Tout Mendelssohn ? Une aubaine !

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Edition Felix Mendelssohn (1809-1847). Musique symphonique, concertos, musique de chambre, œuvres pour piano seul, pièces pour orgue, oratorios, cantates et lieder. Divers interprètes. 2019. Pas de livret, mais plaquette reprenant le détail du contenu. Environ 60 heures. Un coffret Profil Hänssler de 56 CD HC19058. 

Ne cherchez pas : on n’a pas célébré en 2019 un anniversaire particulier de Felix Mendelssohn, ou alors ce serait celui de ses 210 ans ! Trêve de plaisanterie : quoi qu’il en soit, on accueille avec grand plaisir un ensemble de belle facture, qui regroupe, à de rares exceptions qui se situent dans le domaine des œuvres vocales, l’exhaustivité d’une production dont on peut affirmer, si c’était encore nécessaire, qu’elle confirme l’importance majeure d’un compositeur disparu trop jeune et qui a, nonobstant, légué à l’histoire de la musique de magnifiques partitions. Sur le plan pratique, on renouvellera le conseil déjà émis pour le coffret « Richter joue Rachmaninov et Prokofiev » du même éditeur, à savoir que, dans ce gros boîtier, chaque CD est inséré dans une pochette collée solidement. Si l’on n’y prend garde, cette protection se déchire. Cela n’empêche pas le plaisir de la découverte.

Les CD 1 à 6 sont dévolus aux onze symphonies de chambre et aux cinq symphonies pour orchestre. Les Heidelberger Sinfoniker sont dirigés par un spécialiste de Haydn, le chef allemand Thomas Fey, dans une intégrale qui a été enregistrée entre 2002 et 2009 et qui a fait sensation par son fougueux dynamisme, ses accents véhéments et sa mise en place impeccable. Fidèle à la pratique historique, Thomas Fey, qui a étudié avec Nikolaus Harnoncourt et a suivi des masterclasses de Leonard Bernstein, est depuis 1993 à la tête de cette formation de Heidelberg, la cité universitaire du Land du Bade-Wurtemberg, située sur les deux rives du Neckar. Il a malheureusement subi un grave accident de santé en 2014, ce qui l’a éloigné des podiums. L’hommage est d’autant plus fascinant, car cette intégrale que des critiques n’ont pas hésité à décrire comme « décoiffante » est exaltante. Si les symphonies pour cordes relient avec finesse et subtilité Mendelssohn à Haydn et à Mozart, les partitions orchestrales ont un geste magistral et décapant qui les glorifient, en particulier l’Italienne, dont le Saltarello visionnaire laisse pantois, et la Réformation, dont la grandeur est foudroyante. Rien que pour ces six CD initiaux, le coffret se justifie. 

Il serait fastidieux d’énumérer l’un après l’autre chaque disque de cette belle édition ou d’entamer des comparaisons discographiques. Ici, c’est le contenu global que l’on appréhende. On soulignera trois CD de bonnes versions des concertos pour piano (Benjamin Frith, Hugh Tinney), du radieux concerto pour violon de Tianja Wang, avec des orchestres qui les soutiennent bien. Plus loin, on trouvera aussi la rare Sérénade et Allegro op. 43 des années 1960 par la pianiste grecque Rena Kyriakou et Hans Swarowsky. Une première partie de la musique de chambre occupe plusieurs CD où voisinent, pour les quatuors à cordes ou avec clavier et les sonates piano-violoncelle, les visions des Quatuors Bartholdy, Fine Arts ou Aurora, du Duo Nomos et de quelques autres instrumentistes. Sans atteindre les sommets, tous ces musiciens font respirer les partitions. Trois disques sont réservés à la musique pour orgue, servis par Giulio Pavoni sur un bel instrument historique italien. 

Julia Varady et Fischer-Dieskau, grâce à quelques duos savoureux, entament la partie chantée que la soprano Gudrun Sidonie Otto, accompagnée au piano par Wolfgang Brunner, ou Die Singfoniker pour les voix mâles, défendent avec ardeur. A épingler : les brillantes ouvertures sur le CD n° 24 par Kurt Masur (Les Hébrides !) et le Gewandhaus de Leipzig qui nous ensorcellent avec le fabuleux retour de La Nuit de Walpurgis, sur le CD n° 29, autre sommet absolu du coffret ; les solistes, prodigieux, sont Annelies Burmeister, Eberhard Büchner, Siegfried Lorenz et Siegfried Vogel. Le Songe d’une nuit d’été dirigé par Walter Weller (non précisé) à la tête du Royal Scottish National mérite une mention, mais il y a plus féerique. 

Place à Helmut Rilling à Stuttgart pour plusieurs partitions : le rare opéra-comique Der Onkel aus Boston, le liederspiel en un acte Heimkehr aus der Fremde, la musique de scène avec solistes et chœurs Athalia, les oratorios Elias et Paulus. Rilling enlève ces architectures avec solennité et la dimension vivante et claire qui leur convient, il tient tête à la concurrence discographique et ne déçoit jamais, entouré de solistes de qualité, au nombre desquels on relève les noms de Christine Schäffer, Michael Schade ou Sabine Goetz. Rilling se charge aussi des Psaumes 42 et 98, où l’on admire Marlis Petersen ou Matthias Goerne. Nous en sommes déjà au CD n° 36, qui ouvre la porte à plusieurs disques de superbes pages chorales sacrées, dont se charge le chef allemand Nicol Matt, avec les forces du Bach-Collegium de Stuttgart ou la Philharmonie de Reutlingen, le Chœur de Chambre d’Europe étant à chaque fois d’excellente facture. La musique pour piano n’est pas oubliée : elle est confiée à une élève de Karl Engel, la Roumaine Dana Protopopescu, qui œuvre au sein de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth. Qu’il s’agisse des Romances sans paroles ou des autres pièces pour clavier telles que les Variations sérieuses, son interprétation nous comble par un lyrisme de bon aloi, une lumineuse clarté et une sonorité limpide. 

Quelques partitions de chambre, des quatuors par les Vogler ou les Minetti, ainsi que l’Octuor par les Solistes de Copenhague, viennent ensuite ; ces versions nous satisfont, sans nous impressionner. Le coffret s’achève par des lieder avec orgue ou guitare dans lesquels Markus Schäfer apporte un peu de fraîcheur, mais rien n’est transcendant. Dans la liste des interprètes que l’on peut lire sur le boîtier, l’éditeur a oublié le Trio Oïstrakh (David Oïstrakh, Sviatoslav Knushevitzky et Lev Oborin) qui se charge des Trios op. 49 et 66, versions anciennes, que Le Chant du Monde avait eu à son catalogue et qui sont demeurées, après plus de soixante ans, comme des références majeures. Par contre, on cherche vainement la trace de Walter Gieseking, pourtant annoncé.

Si l’on résume, on reconnaîtra qu’un coffret qui regroupe des versions de premier rang comme celles de Thomas Fey, Kurt Masur, Helmut Rilling avec ses chanteurs, Dana Protopopescu, Nicol Matt ou le Trio Oïstrakh est des plus alléchants. On sera un peu moins emballé par les concertos pour piano ou la musique de chambre, ainsi que par les lieder (malgré le duo Varady/Fischer-Dieskau) ; en ce qui concerne ces partitions-là, on se situe dans une honnête moyenne. Mais ne gâchons pas notre bonheur : cette édition Mendelssohn, qui puise largement dans le fond de l’éditeur, est à retenir. 

Note globale : 8

Jean Lacroix 

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