Deux nouvelles visions des sonates pour violon et piano de Grieg

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Edvard GRIEG (1843-1907) : Sonates pour violon et piano n° 1 op. 8, n°2 op. 13 et n° 3 op. 45 ; Eldbjorg HEMSING (1990) : Variations sur un thème populaire de Valdres pour violon seul. Eldbjørg Hemsing,violon ; Simon Trpčeski, piano. 2019. Livret en anglais, en norvégien, en allemand et en français. 72.30. BIS-2456. Edvard GRIEG (1843-1907) : Sonates pour violon et piano n°1 op. 8, n°2 op. 13 et n° 3 op. 45 ; Dernier printemps, op. 33 n° 2, mélodie, arrangement pour violon et piano ; Au printemps, op. 43 n° 5, extrait des Pièces lyriques, arrangement pour violon et piano. Elena Urioste, violon ; Tom Poster, piano. 2020. Livret en anglais. 76.49. Orchid Classics ORC100126.

Le hasard des parutions discographiques met en présence deux nouveautés qui proposent chacune une intégrale des trois sonates pour violon et piano de Grieg, dont l’une des particularités est d’avoir été créées toutes les trois par le compositeur au piano. La première, en fa majeur, a été composée au cours de l’été 1865 lors d’un séjour de Grieg au Danemark, dans la station balnéaire de Rungsted, proche de Copenhague. La première eut lieu dès le mois de novembre, avec un violoniste suédois, Anders Petterson. Un autre compositeur, Johann Svendsen, lui aussi violoniste, la fit connaître en France en 1870, avec au piano non moins que Camille Saint-Saëns. Le même Svendsen est le dédicataire de la Sonate n° 2 de 1867, créée à l’automne avec le violoniste Gudbrand Böhn. Près de vingt ans plus tard, Grieg écrivait la Sonate n° 3, à l’automne de 1886. La première audition eut lieu à la fin de l’année suivante, à Leipzig, avec le violoniste russe Adolph Brodsky. D’essence romantique, ces trois partitions, qui connaissent toujours le succès auprès du public en raison de leurs qualités mélodiques, sont prisées par les interprètes. Grieg lui-même éprouvait à leur égard une prédilection, estimant, dans une lettre de 1900 reproduite partiellement dans la belle notice signée par Arnulf Christian Mattes, que « la première est naïve, la seconde d’inspiration nationale et la troisième ouvre de nouveaux horizons ». Certains y ont vu des jalons correspondant à la progression de la vie : « du printemps (jeune et curieux), à l’été (mature et sûr de lui) puis à l’automne (mélancolique et réfléchi ».

Comment les interprètes du jour abordent-ils ces sonates ? Le premier duo joue la carte du grand romantisme dans une conception globale passionnée et engagée, superbement construite et dans un climat où l’expressivité se donne un généreux libre cours. Au violon, la Norvégienne Eldbjørg Hemsing, née en 1990. Elle a fait ses débuts avec orchestre dès ses onze ans, a remporté des concours internationaux, s’est perfectionnée à Vienne. Avec le compositeur et chef chinois Tan Dun, né en 1957, elle a beaucoup collaboré en Europe et en Asie, jusqu’à la gravure d’un CD consacré à plusieurs de ses œuvres. Mais elle a aussi enregistré Shostakovitch, Dvorak, Suk ou son compatriote Hjalmar Borgström (1864-1925). Son partenaire, le pianiste macédonien Simon Trpčeski, né en 1979, s’est formé à Skopje et est lui aussi titulaire de récompenses internationales. Il a enregistré plusieurs CD, dont un Rachmaninov, fort bien accueilli. Ceux qui ont eu l’occasion de l’entendre et de le voir sur scène savent que cet artiste de grand talent a aussi un côté que certains définissent comme « exhibitionniste », mais que nous qualifierons plutôt de démonstratif et de charismatique (la notice utilise d’ailleurs ce dernier mot pour le définir). Ce côté extérieur est ici gommé par un sens de l’écoute particulièrement aigu de sa partenaire. L’osmose est si adéquate dans chacune des sonates qu’elle entraîne chez l’auditeur une réelle participation émotionnelle aux aspects mosaïques de la première sonate, avec notamment, dans le second mouvement, cet écho imitatif d’un violon norvégien typique, le Hardanger, dont les caractéristiques structurelles permettent d’allonger le son. La deuxième sonate, qui date de l’époque où Grieg était investi dans le projet de mise en évidence de la culture nationale, se révèle pleine de couleurs sombres, avec des thèmes élégiaques ou robustes que les deux complices soulignent avec fraîcheur et enthousiasme. Dans la troisième sonate, dont Arthur Grumiaux a laissé une référence historique avec Gyorgi Sebök chez Philips, on sent la pleine maturité du compositeur et son art de faire chanter le violon qu’Eldbjørg Hemsing fait vibrer dans un mélange de délicatesse, d’allure dansée et de passion fougueuse. L’intensité rythmique de l’Allegro animato final est irrésistible, scandé par un piano aux accents à la fois tragiques et fusionnels. En complément, la violoniste, qui joue sur un Guadagnini de 1754 à la sonorité frémissante, interprète une pièce qu’elle a composée elle-même en 2019 sur des thèmes de sa cité natale, Valdres, située dans la région de l’Oppland, entre Oslo et Bergen. Ce morceau d’un peu plus de trois minutes met l’accent avec ferveur sur l’émotion éprouvée lors du retour au foyer. Ces sonates ont été enregistrées en décembre 2018 et mars 2019, la page d’Hemsing en septembre 2019. La qualité sonore en est remarquable. 

Le second CD, paru chez Orchid Classics, réunit la jeune violoniste américaine Elena Urioste au pianiste anglais Tom Poster. Elena Urioste s’est formée au Curtis Institute et à la Juilliard School et possède plusieurs cordes à son arc : grande amoureuse de la nature, elle est aussi écrivaine. Tom Poster, né en 1981, a étudié à Cambridge et a enregistré des disques pour Chandos ou EMI (un beau programme Thomas Adès). Ensemble, ces deux artistes ont publié chez BIS un disque intitulé « Estrellita », qui regroupe des arrangements de pièces de Gluck, Auer, Kreisler, Zimbalist, Elgar… effectués par Poster. Leur version des sonates de Grieg diffère de celle de Hemsing/Trpceski par une atmosphère plus centrée sur l’intimisme et l’intériorité, sans négliger, surtout dans le chef de Poster qui est un chambriste de qualité, les élans requis avec lesquels il entraîne souvent sa partenaire. Celle-ci, qui joue sur un Gagliano de 1706, apparaît souvent comme plus en retrait que Hemsing. Ici, la flamboyance est bridée, l’accent est mis sur une pudeur résiduelle qui se contrôle. Des différences de tempo, parfois contradictoires, soulignent la différence de visions, surtout dans les deux premiers mouvements des deux premières sonates. Hemsing empoigne la partition, alors qu’Urioste la peaufine de manière plus dolente. La Sonate n° 3 se perd souvent dans une recherche du beau son, pas toujours aboutie, et surtout sans l’investissement émotionnel suffisant. La prise de son, effectuée en septembre 2017 à Monmouth, au Pays de Galles, est moins valorisante que chez BIS : elle confère parfois au dialogue des deux partenaires une sensation floue, mais celle-ci réside aussi dans leur approche moins creusée. Elle se prolonge dans les deux compléments choisis, des arrangements alanguis et cotonneux. L’intitulé de ce CD Orchid Classics est adressé « Au Printemps ». Il aurait mieux convenu au CD BIS.

CD BIS 

Son : 10  Livret : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 9

CD Orchid Classics

Son : 8  Livret : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 7

Jean Lacroix

 

          

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