Concert magique et inoubliable

par

© Martin U.K. Lengemann

Richard Wagner (1813-1883) : « Vorspiel und Liebestod » (Tristan und Isolde) – Ingvar Lidholm (°1921) : Poesis – Antonin Dvorak (1841-1904) : Symphonie n°9 en mi mineur « du Nouveau monde », Op. 95
Koninklijk Concertgebouworkest, Herbert Blomstedt, direction

Les chanceux qui ont pu assister au concert de vendredi soir par le Concertgebouw Orchestra se souviendront longtemps de cette soirée. Un concert « magique », dépassant même parfois le cadre du simple concert pour devenir une leçon de musique sans précédent. Dans le cadre de l’ouverture de la Présidence hollandaise du Conseil de l’Union européenne, deux phrases prononcées lors des discours d’introduction ont retenu notre attention : « le légendaire Herbert Blomstedt » par le directeur du Concertgebouworkest et « considéré comme le meilleur orchestre au monde » par le ministre fédéral des affaires étrangères, Didier Reynders. Et dès les premières notes du « Vorspiel und Liebestod » de Tristan, les propos tenus par les deux responsables n’ont jamais sonné aussi justement. Arborant des gestes petits et sobres, le chef parvient à modeler avec une décontraction inouïe les différentes sections de l’œuvre, du plus petit pp des violoncelles au tutti passionné et colossal. La phalange néerlandaise s’impose ici avec intelligence et une écoute plus qu’admirable. La manière dont Blomstedt parvient à doser les différents flux, à maintenir la tension jusqu’au bout sans jamais se déconnecter, montre la capacité d’un artiste à créer une architecture et une conduite juste. Notons aussi la capacité du chef à travailler de son orchestre et d’en faire émerger des couleurs et dynamiques rarissimes. Poesi,s du compatriote de Blomstedt, Ingcar Lidholm, aura surpris le public par son langage novateur et surprenant. Nécessitant une installation logistique imposante sur le plateau, le chef décide de prendre la parole afin d’expliquer l’œuvre, son contexte et son langage. Un chef très ouvert, en dialogue permanent avec le public, dynamique et qui prend plaisir à raconter l’analyse d’une œuvre qu’il aime par quelques touches humoristiques bien amenées. Cette intervention aura permis au public de mieux apprécier et comprendre la complexité de l’œuvre de Lidholm, une sorte de grand concerto pour orchestre. Composée en 1963, cet unique mouvement se développe sur l’art de l’atonalité. Diverses masses sonores se succèdent, du simple frottement d’une percussion à un tutti de l’harmonie tonitruant. Grâce à une palette de couleurs très développée, chaque instrument émerge d’une manière inhabituelle, alternant sections d’orchestre et cadences partagées entre le piano et la contrebasse. Si Blomstedt tire toutes les qualités de cette partition, grâce à une gestique précise, notons surtout la possibilité pour l’auditeur de percevoir différemment l’étendue des possibilités techniques de chaque instrument. Derrière cette « exploration » de l’orchestre se cache en réalité un vrai langage expressif et respectueux de l’instrument. Après la pause, retour au XIXème siècle avec Dvorak et sa Symphonie n°9. Que dire en dehors du fait que la version proposée ce soir est sans doute l’une des plus grandes de tous les temps ? Le premier mouvement se partage entre moments introspectifs et dynamiques ; le second, considéré comme l’un des plus touchants du répertoire, exprime de nombreuses atmosphères et idées mêlées d’un solo de cor anglais juste exceptionnel ; le Scherzo est dynamique, précis avec une mise en place très professionnelle ; enfin, le dernier mouvement, majestueux et parfois furieux est emprunt d’une énergie sans cesse renouvelée. On retrouve un chef expressif, affichant toujours un large sourire pour un orchestre qui, visiblement, apprécie de jouer sous sa direction. Le concert se termine par une lecture des plus détonante et rayonnante de la Danse slave op. 46 n°8, toujours de Dvorak.
Ayrton Desimpelaere
Bruxelles, BOZAR, le 22 janvier 2016

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