin et de Scriabine. Crescendo Magazine est heureux d’échanger avec cette formidable musicienne. 

Votre nouvel album s'appelle "Puzzle" ? Pourquoi avoir choisi ce titre ? 

J'ai décidé, le plus honnêtement possible, de mettre ma vie à l'envers, d'être moi-même et de laisser mes émotions attacher les pièces du puzzle qui forment ma vie jusqu'à présent à une chaîne de notes. Nos concerts sont basés sur des souvenirs, des impressions et des attentes qui sommeillent en nous comme la somme de nos expériences, de nos vies. J'en fais ici l'expérience à travers la musique de Chopin. C'est clairement ainsi que Scriabine se voit dans Chopin -c'est ainsi que la musique de film est créée et que les images apparaissent dans le miroir de ce que nous entendons ; c'est ainsi que la perception se développe et que la bande sonore de nos vies est créée.

Vos albums ont souvent des titres, est-il important pour vous de vous raconter une histoire au-delà de la musique ? 

Pour moi, il existe une combinaison naturelle entre la musique et les événements quotidiens de ma vie. Chaque composition partage une histoire en soi, chaque jour de la vie qui passe laisse une trace et, ensemble, ils créent comment la musique se fixe dans ma moëlle et comment ils créent un titre de souvenirs. Les couleurs et les images que je relie aux morceaux et à l'ensemble du programme que je choisis font également partie de cette histoire. La musique classique peut s'expliquer d'elle-même au moment où vous l'écoutez, mais avant cela, il y a un titre qui doit conduire et attirer l'auditeur potentiel vers une certaine route d'attentes pour rejoindre ce voyage très personnel de mon album. Et ainsi être capable de flotter à travers les chapitres de sa vie et les chambres de son âme. 

Cet album contient des œuvres de Chopin et de Scriabine. Pourquoi ces deux compositeurs ? 

Chopin est l'un des compositeurs qui m'ont aidé à grandir émotionnellement et c'est aussi un compositeur avec lequel j'ai partagé beaucoup des chapitres les plus formateurs de mon développement pianistique. Il a été une épaule sur laquelle m'appuyer pendant mon adolescence et a fait partie intégrante de tous mes programmes de concert. Sans Chopin, je ne peux exister. Et Scriabine offre une fenêtre sur le monde après Chopin, un aperçu provisoire d'une époque de déclin, d'oubli, de regards lugubres vers le passé, de complaisance et d'un faible espoir que la vue du squelette du nouveau siècle ne soit qu'une phase. J'ai donc voulu attirer l'attention sur ce compositeur, pour moi totalement "sous-représenté" dans les concerts, en utilisant le projecteur de Chopin. Car Scriabine est pour moi une facette complète de l'héritage de Chopin, développant et créant une nuance tonale unique du présent dans le miroir du passé et du futur dans le miroir du présent.

Jérémie Conus, à propos de la musique pour piano d’Arthur Honegger et Frank Martin 

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Le pianiste  Jérémie Conus fait paraître un premier album  qui propose des œuvres pour piano des compositeurs  Arthur Honegger et Frank Martin (Prospero). Ce choix éditorial qui sort des sentiers battus est remarquable et Crescendo-Magazine a voulu en savoir plus. Rencontre avec un jeune musicien épatant. 

Qu'est-ce qui vous a orienté vers l'enregistrement de cet album consacré à des œuvres d'Arthur Honegger et Frank Martin ? 

La musique de ces deux compositeurs m'est particulièrement proche. Il y a quelques années, en m'intéressant de plus près à la musique pour piano de différents compositeurs suisses, j'ai appris à mieux connaître la musique d'Arthur Honegger et de Frank Martin et je suis immédiatement tombé sous le charme de leurs univers sonores incroyablement riches et intenses. Parallèlement, la légèreté et l'élégance françaises de certaines pièces d'Arthur Honegger m’ont beaucoup touché. Bien qu'Honegger ait longtemps orné notre billet de 20 francs et que nous le considérions très volontiers comme citoyen suisse, nous ne devons pas oublier qu'il a vécu et travaillé en France pendant la plus grande partie de sa vie. Cette fibre française est donc facile à reconnaître  dans sa musique. 

Depuis mes premières rencontres avec les œuvres de ces deux compositeurs, ils occupent une place de choix dans mon activité musicale, et l'on retrouve l'une ou l'autre de leurs œuvres dans la plupart de mes programmes solo. J'ai donc assez rapidement décidé de consacrer mon premier CD à ces deux compositeurs.

C'est une proposition éditoriale courageuse pour un premier disque. Était-il important de sortir des sentiers battus et de faire cet album au programme original ? 

Oui et non. Pour cette production, il ne s'agissait pas en premier lieu de créer quelque chose d'original pour le seul plaisir d'être original. C'est plutôt que je me suis personnellement senti très attiré par la musique de Honegger et Martin, me sentant très à l’aise dans leur univers musical. C'est pourquoi l'enregistrement de cette musique était en premier lieu un souhait purement personnel. Le fait que cette musique soit comparativement moins jouée, et encore moins enregistrée, m'a encore plus conforté dans mon projet. Je voulais contribuer activement à faire connaître cette musique extraordinaire à un plus large public.

Est-ce qu'il y a des points communs entre les univers pianistiques de ces deux grands compositeurs que sont Arthur Honegger et Frank Martin ?

Les deux compositeurs ont en commun le fait qu'ils ne sont pas connus en premier lieu pour leur œuvre pour piano. On connaît davantage leur musique vocale et scénique (Le vin herbé (Martin), Le roi David (Honegger), ou encore les 5 symphonies de Honegger. L'œuvre pour piano des deux compositeurs se compose principalement de pièces de caractère plutôt courtes, la Fantaisie sur des rythmes Flamenco (Martin) et la Toccata et Variations (Honegger) constituant ici les seules exceptions. D'un point de vue stylistique, on peut parfois retrouver quelques points communs, tels que l'utilisation fréquente, malgré un langage musical plus moderne, d'accords majeurs et mineurs pour ainsi dire très traditionnels, enchaînés d'une manière inédite. Mais comme ils ont tous deux leur propre langage individuel, cela ne se remarquera sans doute qu'avec une approche analytique attentive de leurs œuvres et non pas lors d’une « simple » écoute.

Est-ce qu'il y a une dimension "suisse" dans l'œuvre de ces deux compositeurs ? 

C'est une question très intéressante que je me suis posée à plusieurs reprises au cours des dernières années. Ce qui est particulièrement frappant dans la musique, c'est le fait que la petite Suisse a été fortement exposée aux influences de ses grands voisins, et l'est encore à certains égards. En l'absence de grands centres culturels en Suisse à l’époque, de nombreux artistes se sont tournés vers l'étranger. Ainsi, Honegger a travaillé une grande partie de sa vie à Paris et était membre du « Groupe des Six » (l'association de six compositeurs, parmi lesquels figuraient notamment Francis Poulenc et Darius Milhaud). On retrouve donc dans la musique de Honegger de nombreuses caractéristiques stylistiques françaises. 

Frank Martin, quant à lui, s'est installé aux Pays-Bas, même si ce n'est qu'après une longue période de création en Suisse. Si l'on peut reconnaître dans sa musique de nombreuses influences du romantisme français (Fauré et Franck), sa musique présente de manière plus évidente encore des caractéristiques de l'école expressive d'Arnold Schönberg. 

Il est donc difficile de parler d'une véritable dimension helvétique dans l'œuvre de ces deux compositeurs. Personnellement,  si l’on tient compte de la modestie d’un petit pays tel que la Suisse, j’aurais envie de dire qu’on pourrait voir une « spécificité suisse » dans leurs tendances à une forme de musique plutôt réduite (du moins dans leur œuvre pour piano),  ou encore au travers de leur modestie envers une virtuosité instrumentale excessive.