Deux petites révolutions d'Hervé Niquet

par
Alpha

Luigi CHERUBINI
(1760 - 1842)
Requiem en ut mineur à la mémoire de Louis XVI
Charles-Henri PLANTADE
(1764 - 1839)
Requiem en ré mineur à la mémoire de Marie-Antoinette
2016-69'14''-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Alpha 251

Surtout célèbre de son temps pour ses opéras, Cherubini était particulièrement apprécié en Allemagne. Beethoven ne dit-il pas de lui qu’il était le plus grand compositeur vivant ? De nos jours, si l’on omet Médée, ce sont principalement ses deux messes pour les défunts qui ont la cote. La première, en ut mineur, pour chœur mixte et orchestre, fut exécutée le 21 janvier 1817 à Saint-Denis lors d’une cérémonie en l’honneur de Louis XVI; la seconde, en ré mineur, pour chœur d’hommes et orchestre, fut composée près de vingt ans plus tard et résonna lors des funérailles de son auteur. Durant les années qui séparent la composition du Requiem de Mozart (1791) de celle de la Grande Messe des Morts de Berlioz (1837), on ne compte guère d’œuvres du même genre qui puissent se mesurer à celles de Cherubini ; bien que le Requiem de Donizetti (1835) soit injustement méconnu, ceux de Reicha ou d’Eybler (cet élève de Wolfgang Amadeus, qui refusa d’achever la messe ultime de son maître) font pâle figure face aux partitions monumentales du fondateur du Conservatoire de Paris. Sans doute la question est-elle davantage pertinente s’agissant des messes des morts de Mozart, de Verdi ou de Fauré, mais elle mérite également d’être posée concernant le Requiem en ut mineur de Cherubini: fallait-il qu’on nous le serve une nouvelle fois, alors que de nombreux ensembles -et non des moindres- l’ont déjà honoré au disque ? La réponse est ici assurément positive, et ce pour deux raisons au moins. Premièrement, l’idée de nous présenter un Requiem renommé, écrit à la mémoire de Louis XVI, aux côtés d’une Missa pro Defunctis demeurée inédite, composée quant à elle pour l’autre souverain martyr de la Révolution française, était magistrale. Il faut, du reste, remercier Hervé Niquet et son Concert Spirituel d’avoir ressuscité le Requiem de Plantade qui, sans être un chef-d’œuvre absolu, contient de fort beaux moments. Ensuite, le Requiem en ut mineur de Cherubini fait ici l’objet d’une lecture très personnelle, à deux niveaux : celui de l’instrumentarium et celui des tempi. Contemporain du Requiem en ut mineur D.433 de Franz Schubert, la messe des morts dans la même tonalité de Cherubini n’a évidemment rien d’une œuvre baroque -encore que la double fugue du Quam olim Abrahae témoigne de ce que cet admirable contrapuntiste doit à ses prédécesseurs. On pourrait aller jusqu’à dire qu’elle annonce le romantisme. Or, le Concert Spirituel n’a pas délaissé, pour la circonstance, ses instruments historiques. Inscrire le Requiem de Cherubini dans le prolongement des anciens motets hérités de l’esthétique ramiste était un pari osé (qu’avait déjà tenté, à vrai dire, le Boston Baroque pour le label Telarc); l’entreprise se justifiait, à la limite, en ce qui concerne le Requiem de Plantade -lequel est écrit avec trois parties d’hommes et une seule ligne de femmes, mais a priori bien moins pour l’œuvre de son aîné. Il reste que, passé l’effet de surprise, le résultat est plus qu’honorable ; il est même tout à fait intéressant. Les cordes, en particulier, voilant l’orchestre d’un immense crêpe funéraire, confèrent à l’ensemble une profonde gravité. L’effet aurait pu être bouleversant si l’on n’avait fait le choix de tempi à mon sens trop enlevés, et c’est là la seconde révolution à laquelle se livrent Niquet et consorts: alors qu’il faut à Claus Peter Flor, à Riccardo Muti et à Diego Fasolis plus de 48 minutes pour venir à bout de la partition, deux de moins à Arturo Toscanini et à Frieder Bernius et deux de plus à Carlo Maria Giullini, le Concert décidément très Spirituel boucle le tout en 37 minutes ! L’œuvre se défait alors des teintes tragiques et désolées qu’on lui connaît habituellement, pour se parer d’accents davantage angoissés. En dépit de l’excellence des chœurs et de l’orchestre et d’une prise de son d’une exceptionnelle beauté, le tout manque, hélas, un peu de respiration, en particulier dans l’Agnus Dei. Un défaut dont le Requiem de Plantade a heureusement été épargné; ses élans lyriques sont préservés, mais ce sont ici les nuances qui auraient gagné à être plus feutrées, de manière à refléter au mieux la tendresse que décèle Hervé Niquet dans cette œuvre. Malgré ces deux légères ombres au tableau, le disque que voici est fort attachant et gagne à figurer dans toute discothèque digne de ce nom -celle d’un mélomane, s’entend...
Olivier Vrins

Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 8

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