Fantastique !
Mariss Jansons et ses musiciens du Symphonieorchester des Bayersichen Rundfunk ont provoqué un feu d’artifices avec la Cinquième de Beethoven et la Symphonie fantastique de Berlioz. Lorsque l’on parle du romantisme en France, c’est la figure de Berlioz qui émerge, alors que sur le sujet de l'apparition du romantisme en musique, c’est Beethoven qui triomphe. D’un point de vue purement musicologique, le choix de ces deux œuvres est donc pertinent. On sait grâce aux Mémoires de Berlioz tout comme sa correspondance et ses écrits que celui-ci adorait Beethoven. C’est davantage dans le fait de se libérer des normes et des règles que Berlioz puisera son imagination. La première moitié 19e siècle en France est une période complexe et historiquement pleine de rebondissements et de transformations. Pour la musique, en dehors des musiques à usage patriotique ou militaire, l’œuvre symphonique est finalement peu appréciée au point que certains compositeurs la critiquent. C’est l’opéra qui prime et cela peut se comprendre dans un siècle si perturbé. Berlioz n’écrivant pas beaucoup pour l’opéra et n’étant pas lui même virtuose de formation, il décide de poursuivre le travail de Beethoven et toute la dramatisation qu’on lui reconnaît. Mais comment surpasser le maître ? La Symphonie Fantastique, ouvrage autobiographique avec programme, présente la passion et le désir de Berlioz pour Harriet Smithson. Cinq mouvements reliés par le thème de l’idée fixe. Le premier avec son introduction suivie d’un Allegro agitato e appassionato, le second qui prend la place du scherzo instauré par Beethoven, le troisième qui apparaît comme un moment de calme et de douceur, et les deux derniers qui démontrent l’aspect révolutionnaire voulu par Berlioz. Cet aspect qu’il a lui même puisé dans le travail de son maître Lesueur lorsqu’il était encore étudiant. Pour la symphonie qui ouvre le concert, un thème est aussi repris dans toute la symphonie, comme une idée fixe -les accords du début du premier mouvement. Beethoven choisit de les travailler de manière rythmique ou harmonique et on ne l’entendra jamais de la même manière et ainsi apparaît la notion de cycle chère à Beethoven, reprise plus tard par les romantiques.
On l’a compris, le choix de ces deux œuvres n’est pas anodin. Pour la première, il est devenu une habituel, depuis des années, d’innover et de moderniser l’interprétation des symphonies de Beethoven. On se souvient évidemment du travail colossal de Karajan à Berlin avec, entre autres, le nombre imposant de cordes alors qu’Abbado réduira l’orchestre. Jansons sollicite la presque totalité des cordes de l’orchestre qui pourtant sonne comme une formation de chambre. On est émerveillé par la qualité des archets, la maîtrise des nuances et, surtout, par cette unicité qui se fait rare dans nos orchestres. Les musiciens s’écoutent et se répondent, le dialogue entre l’orchestre et le chef est naturel. Libérant sa main droite de la baguette, Jansons dirige la musique et c’est tout. Aucun geste inutile et une battue extrêmement proche de la partition et de son écriture. Un peu d'exubérance parfois dans les couleurs des nuances même si cela n’est pas toujours indiqué. Chaque note trouve sa place parmi ses voisines et en cela, on ne peut que se réjouir du travail défini par Jansons et de sa lecture à la fois classique et moderne. Le second mouvement -que Karajan utilisait souvent pour ses master-classes pour la complexité du langage beethovenien avec seulement les trois notes d’un accord- mène à une qualité d’écoute trop rare. Quel bonheur d’entendre des vents justes, en rythme, sans exagération. Tout est mesuré, et on vibre de la liberté de jeu suspendue à la gestuelle du chef.
Pour Berlioz, on change d’approche. L’oeuvre exprime la modernité du langage au 19e siècle et on goûte la précision avec laquelle Jansons contrôle chaque pupitre. Dans le second mouvement, c’est l’ambiance du bal traditionnel et les cordes brillent dans le thème si populaire –mais jamais vulgaire- par leur jeu souple et dansant requis par la valse. Dans la scène au champ, Jansons placer le hautbois au fond de la salle : effet de surprise et sensation acoustique garantis. Pour la fin du mouvement, il place des timbales de part et d’autre (dans les coulisses) créant ainsi un effet de résonnance d’une rare qualité. Belle aisance rythmique et dynamique pour les deux derniers mouvements ou les accents, les nuances et indications de Berlioz sont respectées à la lettre.Le thème du Dies Irae est donné en puissance et Jansons n’hésite pas, à l’aide à souligner de la maingauche ce côté magistral offert par les cuivres.
Un dernier accord spectaculaire et le public offre standing ovation à l’orchestre et son chef.
Ayrton Desimpelaere
Bruxelles, Bozar, le 27 mars 2013