Drumming/Mapping : Ping.Pong pour Reich en classe de percu

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L’initiative est sympa, l’accroche prometteuse : après un croque-monsieur salade au bar du théâtre à deux coins de rue de là (à la fois cozy et gauche, on y est à l’aise pour feuilleter un magazine -ou grapiller quelques pages à son roman- comme pour capter les bribes de la vie quotidienne des comédiens et techniciens du spectacle vivant principautaire, j’arrive aux Chiroux, toit de ce soir pour la classe de percussion du Conservatoire de Liège, associée à la section Vidéo & Arts Numériques des Beaux-Arts pour un double exercice : aux baguettes et maillets pour les premiers, aux potentiomètres pour les seconds (c’est du direct pour eux aussi), une série de rendez-vous Ping.Pong, résidences d’une semaine où se rencontrent musique live et image, l’une et l’autre protéiformes et libres. L’entrée est au bon vouloir du public, qui ne laisse ce vendredi soir que peu de sièges vides dans la salle de spectacles aux sièges rouges à la mousse moelleuse, venu soutenir les artistes en devenir, du son et de la lumière -peut-être la fratrie, certains amis, des curieux ou des connaisseurs, que les élèves du conservatoire regardent s’installer sans broncher, assis dans la pénombre derrière les écrans rectangulaires tombant des cintres.

Car, si Steve Reich (°1936) est, dans le monde de la musique contemporaine, un compositeur, sinon populaire, à la reconnaissance établie, et que les processus d’écriture qui caractérisent son esthétique répétitive se répandent dans la culture rock ou pop depuis deux générations (la vague électronique allemande des années 1970 notamment), l’abord de sa musique n’est pas encore une évidence, certains développant, à l’irruption de sa musique, l’équivalent auditif d’une éruption de varicelle, boutons et démangeaisons. En ce qui me concerne, j’ai un a priori largement favorable (à la musique, pas aux pustules) et j’ai encore en tête la quasi-chorégraphie, simple et mystérieuse, des interprètes se relayant pour Music for 18 Musicians, vu il y a quelques années à Bozar et, encore avant, du balcon de la Philharmonie de Paris. Je suis d’autant plus curieux de découvrir Drumming mis en lumière, dont j’ai loupé l’opportunité d’explorer la vision d’Anne Teresa De Keersmaeker, Rosas et Ictus, qui pourtant se promène dans le monde depuis plus de vingt ans (prochaine date, à Nantes) et où la chorégraphe partage avec le compositeur le principe des structures comme processus.

Reich, renforcé par son voyage au Ghana quelques mois plus tôt dans l’idée que les instruments acoustiques peuvent produire une musique plus riche en sons que la lutherie électronique, travaille une année entière, de l’automne 1970 à l’automne 1971, sur ce qui est alors sa pièce la plus longue (de 55 à 75 minutes, suivant le nombre de répétitions  -ce soir, on dépassera de peu l’heure), basée sur un unique motif rythmique, en quatre mouvements sans interruption, pour des effectifs bien scindés, qui se rejoignent toutefois pour la partie finale : sans interruption, mais avec un passage graduel d’un univers sonore à l’autre, organisé très précisément, les nouveaux instruments doublant le schéma exact de ceux qui s’apprêtent à céder la place. La pièce débute par la frappe aux baguettes de quatre paires de bongos accordés et montés sur trépieds, disposés obliquement au centre de la scène, entre les marimbas et les glockenspiels : autant l’abord sonore est sec et mat, fondamentalement percussif, autant l’entame visuelle est timorée, simples points blancs développant peu à peu leur surface, avant de projeter l’image même des peaux frappées, sur lesquelles on aperçoit, furtivement, les extrémités des baguettes, puis s’évadant, avec plus d’à-propos, vers des formes géométriques, abstractions en mouvement libérées.  

Il y a une sélection sur le principe même du déphasage, m’explique Gerrit Nulens (Monsieur 500 Drumming, chez Ictus) après le concert, un œil sur ses étudiants : certains n’y parviennent simplement pas, il y a quelque chose de contre-intuitif, qui pousse à ralentir (ce qui du coup creuse l’écart). Ce soir, ils s’en sont bien sortis : quelques légers décalages (il faut connaître la pièce sur le bout des doigts pour les repérer), vite corrigés par un fade out bien mené avant de se remettre dans le rythme. Il a raison, les musiciens réalisent une performance très honorable, ponctuée, dans le deuxième mouvement, par les entrées et sorties (jusqu’à neuf percussionnistes aux moments les plus denses) autour des trois marimbas disposés en triangle, et un peu gâtée, en troisième partie, par la réverbération (qui se mue en un sifflement perturbateur), consécutive à un plafond trop bas, des trois glockenspiels -la tessiture très élevée de l’instrument y est pour quelque chose- qui exclut d’ailleurs les voix (pourtant féminines) accompagnant les marimbas de la deuxième section (en imitant leurs sons), ici remplacées par des sifflements humains et une flûte piccolo.

Le dernier mouvement est celui de la réunification, où se retrouvent les différents pupitres, jusqu’au cut final et au retour des lumières, occasion pour les vidéastes de rejoindre sur scène la grosse douzaine de sonéastes et de saluer face à un public bienheureux -et enclin à traîner encore un peu au bar avant le retour au foyer.

Centre Culturel Les Chiroux, Liège, le 10 février 2023

Bernard Vincken

 



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