Charlotte Haesens : une voix qui rit et danse 

par

« Du bout des yeux ». Café des Chansons. Ferré-Maparcerie-Brassens-Brel-Trenet-Haesen-Aznavour-Sarde-Nougaro-Legrand.  Charlotte HAESEN, soprano ; Robert LIS, violon ; Evelien JASPERS, violon ; Odile TORENBEEK, alto ; Anjali TANNA, violoncelle.2018-46’06-livret en anglais- pas de textes-chanté en français-Challenge classics- CC722780

Charlotte Haesen nous présente ici un bouquet de chansons françaises des années 50-60 y ajoutant elle-même une jolie composition, Qui protège les marins ? Née à Amsterdam en 1987, dotée d’une technique musicale accomplie, elle fonde divers groupes tour à tour indie-electro-jazzy-groovie-pop. Cette voix qui rit et qui danse est propulsée par une diction d’une clarté exemplaire à laquelle se joignent des qualités plastiques et rythmiques formidablement efficaces, encore renforcées par ses origines cosmopolites. L’émission très timbrée, véloce, ensoleillée se plie à une expression sensible et mesurée. De telles qualités font merveille avec le Paris canaille de Léo Ferré, Je me suis fait tout petit de Brassens, le fameux Débit de l’eau, débit de lait du grand Trenet, ou encore sa propre composition. Sa façon de rebondir, son sens vocal saltatoire font tournoyer des textes qui ne demandent qu’à s’envoler. La texture charnue d’un quatuor à cordes protéiforme, le Tobalita String Quartet, très éloquent, se love presque animalement autour d’elle. L’orchestration et le traitement du son renforcent l’énergie et les contrastes mettant en valeur des chansons moins célèbres comme Mon cœur est un violon, Isabelle, L’adolescente ou Orly. Toutefois, les rebonds vocaux sur les syllabes et le « e » muet chanté systématiquement conviennent beaucoup moins à Brel ou Aznavour (la «Bohèmmmmeu»). D’autre part, si le terme canaille est présent dans le  premier texte de Léo Férré, et si le sous-titre de «café des chansons» peut faire illusion, il n’en reste pas moins que le versant vénéneux de certaines des chansons se dérobe. Car c’est bien «au fond de leurs tripes» -et non «du bout des yeux» (sous-titre de l’album) !- que Brel ou Aznavour allaient puiser la force ravageuse de la Chanson des vieux amants ou de La Bohème. Parmi beaucoup d’autres, ils s’inscrivent dans la lignée d’Edith Piaf, elle-même issue d’un art de rue où filles de joie et autres fleurs de pavé jouent leur vie, n’hésitent pas à pousser la goualante, pleurent et font pleurer le bourgeois dans les cabarets de Montmartre. Pour rendre justice à ce répertoire issu du réalisme naturaliste, il est indispensable de faire pressentir l’arrière-plan socio-historique, techniquement d’introduire du legato dans le phrasé, d’explorer le pouvoir expressif d’émissions différentes et, avant tout, d’en accepter les larmes et la noirceur rédemptrice. Le talent de Charlotte Haesen mérite qu’elle ose s’y plonger ajoutant une nouvelle facette à son arc. Quant aux Moulins de mon cœur de Michel Legrand, le concours emphatique du baryton Thomas Oliemans ajoute le poids du sérieux à une page qui n’appelle que la désinvolture.

Son : 10- Répertoire : 8- Livret : 3- Interprétation : 8

Bénédicte Palaux Simonnet

 

 

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