Doux rapt de musique contemporaine lettonne pour trompette et orgue : ad astra per aspera

par

Distant light. Maija Einfelde (1939-) : Zvaigžņu kalns ; Gloria. Rihards Dubra (1964-) : Kyrie ; Agnus Dei. Alvils Altmanis (1950-) : Sanctus ; Benedictus. Ilze Arne (1953-) : Jūras paņemtajiem. Romualds Jermaks (1931-) : Lux aeterna. Dzintra Kurme-Gedroica (1968-) : Quo vadis. Georgs Pelēcis (1947-) : Larghetto [du Concerto pour trompette]. Renāte Stivriņa (1985-) : Gaviles. Jānis Porietis, trompettes. Ilze Reine, orgue de la cathédrale de Riga. Juillet-septembre 2020. Livret en anglais et letton. TT 65’21. Skani 094

Ce voyage dans la musique contemporaine lettonne pour trompette et orgue couvre trois générations de compositeurs, dans leur production récente : la quasi-totalité date de moins de cinq ans avant l’enregistrement, collectée voire suscitée par Jānis Porietis et Ilze Reine. C’est l’église Saint-Jean de Riga qui les avait réunis (le premier comme membre de la congrégation, la seconde comme organiste et chef de chœur depuis 1996) et avait accueilli ce duo pour un premier album voilà quinze ans (Dievs dziesma man). Premier pupitre à l’Orchestre Symphonique National, professeur à l’Académie Jāzeps Vītols, Jānis Porietis recourt ici à cinq instruments (trompettes en si bémol, en ut, piccolo, et bugle) dont l’emploi est précisé dans le livret, lequel indique aussi les permutations à l’intérieur des œuvres, ou l’emploi de la sourdine. La session s’est déroulée à la Cathédrale, faisant entendre le prestigieux orgue Walcker de 1883, doté à sa construction de 124 jeux, alors une des plus riches consoles du monde, et qui fournit ici un magnifique écrin, dans une acoustique large et phonogénique.

Même si le livret ne l’explicite pas, on devine un parcours symbolique, quasiment religieux, qui nous emporte et nous élève tout au long du disque. Qui s’introduit par La Colline aux étoiles que Maija Einfelde venait de composer en 2020 pour Jānis Porietis : allusion au paysage de son enfance rurale dans la région de Vidzeme. Le cœur du programme assemble ensuite une Missa brevis, structurée à partir de pièces préexistantes ou sollicitées pour ce CD, autour du Gloria de Maija Einfelde, sa première création pour trompette (1987). Début et fin de cette messe imaginaire (Kyrie et Agnus Dei) ont été demandés à Rihards Dubra qui a tenté de préserver une essence vocale et le sens des mots de prière. Sanctus et Benedictus, créés en public le premier janvier 2016 par Jānis Porietis et Ilze Reine, proviennent d’Alvils Altmanis, clarinettiste, musicien de jazz et de l’Orchestre National, qui les confie au timbre enveloppant du bugle, en phase avec son style néoromantique, lequel est globalement celui qui parle dans tout ce disque. Car on ne s’écarte guère de la rassurante tonalité et des balises expressives conventionnelles : une éloquence humble et communicative, loin des tentations expérimentales, pas toujours convaincantes, dont témoignait le Trumpets of Angels d’Indra Riše chez le même label

L’ambiance de l’Agnus Dei se prolonge dans une élégie (« à ceux emportés par la mer ») écrite pour Jānis Porietis par Ilze Arne, puis par un récent et consolant Lux Aeterna de Romualds Jermaks, un des doyens de la vie musicale lettone, qui a fêté ses 90 ans en juin dernier. Ce titre emprunté au répons de Communion (Que la lumière éternelle luise pour eux) dévie le disque vers une sorte d’office mémoriel pour les défunts. On ne s’étonne alors pas que le Quo Vadis de Dzintra Kurme-Gedroica vienne inspirer une méditation existentielle où Jānis Porietis détecte des intonations de The Unanswered Question de Charles Ives. Réflexion grave, que poursuit le rêveur voire sentimental Larghetto arrangé par Georgs Pelēcis d’après un Concerto qu’il a rebaptisé « une promenade à travers Riga » : cette page touchante évoque un vieux quartier de la ville, où d’anciennes maisons en bois bordent le chemin. Le livret cite la description du poète Aleksandrs Čaks (1901-1950) ; parenthèse, on en restera à cette vision qui ne prépare pas le promeneur d’aujourd’hui aux graffiti perpétrés sur les façades par des « artistes urbains ». En tout cas, ce Larghetto équilibre les interventions des deux instruments, accordant une longue séquence centrale aux tuyaux, alors que les autres œuvres favorisent la trompette.

La dernière plage nous extirpe de ces atmosphères vaporeuses, au gré du Gaviles de Renāte Stivriņa, dont le titre signifie la réjouissance. Au terme du voyage offert par ce Distant Light, saurait-on mieux le résumer que par les mots en exergue du livret ? : « la musique de cet album est comme une lumière brillante sans source distincte qui révèle et procure la force de continuer ». Diffusée par des œuvres aussi directes que suggestives. La plupart incitent à une intense sérénité, et gagent une interprétation idéale : cette lumière lointaine nous happe dans son firmament et nous immerge dans une euphonie qu’on rechigne à quitter.

Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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