Encuentro : entre deux artistes, deux interprètes et deux styles

par
Perianes

Manuel DE FALLA
(1876 - 1946)
Siete Canciones populares españolas - El amor brujo, suite pour piano
Federico GARCÍA LORCA
(1898 - 1936)
Canciones españolas antiguas
Estrella Morente (chant), Javier Perianes (piano)
2016 - SACD - textes de présentation en français, anglais et espagnol - Harmonia Mundi HMC902246

Dans sa jeunesse, la vocation de Federico Garcia Lorca fut musicale avant d’être littéraire. Au contraire, Manuel de Falla était très attiré par la littérature avant de décider à ses 17 ans de se consacrer à la musique. Les chemins de ces deux artistes se sont croisés en 1919. Ce CD est comme un hommage à l’amitié et l’admiration réciproque qui liait ces deux artistes et à l’influence du folklore sur leurs créations.
Il est parfois intéressant d’écouter un CD pour la première fois sans avoir ouvert le livret ou fait la moindre recherche. On évite de commencer l’audition avec des attentes particulières… et parfois, on déterre un a priori qui dormait au fond de notre subconscient. Pourquoi cette voix suave et voilée, presque râpeuse, nous surprend-elle tellement? A-t-on tellement l’habitude d’entendre des chanteuses de formation lyrique chanter ce répertoire qu’on en oublie l’essence populaire? Cette voix, c’est celle d’Estrella Morente, originaire de Grenade, fille du chanteur de flamenco Enrique Morente et de la danseuse Aurora Carbonell, petite fille du fameux guitariste Montoyita, et pour couronner le tout,... épouse d’un matador.
À ses côtés, un Espagnol aussi, mais de formation bien plus classique: le pianiste Javier Perianes. Quand Remy Franck pour Crescendo lui demandait[1] si le répertoire espagnol représentait quelque chose de particulier pour lui, il répondait “Non. Je joue de la musique espagnole, bien sûr. Quand je propose de la musique espagnole dans un de mes programmes, c’est parce que je pense que cette musique mérite de figurer dans ce programme. Pas parce que je suis espagnol.”
Et comme cette musique le mérite, en effet! On sent entre les deux interprètes qu’il y a eu une belle rencontre, et qu’ils s’écoutent beaucoup. Perianes, avec son toucher ferme et parfois percussif fait superbement écho aux inflexions que Morente donne au texte. Il y a comme une volonté de se rejoindre à mi-chemin. Estrella Morente écrit dans le livret avoir travaillé pour “évoluer vers un type de chant plus lyrique”. L’intention est belle mais n’aurait peut-être pas valu le naturel d’un chant flamenco assumé, elle qui a une qualité si narrative et un héritage si ancré. Lorsqu’elle prête sa voix à Penelope Cruz dans le film Volver de Almodóvar, il y a quelque chose de beaucoup plus authentique qui aurait parfaitement collé à la musique de Falla et de García Lorca. À froid, difficile de savoir tout de suite si l’on écoutait une chanteuse lyrique qui essaye de faire du flamenco, ou une chanteuse de flamenco qui imite la technique classique. Voilà peut-être ce qui était déroutant... Mais on peut pencher dans les deux directions: les Siete canciones populares de Falla étaient composées à la demande d’une cantatrice de l’Opéra Comique alors que les parties chantées de Amor Brujo furent composées pour Pastora Imperio, une chanteuse et danseuse d’origine gitane.
Préférences personnelles mises à part, il faut reconnaître qu’Estrella Morente et Javier Perianes proposent une interprétation dynamique pour un enregistrement qui sort du lot et qui mérite une place dans la discothèque de tout amateur de musique espagnole.
Aline Giaux, Reporter de l’IMEP

[1] https://www.crescendo-magazine.be/2016/03/javier-perianes-tout-sest-passe-selon-un-processus-naturel/

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