Concours Reine Elisabeth : Deuxième soirée de finale

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Trois autres finalistes ont interprété un programme de leur choix ce soir sur la scène du Palais des Beaux-Arts.

Sarah Laulan lors des demi-finales © Bruno Vessiez
Sarah Laulan lors des demi-finales © Bruno Vessiez

C’est l’ancienne étudiante de José Van Dam à la Chapelle, Sarah Laulan,  qui débute la soirée. Bonne prestation générale. « Ichhab’einglühend Messer » (Lieder einesFahrendengesellen, Mahler) peine à trouver sa place face à l’orchestre. Voix idéale pour Mahler, le timbre est intéressant tandis qu’une large palette de couleurs se perçoit rapidement. Commencer par cette pièce si courte mais pleine de profondeur n’est peut-être pas le meilleur choix. Très belle prestation de « Höre mit Sinn » ( Götterdämmerung, Wagner). Justesse de ton, envergure vocale impressionnante et des contrastes saisissants. La voix est souple, teintée d’un lyrisme approprié. L’évolution générale se construit à la perfection jusqu’à l’apogée finale. L’orchestre surpasse légèrement la chanteuse à certains endroits. Elle poursuit intelligemment avec Britten (« Givehimthisorchid », The rape of Lucretia>). Technique assurée, ton expressif et mesuré principalement dans la partie lente. Legato général intéressant et une belle conduite des phrases. Félicitons le dialogue avec les basson et hautbois solo qui structurent avec finesse le discours musical. Les intervalles sont riches et modelés comme il faut. Si un style plus théâtral émerge dans Moussorgski (Lullaby, nous sommes surpris par des ports de voix assez récurrents et non souhaités dans la partition. Malgré cela, intonation parfaite, diction claire et une liberté vocale surprenante. Dans Rossini (« Cruda sorte – Qua ci vuoldisinvoltura », L’italiana in Algeri), l’italien est maîtrisé alors que la chanteuse propose une version entraînante et dansante, voire cocasse dans un style léger teinté d’une fraîcheur pétillante. Elle termine sa prestation par un tube : « Quand je vous aimerai – L’amour est un oiseau rebelle » de Carmen. Style assuré sans vulgarité. Elle fait preuve d’une juste sobriété qui englobe l’œuvre avec souplesse. Une amusante petite mise en scène avec le chef d’orchestre illustre bien le caractère de l’extrait alors que, dans le jury, Térésa Berganza semble chanter avec elle. Comme pour les premières épreuves, Sarah Laulan ne se risque pas dans les aigus mais offre au public une prestation tout aussi théâtrale.

Hyesang Park lors des deùi-finales © Bruno Vessiez
Hyesang Park lors des deùi-finales © Bruno Vessiez

Notre coup de cœur des épreuves précédentes est toujours aussi convaincant soir. Hyesang Park, candidate à la technique irréprochable (l’une des meilleures du concours), débute par Ständchen de Richard Strauss. Beaucoup de pureté dans sa ligne vocale agrémentée d’un vibrato contrôlé à souhait. Son interprétation est dans la simplicité expressive et fonctionne à merveille avec les petites fusées des bois et cordes dans l’orchestre. Ses extraits de La Sonnabula de Bellini nous émerveillent par sa grâce légère et profonde. C’est une candidate sincère qui interprète cette pièce avec beaucoup de couleurs et de contrastes dans les registres. Plus libérée ici qu’en demi-finale, elle propose des dynamiques intéressantes avec un timbre délicat et des aigus aisés. Mêmes remarques dans Manon de Massenet (« Suis-je gentille ainsi ? – Je marche sur tous les chemins – Obéissons – Profitons bien de la jeunesse ») même si le français n’est pas toujours clair. Aucun problème ici, technique toujours aussi aboutie, vibrato pur et une belle construction des phrases et des dynamiques. Elle brille dans sa prestation finale : « E strano – Ah, fors’e lui – Follie ! Follie ! – Sempre libera » (La Traviata, Verdi). Tout est bien mené, coloré et structuré. Aucun à-coups mais bien de la délicatesse. Elle explore tous les registres de nuances alors qu’elle parvient à communiquer une émotion sincère. Le dialogue avec l’orchestre fonctionne avec un violoncelle solo qui remplace avec plus de douceur le ténor de la dernière partie. Une prestation de haut niveau qui confirme notre propos lors des premières épreuves.

Daniela Gerstenmeyer lors des demi-finales © Bruno Vezziez
Daniela Gerstenmeyer lors des demi-finales © Bruno Vezziez

Prestation étonnante pour la dernière candidate de la soirée. Daniela Gerstenmeyer propose un récital dans une même et unique ambiance. La chanteuse semble effacée ce soir et sans grande conviction. Pourtant sa technique figure aussi parmi les meilleures du concours. Elle débute par « "E pur cosi in un giorno –Piangero la sorte mia » (Giulo Cesare, Haendel). Construction intelligente et brillamment menée. Son timbre pur est apprécié alors que le vibrato est finement contrôlé. Malheureusement, une seule couleur générale, proche d’un mezzo forte, traverse l’œuvre. On perçoit une énergie sous-jacente mais qui ne se développe pas. Cette ancienne étudiante de Salzbourg, Weimar et Hanovre apporte les mêmes caractéristiques dans EinDeutsches Requiem de Brahms (« IhrhabtnunTraurigkeit »). Quelques belles couleurs dans la douceur et la souplesse ainsi qu’un beau legato mais un manque évident de dynamisme malgré la linéarité du discours. Chaque cellule chez Brahms est une idée, une nouveauté qui se doit d’être appuyée. Choix curieux avec l’extrait de la Passion selon St. Jean de Bach (« ZerfliessemeinHerze »). Bien que l’extrait soit délicat, ce n’est pas une partition qui met en valeur les qualités vocales de la chanteuse. Le travail se base davantage sur l’ambiance et le style. En revanche, de beaux aigus et une sensibilité évidente. Elle poursuit avec « Ach, ichfühl’s (Die Zauberflöte, Mozart) où toute la détresse de Pamina n’est pas perçue malgré la beauté du timbre et la douceur de la ligne vocale. Un extrait timide pour « Höre, Israël » de Mendelssohn qui se voudrait plus poignant. Certes les phrases sont conduites avec justesse mais le tout manque d’affect et de dramatisme. A l’inverse de son programme des demi-finales, le récital de ce soir manque de variété et d’une pièce démonstratrice. Aussi, quatre pièces en allemand contre une en italien ne nous semblent pas suffisantes pour une finale. Malgré tout, on retrouve les mêmes caractéristiques ici que pour les épreuves précédentes : douceur, timbre exquis, justesse parfaite, diction claire, technique proche de la perfection et une légère timidité qui handicape la candidate dans son programme.
Ayrton Desimpelaere
Bruxelles, Bozar, le 29 mai 2014

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