Concours Reine Elisabeth : Une soirée exceptionnelle !

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Excellente fin de journée avec quatre candidats de très haut niveau. Ce soir, notre postulat selon lequel les musiciens ne se libèrent pas de l'académisme appris durant les études, nous perturbe à nouveau. Certains candidats possèdent un don pour le chant grâce à une technique vocale irréprochable ou encore un sens de la musique affûté. Malheureusement, ils n'usent pas tous de ces capacités. Notons le retour de Teresa Berganza au sein de jury.Ivan Thirion est éblouissant ce soir. Ce jeune baryton de 24 ans possède à la fois une très belle technique vocale, une présence scénique remarquable et pour le coup une authenticité musicale. Quelques très légers défauts viennent perturber sa prestation mais la générosité qu'il propose sur scène est à féliciter chaleureusement. Dans « Revenge, Thimotheus cries » (Alexander's Feast, Haendel), quelle énergie, quelle présence et quelle solidité du discours. Beau timbre et une projection idéale dans le studio 4 de Flagey. Enfin de la musique raffinée dans le style dans une partie lente. C'est simplement expressif et naturel. Il poursuit avec « Bella siccome un angelo » (Don Pasquale, Donizetti). Moins à l'aise ici, quelques aigus sont un peu tendus mais voilà un chanteur qui transmet une émotion particulière où l'on passe outre les défauts (peu nombreux). Excellent choix avec Denn es gehet dem Menschen de Brahms. Registre grave magnifique, clairs, allemand précis et une énergie constante malgré le tempo lent de Brahms. On retrouve cette belle construction dans « Sous les pieds d'une femme » (La Reine de Saba, Gounod) avec une intonation parfois approximative mais pas dérangeante. Vibrato mesuré et rondeur de son pour chaque émission. Continuer avec « Wie Todesahnung – O, du mein holder Abendstern » (Tannhäuser, Wagner) est un choix périlleux lorsque l'on connaît les interprétations si réussies de Terfel et d'autres. Ivan Thirion exploite l'étendue de ses capacités ici et nous offre une lecture saisissante. Dynamiques contrastantes, maîtrise de la forme et aucune exagération dans le style. Il termine de façon incroyable avec Serena Don-Zhuana de Tchaïkovski. En trois mots : de toute beauté ! Marianne Pilette l'accompagne au piano avec finesse et légèreté.
Yoo Hansung conclut cette première partie avec professionnalisme en commençant par Die Mainacht de Brahms. Malgré quelques aigus justes, une belle énergie et une structure aboutie émanent de ce candidat. Puissance naturelle et une rondeur d'attaque intéressantes. Plus doux et calme, il enchaîne avec Schöne Wiege meiner de Schumann. Discours sans complications, vibrato contrôlé et allemand précis. Les dynamiques (nuances, accents) sont intelligemment menées même si l'on perçoit un léger sur-contrôle. On se demande si le candidat est réellement investi dans ce qu'il chante ? Voix idéale pour Mozart avec « Hai gia vinta la causa – Vedro mentr'io sospiro (Le Nozze de Figaro). Aucune lourdeur, un style léger et plus profond quand nécessaire. Le tempo est néanmoins en arrière et tend à se ralentir. Français approximatif pour la Chanson triste de Duparc. Belle voix pour la mélodie où la transmission s'effectue avec facilité. Poursuivre avec Son de Rachmaninov est selon nous un mauvais choix. Pièce courte ne démontrant pas grand chose, le candidat s'est laissé aller à quelques aigus surpuissants dans une atmosphère trop sombre et coincée. En revanche, excellente idée de conclure avec « Nemico della patria » (Andra Chenier, Umberto Giordano). Le candidat affiche de l'expressivité et un caractère à la fois introverti dans les parties calmes et extravertie dans les parties plus agitées. Malheureusement, il perd en puissance et justesse dans les derniers aigus, affichant une légère fatigue. Très belle prestation néanmoins pour ce baryton accompagné par l'excellent piano attentif et précis de Philippe Riga.
Après la pause, une prestation moins convaincante avec Bomi Lee. Tout est interprété sur le même ton dans « Höre, Israel » (Elias, Mendelssohn). Sait-elle qu'elle parle d'un moment tragique de l'histoire, celui d'un peuple persécuté ? Ton impersonnel, juste une démonstration d'une technique efficace. Peu de nuances et un vibrato omniprésent. Mêmes soucis dans Les filles de Cadix de Delibes où le texte n'est pas du tout clair. Les dynamiques sont surjouées alors que la candidate démontre clairement des facilités pour le chant. Dommage qu'elle ne s'en sert pas. Seul Jonas Vitaud semble apporter une perspective à l’œuvre. Morgen est l'une des partitions les plus poignantes de Richard Strauss. Après un prélude pianistique exceptionnel, la candidate n'explore à aucun moment la finesse de l'accompagnement, nous proposant une simple récitation. Si la candidate se sent libérée dans « Si, mi chiamano Mimi » (La Bohème, Puccini), il n'en est rien pour l'auditeur. Style contrôlé, phrases calculées à l'avance, bref un manque de personnalité ici. Cet ennui se retrouve aussi dans « Qual fiamma avea nel guardo – Stridono lassu » (I Pagliacci, Leoncavallo). Si le choix est intéressant et bien maîtrisé, on ne perçoit à aucun moment de la générosité ou simplement de l'expressivité. Une candidate au potentiel exceptionnel mais qui n'ose pas se libérer de l'automatisme. Concrètement, on ne peut rien critiquer à cette musicienne si ce n'est le manque d'initiatives qu'apporte pourtant avec énergie l'excellent Jonas Vitaud. Comment peut-on avoir une si belle technique et ne pas s'en servir ?
Coup de cœur en cette fin de soirée avec Sumi Hwang, toujours accompagnée par Jonas Vitaud. A l'inverse de la candidate précédente, Sumi Hwang affiche quelques soucis techniques certainement reliés à une contraction involontaire du larynx, engendrée par le stress. Car malgré des problèmes d'émission dans les aigus, voilà une candidate qui se libère des règles et « traditions », souvent mal interprétées. Elle débute avec une belle interprétation de la Chanson triste de Duparc. Français approximatif mais un ton chaleureux et généreux. Candidate plus honnête, plus fraîche mais surtout plus expressive. Les extraits des Noces de Figaro (« Giunse alfin il momento – Deh vieni, non tardar ») lui conviennent à merveille. Plus introvertie, elle chante avec beaucoup de douceur et une justesse de ton. Vibrato contrôlé et convaincant. Quelle excellente idée de poursuivre avec Nacht d'Alban Berg ! Discours coloré, forme et structure abouties, le tout enveloppé dans un piano expressif. Elle semble à l'aise dans l'air de Marguerite de Gounod malgré une intonation beaucoup trop approximative. Belle puissance sonore, des couleurs fines et des aigus exceptionnels. Sa version de « Si, mi chiamano Mimi » (La Bohème, Puccini) est nettement plus imagée. Discours sans vulgarité avec un côté timide amusant et une finesse de voix remarquable. Elle termine par une lecture explosive de Vesenniye Vodi de Rachmaninov. C'est profond, riche, puissant, bref voilà du style et une candidate qui mérite de remporter cette épreuve.
Plus que huit candidats à écouter pour cette demi-finale. En présence de la Reine Mathilde, le président du Jury, Arie Van Lysebeth anoncera en fin de soirée les douze candidats retenus pour la finale au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en compagnie de l'Orchestre symphonique de la Monnaie et Roland Böer.
Ayrton Desimpelaere
Bruxelles, Flagey, le 19 mai 2014

 

 

 

 

 

 

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