Une Tosca bien saignante…

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En fin renard toujours à la recherche d’histoires dramatiques reposant sur autant de destins contrariés, Giacomo Puccini a immédiatement été séduit par la pièce éponyme de Victorien Sardou. Le compositeur a pressenti dans ce sujet une magnifique occasion d’exploiter son talent naturel à décrire les passions humaines, et ainsi de faire briller sa veine unique qui s’inscrit dans le sillon du vérisme tout en le patinant d’un lyrisme généreux et vigoureux. L’œuvre repose sur un livret aux ressorts dramatiques accusés et sur trois personnages centraux au caractère assurément très fort, qui présentent chacun quelques failles permettant de leur dresser un profil psychologique des plus consistants. L’échec de la création de l’œuvre en 1900 a rapidement été oublié, de sorte que cet opéra figure parmi les incontournables du répertoire.

Aborder les trois rôles principaux (Tosca, Cavaradossi, Scarpia) représente donc par essence un défi pour les voix qui se lancent dans l’aventure. Si le personnage de Scarpia permet une approche assez homogène, tant il paraît uniformément cruel et pervers tout au long de l’œuvre, Cavaradossi exige davantage de souplesse et de variété d’expression tant il porte en lui toutes les tensions psychologiques nées d’une passion amoureuse mais aussi d’un contexte politique périlleux. Tosca, de son côté, exige une palette de couleurs et de nuances élargie, ainsi qu’une belle santé vocale, indispensable dès lors qu’il faut exprimer avec aplomb des sentiments très contradictoires, et ainsi passer de la tendresse amoureuse à l’hystérie vengeresse avec une même conviction.

L’actuelle production présentée à l’ORW est une reprise de la mise en scène classique, efficace et toujours de bon goût de Claire Servais, qui repose sur de superbes décors de Carlo Centolavigna et de non moins excellents éclairages d’Olivier Wéry.

Mises en valeur dans un tel écrin, les voix peuvent exprimer toute leur force, tout leur potentiel dramatique. A ce jeu, c’est incontestablement le Scarpia vindicatif de Marco Vratogna qui se distingue en premier. Le public frémit à chaque apparition de cette âme noire et manipulatrice à qui le baryton italien donne une épaisseur remarquable. Et on se prend à aimer détester le personnage jusqu’au bout. Pari gagné ! Le Mario Cavadarossi d’Achilles Machado cherche un peu ses marques au début de l’acte 1, mais il s’affirme progressivement, offrant une belle résistance héroïque à Scarpia à l’Acte 2 avant de trouver le ton juste dans le final, illuminé par un E lucevan le stelle réellement émouvant. Virginia Tola (Tosca) se montre un peu en retrait par rapport à ses deux comparses sur le plan vocal. Le timbre manque un peu de soyeux, et seuls les deux extrêmes de la tessiture et de l’expression semblent bien maîtrisés : le medium chaleureux des moments intimes et les aigus héroïques abordés avec vaillance mais aussi un rien de raideur. Sa présence scénique et son jeu d’actrice très convaincant concourent à gommer ces réserves aux yeux du public, qui l’a joliment ovationnée.

Sous la direction précise de Gianluigi Gelmetti, l’orchestre de l’ORW se montre à son meilleur (si l’on oublie les premières mesures de l’Acte 3, subitement hésitantes), distillant avec soin les couleurs les plus subtiles avant de s’enflammer dans de généreux tutti. Chef et orchestre participent ainsi pleinement à la réussite de cette très belle soirée italienne, telle que l’ORW s’en est fait une spécialité depuis l’arrivée de Stefano Mazzonis. Enfin, n’oublions pas d’accorder une mention spéciale aux petits rôles très bien tenus, au premier rang desquels le Spoletta de Pierre Dehret et le Sacristain de Laurent Kubla.

Jacques Holbeux

Liège, Opéra Royal, 27 novembre 2018

Crédits photographiques : Opéra Royal de Wallonie-Liège

 

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