Même sans (vraie) mise en scène, le bel canto triomphe

par

Elisabetta, Elisa BARBERO et Maria Stuarda Martine REYNERS (photo Jacky Croisier)

Maria Stuarda de Donizetti

Créée en 1835 à la Scala de Milan, Maria Stuarda représente le bel canto à son apogée. Bellini meurt la même année, laissant Donizetti maître absolu de la scène lyrique italienne, Rossini s'étant tu et Verdi n'ayant pas encore émergé. Situé entre Lucrezia Borgia et Lucia di Lammermoor, l'opéra constitue, sans aucun doute, l'une de ses plus belles réussites. Malgré quelques vicissitudes lors de la création, dues à la censure (injures proférées sur scène, décapitation d'une reine), et un oubli momentané, péripéties relatées dans un excellent programme de salle, Maria Stuarda fait partie du répertoire depuis la "Donizetti-renaissance" des années 1970, et n'a plus quitté la scène internationale. Toutes les grandes chanteuses se sont mesurées à l'affrontement politico-amoureux des deux reines : Gencer, Verrett, Caballé, Sills, Sutherland, Cortez, Baker, Gruberova, et j'en passe. En effet, l'oeuvre repose sur cette lutte hautement dramatique entre Elisabeth Ière et sa cousine Mary Stuart, toutes deux avides du pouvoir et amoureuses du même comte de Leicester. Intrigue banale peut-être, mais habile et efficace. Chaque reine se voit confier de superbes scènes, et un duo commun : un seul certes, mais point culminant du drame, bien sûr : c'est le finale de l'acte II. Les hommes sont en retrait. Le seul ténor, Leicester, n'intervient que dans des duos avec ces deux dames, dont il n'est finalement que le  faire-valoir. Les deux barytons, gratifiés de beaux solos, sont plus heureux. L'écriture orchestrale est correcte, et le chef napolitain Aldo Sisillo connaît impeccablement son répertoire, même s’il a mis un certain temps à lui rendre son dynamisme théâtral. Les choeurs sont très présents. Les deux derniers finales leur donnent l'occasion de briller, dans la force et la puissance dramatique maximale, ensemble grandiose influencé par La Vestale de Spontini, puis dans le recueillement et le deuil, lors de l'ultime cérémonie funèbre menant Marie Stuart à l'échafaud ("Vedeste ? Vedemmo ?"). La production, très (trop) fidèle au texte, venait de l'Opéra de Rome/Opéra Donizetti de Bergame. De somptueux costumes et des décors suggestifs ne font pas une mise en scène, hélas, et la direction d'acteurs, plus que limitée, laissait les chanteurs bras ballants. Deux exceptions : la scène des injures entre les deux reines, exacerbée à souhait, et l’intégralité de la dernière scène, baignée dans une lumière de braises, pour accompagner l’ultime prière de la reine condamnée. Martine Reyners, jeune soprano de nos contrées, reprenait le rôle créé par la Malibran. Le vivier belge recèle des trésors : elle a offert une prestation d'une endurance sans faille, un art souverain du legato, et surtout, une émouvante présence dramatique, qui a laissé le public pantois à l'issue du spectacle. Ovation aussi pour l'Elisabetta d'Elisa Barbero, très engagée scéniquement, et qui a offert un portrait de la "Reine vierge" bien plus nuancé que ce que décrit le livret : la scène qui ouvrait le dernier acte, avec ses tragiques hésitations avant la signature de l'arrêt de mort, était exemplaire. A Pietro Picone échouait le personnage ingrat de Leicester. De sa voix douce et agréable, il donna le meilleur de lui-même dans le duo final du premier acte, joliment ciselé. Roger Joakim, bien connu de la scène principautaire, campait un Talbot de haute allure, et profondément humain. Quant à Yvan Thirion, candidat à la session en cours du Concours Reine Elisabeth, il a déclamé les répliques de Lord Cecil avec un souci remarquable de diction et de vérité dramatique. En somme, une fort belle production italo-belge, qui a rendu justice à l'un des plus grands fleurons du bel canto : que demander de plus ? Anna Bolena et Roberto Devereux, pour compléter "The Tudor Ring"!

Bruno Peeters
Liège, Opéra Royal de Wallonie, le 18 mai 2014