Elektra à Baden-Baden
Après Die Frau ohne Schatten (La Femme sans ombre) de Lydie Steier l’année dernière, le Festival lyrique de Baden-Baden joue cette année Elektra avec une mise en scène de Philipp M. Krenn et de Philipp Stölzl. Qu’il en soit remercié. Tout le monde n’est pas parti, de la production dernière. Elza van den Heever et la Philharmonie de Berlin sous la baguette de Kirill Petrenko sont encore là. Qu’ils en soient remerciés également.
Sur une scène enclose sur elle-même telle un crâne, des blocs amovibles sculptent le décor à l’envi, montrant ainsi leurs lignes faisant songer à des lignes de textes, surtout avec celui du libretto projeté sur eux, ou des portées. Ils séparent, encaquent ou libèrent les personnages, tout en soulignant leurs enfermements psychologiques. Ils peuvent aussi transformer le plateau en escalier géant, illustrant la montée dans la psychose comme la descente dans la psyché. Le crime comme la vertu a ses degrés, disait Racine dans "Phèdre". Ces cubes rappellent ainsi que, comme dans Salomé, Elektra fut composé à l’époque de la naissance de la psychologie. Et comme Salomé, Elektra présentent des caractères au bord de la folie, se heurtant à celle du personnage féminin central.
Ces blocs constituent certes la plus grande force de cette mise en scène, avec leur plasticité scénique mais aussi une faiblesse, à cause des contraintes physique qu’ils imposent aux acteurs. Ainsi quand ils les enferment, ne leur permettent-ils que peu de mouvements et les forcent-ils à se plier en contraignant leur plexus. Cela se voit notamment dans la scène finale, durant laquelle Electre, à côté des cadavres de ses parents, et sous un de ces cubes, veut danser mais peut à peine bouger.
Nonobstant, la gêne principale vient de la projection constante des dialogues sur la scène, ce qui parasite les lectures des jeux d’acteurs et des mouvements de la scène.
Fort heureusement, les interprètes étaient brillants. Nina Stemme incarne une Electre de feu, -peu importe à cet niveau si quelques notes difficiles lui échappent- ; Elza van den Heever une Chrysothemis fraiche, inquiète, et pleine de vie, contrairement à sa sœur mortifère ; Johan Reuter un Oreste dont la bariton montre un homme aussi fatigué, usé et brisé que sa jambe de bois ; Michaela Schuster, une Clytemnestre, -hélas en banshee éloignant la sympathie envers cette femme rendue insomniaque par son crime-,chante avec autant de justice que de justesse.
Mais surtout, quel plus que remarquable orchestre ! Sans élimer l’anguleux aigu et acéré de la partition d’orchestre, Kirill Petrenko donne à la Philharmonie de Berlin une cohésion et une élégance jamais lourdes et toujours à propos. Il montre, comme il le fit déjà l’année dernière, le génial orchestrateur qu’était Strauss.
Une très bonne soirée en fin de compte surtout grâce à la qualité musicale de l’ensemble.
Baden-Baden, Festspielhaus, 31 mars 2024
Crédits photographiques : © Monika Rittershaus