Célébration de compositrices par The Hague String Trio

par

Celebrating Women ! Miriam Hyde (1913-2005) : Trio à cordes. Emmy Frensel Wegener (1901-1973) : Suite pour violon, alto et violoncelle. Dame Ethel Smyth (1858-1944) : Trio à cordes en ré majeur op. 6. Irene Britton Smith (1907-1999) : Fugue en sol mineur. The Hague String Trio. 2021. Notice en anglais et en néerlandais. 61.00. Cobra 0083.

La violoniste Justyna Briefjes, l’altiste Julia Dinerstein et la violoncelliste Miriam Kirby ont constitué The Hague String Trio en 2006. Ces trois instrumentistes qui se sont rencontrées à La Haye ont voulu partager leur amour pour la musique de chambre, au-delà de leur présence, pour Justyna et Miriam, parmi les membres du Residentie Orkest in Den Haag, et, pour Julia, de son activité pédagogique dans plusieurs conservatoires hollandais. Le répertoire du trio s’intéresse aux compositions moins fréquentées, notamment celles de créateurs de notre temps comme Robin Holloway ou Arne Werkman, tout en élargissant leur horizon par des collaborations avec d’autres instrumentistes, comme les pianistes Daniël Kramer ou Ksenia Kouzmenko. En 2019, déjà pour le label Cobra, le Hague String Trio a publié un album intitulé After the Darkness, où figuraient des pages de Krása, Weiner, Kattenburg, Klein et Weinberg. L’éclectisme les conduit maintenant à proposer un programme audacieux et original, enregistré en avril 2021, qui consiste en premières discographiques mondiales de quatre compositrices.

Le programme débute avec l’Australienne Miriam Hyde, écrivaine, poète et pianiste, qui a étudié au Conservatoire d’Adelaïde, avant de prendre le bateau en 1932 pour poursuivre sa formation au Royal College Music de Londres. Reconnue comme soliste, elle donne des concerts avec des formations du cru, sous la baguette de chefs réputés comme Sir Malcolm Sargent ou Constant Lambert. A la fin des années 1930, elle retourne en Australie et s’établit à Sydney, où elle se marie. Elle compose dès lors régulièrement, laissant un catalogue diversifié et elle enseigne. La notice reproduit une phrase de Miriam Hyde qui exprime sa sensibilité : Je sens que ma musique peut être un refuge, où la beauté et la paix seront omniprésentes… le triomphe du bien sur le mal. Partagée entre poésie (elle a laissé plusieurs centaines de textes) et musique, Miriam Hyde a conservé son attachement pour un style postromantique, ce dont témoigne le Trio de 1932. Elle a alors dix-neuf ans et c’est l’époque où elle s’établit en Angleterre. Résolument impressionniste, l’œuvre, qui semble n’avoir jamais été donnée en public, contient de jolis moments mélodiques expressifs au cours desquels le dialogue entre les trois instrumentistes se construit de façon lyrique. Le double costume poésie/musique est revêtu avec une fine élégance par Miriam Hyde, dont ce Trio est la partition d’une prometteuse créatrice en devenir. 

Une Suite en cinq mouvements de l’Amstellodamoise Emmy Frensel Wegener permet de faire la connaissance d’une compositrice qui fut elle aussi tentée par l’écriture poétique. Son catalogue musical comprend plusieurs pages de musique de chambre (sextuor, quintette, quatuor…) et de pages symphoniques qui ont eu l’honneur d’être dirigées par Pierre Monteux à Amsterdam ou par Ernest Ansermet à Genève. Le caractère global est léger voire espiègle au fil de ces cinq petites pièces de 1925 qui, comme le précise la compositrice elle-même, prennent la forme d’un divertimento, seul l’Andante étant empreint d’une douce langueur. 

En fin d’album, une place est réservée à une Fugue d’Irene Britton Smith, native de Chicago, d’origine afro-américaine et indienne. Après une carrière dans l’enseignement public et avoir appris le piano, elle décide de rejoindre la Juilliard School de New York, déjà âgée de quarante ans, avant de se rendre à Paris où elle reçoit quelques leçons de composition de Nadia Boulanger à la fin de la décennie 1950. Son catalogue limité est marqué par l’influence française néo-classique. La présente Fugue, d’une durée de cinq minutes, est à considérer comme un charmant exercice d’école.

Malgré son originalité, le contenu de ce disque pourrait encourir le risque de ne pas obtenir une audience dépassant la simple curiosité. C’est sans compter sur la pièce maîtresse de l’affiche, à savoir le Trio opus 6, probablement de l’année 1884, de Ethel Smyth. Cette compositrice née à Londres,a été l’élève de Carl Reinecke à Leipzig un peu avant sa vingtième année, puis à Berlin auprès de Heinrich von Herzogenberg qui a beaucoup œuvré pour la connaissance des cantates de Bach et a introduit sa jeune élève auprès de Brahms, Clara Schumann, Grieg et Tchaïkowsky. De retour en Angleterre un peu avant 1890, Ethel Smyth a composé abondamment : plusieurs opéras, des pages symphoniques, de la musique de chambre et instrumentale, des mélodies. Elle s’est aussi fait connaître par ses prises de position féministes, combattant notamment pour obtenir le droit de vote ; elle a même subi pour cela la prison, où Sir Thomas Beecham, qui l’appréciait beaucoup, la visita, anecdote amusante racontée dans la notice. Son Trio, de belles dimensions (une demi-heure de musique), est une œuvre qui date des environs de 1884, composée pendant son séjour allemand. Ethel Smyth a alors un peu plus de vingt-cinq ans et est influencée par la tradition germanique. Cela nous vaut une partition romantique de grande qualité, où l’on apprécie des élans chaleureux de pâte brahmsienne dans l’Allegro initial et la fraîcheur de thèmes rustiques dans l’Allegretto grazioso. Le troisième mouvement, un Adagio ma non troppo, s’écoute avec un vif intérêt en raison de son caractère mélancolique et de son atmosphère lyrique, empreinte d’émotion. Le Trio s’achève par un Allegro molto vigoureux et dansant dont les côtés chatoyants sont bien dessinés. 

En proposant des pages en première discographique mondiale, The Hague String Trio fait œuvre utile. L’investissement des trois partenaires, leur entente complice, la souplesse de leur jeu et son homogénéité méritent plus qu’un intérêt d’inscription au répertoire, d’autant plus, répétons-le, que la présence du Trio de Dame Ethel Smyth est un atout majeur. On classera le présent album au nom de cette dernière compositrice qui n’est pas une oubliée du disque puisque l’on trouve des gravures de plusieurs de ses partitions chez Chandos, CPO, Virgin, Conifer, Naxos et quelques autres labels.

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : de 7 à 9 (Ethel Smyth)  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

  

 

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