Comment Liszt se voulut Tsigane

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Si dans l’ouvrage/dictionnaire consacré à Bartók et paru dans cette même collection Supersoniques des Editions de la Philharmonie de Paris, on trouve bien une référence aux Tsiganes à la lettre T, le petit livre -illustré d’intrigants photogrammes argentiques en couleur dérivés d’une série consacrée au glacier du Rhône et dus à l’artiste suisse Anna Katharina Scheidegger- que consacre à Liszt Emmanuelle Pireyre est lui entièrement consacré à l’amour du génial musicien hongrois pour les Tsiganes et leur musique à laquelle il consacra d’ailleurs son ouvrage Des Bohémiens et de leur musique en Hongrie (1859).

On y met en évidence la fraternité que Liszt percevait entre les Tsiganes et lui-même. N’était-il pas  lui aussi un virtuose itinérant et voyageur ? Il aime aussi la proximité des gens du voyage avec la nature, et l’autrice établit ici un parallèle avec la nature « laminée par deux siècles de civilisation industrielle » et le lourd tribut payé par les Tsiganes à la folie raciste nazie. 

On comprend aisément la fascination de Liszt pour le mystère et la folle virtuosité des musiciens tsiganes, l’originalité de leur système d’intervalles et du « mode tsigane », leur maîtrise de l’ornementation. Ceci débouche bien sûr sur les Rhapsodies hongroises où Liszt réalise « l’union entre les prouesses de son art savant et le émois de la musique bohémienne ». 

Emmanuelle Pireyre relève à juste titre l’ambiguïté de la démarche lisztienne entre « hongrois » et « tzigane » qu’il considère comme synonymes dans cette musique. L’autrice précise ce point en rappelant que cette confusion est due au fait que Liszt voyait dans les musiciens tsiganes des artistes tout à fait originaux alors que ces derniers (ré)interprétaient le plus souvent des oeuvres écrites par des auteurs hongrois. (Comme on le sait, les enregistrements pionniers de musique populaire hongroise effectués dans l’entre-deux-guerres par Bartók et Kodály remettront les choses à leur place.)

Ayant précisé que les Rhapsodies hongroises sont bien tsiganes, l’autrice s’attarde sur les emprunts de Liszt aux traits de la musique bohémienne mais aussi sur sa façon de transférer au clavier les couleurs d’un ensemble classique de musiciens tsiganes (avec violons, cymbalum, clarinette, violoncelle,…) en le transfigurant dans l’ivresse d’une folle virtuosité. Pireyre ose un intéressant parallèle entre les musiciens tsiganes voyageur s qui s’emparent des mélodies de l’endroit où le hasard les amène et qu’ils s’approprient et transforment jusqu’à les rendre méconnaissables sous la surabondance de l’ornementation et la démarche du virtuose itinérant qui offre au monde un art tsigane revisité à se façon.

L’ouvrage propose également une bibliographie concise et intéressante tant sur Liszt que sur les Tsiganes, ainsi qu’un sélections reprenant, outre les témoignages lisztiens bien connus de Cziffra, France Clidat et Leslie Howard, un beau choix d’enregistrements de musique tsigane.

Franz Liszt raconté par Emmanuelle Pireyre et Anna Katharina Scheidegger, Editions P, Cité de la musique-Philharmonie de Paris, 2022, 64 pages.

Patrice Lieberman

 

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