Enivrante redécouverte, dans un lieu de mémoire, de l’œuvre sacré de George Jeffreys

par

Lost Majesty. George Jeffreys (c1610-1685), sacred songs and anthems. Solomon’s Knot. Zoë Brookshaw, Clare Lloyd-Griffiths, soprano. James Laing, Kate Symonds-Joy, alto. Thomas Herford, Andrew Tortise, ténor. Alex Ashworth, Jonathan Sells, basse. Josep Maria Marti Duran, théorbe. William Whitehead, orgue. 2022 Livret en anglais, allemand, français ; textes en langue originale, traduction bilingue. Deux CDs. 46’51’’ + 39’06’’. Prospero PROSP0086

À l’instigation de William Whitehead, ému par ces lieux qu’il visita voilà une dizaine d’années, cet enregistrement a planté ses micros dans les vestiges d’un manoir anglais en ruine, dans le Comté du Northamptonshire. C’est là, à Kirby Hall, que quatre siècles auparavant, son intendant partageait l’engouement de son employeur pour les arts, en particulier musicaux. Outre la gestion du domaine du baron Christopher Hatton, dont il avait fréquenté la famille à Cambridge, George Jeffreys composa, pendant cinq décennies. Plus qu’une marotte pour cet homme, autant à l’aise dans le matériel que le spirituel, qui fut aussi l’organiste de Charles Ier à Oxford, son seul emploi de musicien professionnel.

Il est aujourd’hui bien oublié, ce chaînon coincé entre William Byrd (c1540-1623) et Henry Purcell (1659-1695), dans une nation en trouble, déchirée par la guerre civile qui amena une restauration peu favorable à Jeffreys. Une seule œuvre fut publiée de son vivant. Il fut pourtant un pionnier du Baroque anglais, dans le goût italien du stile nuovo qu’il avait découvert grâce aux partitions vénitiennes acquises à Londres par la famille Hatton. On lui doit quelques fantaisies instrumentales et pages vocales concertantes, et surtout un vaste corpus de chant profane et sacré : madrigaux, mélodies, motets, cantiques, hymnes, pièces dévotionnelles. Liturgie publique, piété dans un cadre privé ? On ignore encore dans quelle circonstance un tel catalogue a pu être exécuté.

Adossé aux récentes publications de Jonathan Wainwright, signataire du livret et éditeur pour Stainer & Bell, le programme d’une heure et demie s’avère riche d’enregistrements en première mondiale. Le premier CD se penche sur la production sacrée à cinq voix, présentées dans l’ordre du calendrier de l’Église. Le second explore ensuite d’autres pages à quatre voix, tout cela avec un continuo de théorbe et tuyaux. L’accompagnement par un petit orgue (en 8’ ouvert fait par Walter Chinaglia) se trouve justifié par la présence d’un tel instrument dans le Kirby Hall de l’époque.

Le Kirby Hall d’aujourd’hui, somptueusement capté par les micros d’Andrew Mellor, dans une acoustique précise et délicatement réverbérée, fournit un délectable écrin à cette polyphonie imitative, dont les tuilages, les éclats (les éblouissements, même : quel grisant Great and marvellous are thy works), sont magnifiquement servis par Solomon’s Knot. Même si le genius loci induit inévitablement pour l’auditeur sa fantasmatique caution d’authenticité, l’équipe de Jonathan Sells nous convainc et de l’intérêt de cette redécouverte, et de la nécessité de la prolonger par d’autres réalisations offrant la même séduction.

Christophe Steyne

Son : 9,5 – Livret : 10 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

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