Comme le Phoenix, le concerto de Różycki revit sous l’archet de Wawrowski

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Ludomir Różycki (1883-1953) : « Concerto Phoenix » pour violon et orchestre, op. 70. Piotr Ilyich Tchaikovsky (1840-1893) : Concerto pour violon et orchestre op. 35. Janusz Wawrowski, violon ; Royal Philharmonic Orchestra, direction Grzegorz Nowak. 2019. Notice en anglais, en polonais, en français et en allemand. 60.02. Warner 0190295191702.

Les disques dédiés à l’œuvre de Ludomir Różycki ne sont pas légion : on trouve un peu de musique orchestrale (dont les concertos pour piano et des poèmes symphoniques), de la musique de chambre (dont le beau Quintette avec piano op. 35), ou encore l’opéra Eros et Psyché. C’est donc avec plaisir et intérêt que l’on découvre son Concerto pour violon écrit pendant l’insurrection de Varsovie en 1944. Né dans cette même ville, ce compositeur polonais y étudie avec Zygmunt Noskowski qui fut aussi le professeur de Karol Szymanowski, avant de se perfectionner auprès d’Engelbert Humperdinck à Berlin, où il va s’installer pendant la période de la première guerre mondiale. De retour à Varsovie après le conflit, il est professeur au Conservatoire de Varsovie puis à celui de Katowice à partir de 1945. La notice du CD précise que dès 1939, il a des ennuis avec la Gestapo, refuse la protection de Richard Strauss et survit en donnant des leçons de piano. Lors de l’insurrection de Varsovie, sa maison va brûler avec les partitions qu’elle contient, ce qui décidera le compositeur à reconstituer certaines d’entre elles. 

Pour son Concerto pour violon, Różycki a fait appel en cours d’écriture à l’aide d’un soliste qui n’arriva pas à maîtriser l’ensemble ; l’œuvre demeura incomplète, ne fut dès lors pas créée et, malgré l’une ou l’autre tentative de reconstitution, la partition autographe resta dans les archives de la Bibliothèque Nationale de Varsovie. Une version des faits circule, selon laquelle le compositeur aurait enfoui le manuscrit dans une valise dans son jardin, où il aurait été retrouvé par des ouvriers travaillant sur les lieux longtemps après. Quoi qu’il en soit, le présent enregistrement est une œuvre remaniée, fruit d’une collaboration entre le compositeur Ryszard Bryla, qui a restauré la partie orchestrale, et Janusz Wawrowski qui s’est chargé de la partie de violon. Il s’agit donc ici d’une première mondiale au disque, gravée en novembre 2019 à Londres. 

Ce concerto « Phoenix », qui renaît donc de ses cendres, est un projet que portait Janusz Wawrowski depuis longtemps. Dans une note, il le met en parallèle avec la pandémie, estimant que la culture et l’art, salutaires pour chaque être humain, doivent transmettre un message d’espoir, porté ici par les concertos de Różycki et de Tchaïkowsky qui ont tous les deux été écrits à un moment très difficile dans la vie de leur créateur, précise-t-il : échec de son mariage pour l’auteur de la Pathétique et temps de guerre pour le Polonais. La partition de celui-ci est en deux mouvements, de tendance postromantique très marquée. La part faite au violon est fondamentale, l’orchestre lui servant de support pour un déroulement essentiellement lyrique, d’une clarté à la fois vive et dynamique. On ne parlera pas à proprement parler d’une découverte majeure, car le matériau de base ne fait pas preuve d’une grande originalité malgré ce qu’en dit le soliste : c’est une sorte de kaléidoscope de la musique de l’entre-deux-guerres, avec un puissant appel au néoclassicisme, des rythmes de ragtime, et des citations non camouflées mais au contraire manifestées. On pense notamment à Korngold, en particulier dans l’Allegro deciso qui contient de belles envolées et des entrelacs bienvenus entre l’orchestre et le soliste. Cette partition réhabilitée, qui n’est qu’une proposition par rapport au travail définitif que le compositeur en aurait fait si les circonstances lui en avaient donné la possibilité, est un hommage que l’on saluera en tant que tel.

Janusz Wawrowski (°1982), qui a été notamment l’élève de Salvatore Accardo et a déjà gravé plusieurs disques pour Warner, joue depuis 2018 le Stradivarius « Polonia », précieux instrument qui est le premier à être revenu en Pologne dont il avait disparu pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il est devenu la propriété de la Fondation FortuneNet pour la médecine, la technologie et la culture ; des recherches approfondies auraient démontré que tous ses éléments datent de l’époque de sa fabrication. Après le « Phoenix », le Concerto de Tchaïkovsky permet d’en apprécier la vibrante sonorité, même si cette version ne viendra pas bousculer une discographie très riche. Wawrowski ne se lance pas dans une brillante démonstration, mais opte plutôt pour un univers globalement mélancolique, qui trouve son apogée dans la Canzonetta au cours de laquelle la nostalgie est à fleur de peau. On peut apprécier cette vision aux nuances retenues mais elle nous paraît manquer quelque peu de sève vivante, en particulier dans l’Allegro vivacissimo dont la flamme est absente. Pour sa part, le Royal Philharmonic Orchestra, sous la baguette de Grzegorz Nowak (°1951) qui en est le chef permanent associé, se situe dans la même ligne et n’arrive pas à soulever l’enthousiasme. Ce disque apporte une meilleure connaissance de l’univers de Różycki, mais cet apport est en soi limité. Le risque est grand de ne pas y revenir très souvent.

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 7,5 (Różycki) ; 10 (Tchaïkovsky)  Interprétation : 8

Jean Lacroix

 

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