Un monde sans Beethoven est-il envisageable ?

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A World without Beethoven ? Documentaire musical écrit et dirigé par Martin Roddewig. Présentation : Sarah Willis. Avec des interviews de John Williams, Wynton Marsalis, Ian Anderson, Rudolf Schenker, Van Dyke Parks, Gaby Moreno, Gabriela Montero et Billy Bragg. Extraits musicaux divers. 2020. Livret en anglais et en allemand. Documentaire en anglais, allemand et espagnol (voix over) avec sous-titres en anglais, en allemand et en portugais brésilien. Bonus en anglais avec sous-titres en anglais et en allemand. Aucun sous-titre en français. 112.00 (documentaire : 86.00 ; bonus : 26.00). Un DVD Major 757008.

La réponse est dans la question : un monde sans Beethoven est inimaginable. La démonstration est concrétisée dans ce documentaire intéressant, commenté par Sarah Willis, corniste de l’Orchestre Philharmonique de Berlin. Cette guide souriante et chaleureuse entraîne le spectateur dans un éventail musical des plus variés pour montrer à quel point l’influence de Beethoven est constante depuis deux siècles. La célébration du bicentenaire était l’occasion rêvée pour offrir des perspectives qui ouvrent bien des portes.

Divisé en sept chapitres qui posent tous une question, le documentaire s’intéresse d’abord au rock et à la pop music à partir des quatre notes qui ouvrent la Symphonie n° 5. Des interviews de Rudolf Schenker, le guitariste des Scorpions, et de Ian Anderson, le flûtiste de Jethro Tull, permettent de se rendre compte de l’impact de l’œuvre sur des groupes comme The Kinks, les Rolling Stones, Deep Purple, Nirvana et quelques autres, illustrations musicales à l’appui qui montrent à quel point Beethoven a été « volé », emprunté ou arrangé. Un commentaire amusant suggère que si le maître de Bonn avait vécu aujourd’hui, il aurait conduit une moto, vêtu d’une veste appropriée.  

Passage par Vienne pour la deuxième question, qui concerne le business des concerts. Quelques vues de lieux familiers de l’époque, des considérations sur le tempo, la dynamique et l’articulation autour de la Symphonie n° 1, une visite au Musikverein où Beethoven est le bestseller des programmes, et un récapitulatif historique au Carnegie Hall où le compositeur est à l’affiche de manière permanente. Tout cela explique la conscience sociale du musicien, qui a changé la musique pour toujours en s’adressant au peuple. D’où la troisième séquence du documentaire qui se penche sur la dimension politique, à travers l’Héroïque et la colère face à l’attitude de Bonaparte, et la Neuvième avec son Ode à la joie. Ici, on découvre la voix du guitariste Billy Bragg qui chante sa version de l’hymne, et précise l’importance de l’idée de l’universalité et de la lutte des classes qui imprègne la génération punck et rock. Norbert Lammert, président du Parlement allemand pendant douze ans, évoque l’hymne européen et la combinaison entre chant et musique. Quant à la pianiste vénézuélienne Gabriela Montero, interrogée à Barcelone, elle parle de la situation dans son pays et de la nécessité pour les artistes d’être porteurs d’un message politique.

La quatrième séquence s’attache au concept des albums, après une séance de répétition de Mattias Goerne et de son partenaire Jan Lisiecki autour de An die ferne Geliebte, considéré par le baryton comme le modèle des cycles de chant romantique, dont se souviendront Schubert puis Mahler. On bascule à nouveau dans l’univers de la pop music et du folk-rock dont Beethoven serait le pionnier. Ici, le guide accompagnateur de la présentatrice est le compositeur et arrangeur Van Dyke Parks, premier concepteur d’un album de 1960 incluant Smile des Beach Boys sur le thème de la Neuvième Symphonie. D’autres s’en inspireront (The Beatles, The Who, Pink Floyd…), Van Dyke Parks lui-même prolongeant l’expérience dans un album récent, ¡Sprangled ! avec la chanteuse Gaby Moreno, née au Guatémala. Celle-ci souligne l’unité qui existe entre les musiques des Etats-Unis du Nord et du Sud et celles de l’Amérique centrale.

La musique de films est abordée dans la cinquième partie. Beethoven a lui-même créé des images dans la Pastorale, comme le feront plus tard Berlioz dans la Fantastique ou Richard Strauss dans la Symphonie des Alpes. Walt Disney s’en est emparé dans Fantasia. Après une allusion au travail d’Erich Wolfgang Korngold, on plonge, avec John Williams comme commentateur, dans le monde de Star Wars et d’autres productions, le compositeur expliquant l’influence de Beethoven sur sa création. On le voit diriger ses propres œuvres, avec le Boston Pops Orchestra, Sarah Willis et son cor étant dans la formation, ou à la tête du Philharmonique de Vienne, avec Anne-Sophie Mutter. Williams évoque encore sa musique pour Jaws et le rôle que la Symphonie n° 7 a eue sur son inspiration. 

Le tempo et le métronome sont au cœur de la sixième séquence, avec commentaires et démonstration du batteur Alexander Hoetzinger, et une déclaration de Paavo Järvi qui se déclare un adepte des indications de Beethoven. Une brève visite de la fabrique Wittner, située à Isny, ville allemande du Bade-Wurtemberg, permet de découvrir quelques précieux modèles de métronomes et les récentes avancées techniques.

Le documentaire s’achève dans l’univers du jazz. Avec la pianiste américaine Katie Mahan qui développe les effets jazzy qui découlent de la Sonate op. 111 et dont la portée n’a pas échappé à Scott Joplin ou à Duke Ellington. Quant au trompettiste charismatique qu’est Wynton Marsalis, il évoque le boogie-woogie ou Louis Armstrong en insistant sur le fait que Beethoven a été en son temps un champion de l’improvisation. Le Quatuor Armida fait la démonstration du rythme présent dans le Quatuor n° 16, prélude lui aussi aux effets syncopés que le jazz développera.

Complété par un bonus qui propose des interviews de Ian Anderson, membre du groupe Jethro Tull, ainsi que de Billy Bragg et de Gabriela Montero, vus dans la partie « politique », ce documentaire se présente comme un portrait différent de Beethoven, sur la base de thèmes choisis avec intelligence et présentés avec une chaleur communicative par Sarah Willis. Simon Ratlle et le Philharmonique de Berlin sont régulièrement présents dans des extraits très engagés des symphonies retenues pour la démonstration. Voilà un DVD instructif et distrayant à mettre entre toutes les mains, à condition de comprendre l’anglais ou de pouvoir le lire en sous-titres, le français brillant hélas par son absence. On notera que le même label a publié deux autres documentaires didactiques sur DVD à l’occasion du bicentenaire. L’un est consacré à « Beethoven’s Ninth. Symphony of the World », l’autre est intitulé « The Sound of Nature. Beethoven Worldwide : The Pastoral Project ».

Note globale : 9

Jean Lacroix

 

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