Festival L’Esprit du piano à Bordeaux

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Depuis 2010, le festival L’Esprit du Piano investit l’Opéra de Bordeaux (autre fois le Grand Théâtre, aujourd’hui l’Auditorium) pour faire vibrer les murs de la salle par de grands maître comme Aldo Ciccolini, Gregory Sokolov, Menahem Pressler, Paul Badura Skoda ou Arcadi Volodos, mais aussi des jeunes talents tels que Alexandre Kantorow, Florian Noack, Jean-Paul Gasparian, Pavel Kolesnikov, Vadym Kholodenko, Behzod Abduraimov, pour ne citer qu’eux. Le jazz et autres genres ont bien leurs places (Chic Corea, Yaron Hermann, Chilly Gonzales, Abd Al Malik…). Depuis 2012, le Festival s’exporte en Chine avec des jeunes interprètes (Marie-Ange Nguchi, Selim Mazari, Paolo Rigutto…) où on organise également des auditions de jeunes pianistes chinois.

Parmi les 14 concerts de cette 9e édition, du 9 au 26 novembre, nous avons écouté Yefim Bronfman en récital, ainsi que la transcription de Requiem de Mozart pour piano et harmonium par Loïc Lafontaine.

Récital de Yefim Bronfman

Chaque récital de Yefim Bronfman, trop rare en France et en Europe, est un moment privilégié pour ceux qui ont l’opportunité d’y assister. Son programme du 16 novembre est constitué de pièces qu’il joue depuis quelques années seulement : Grand Humoresque op. 20 de Schumann, Suite Belgamasque de Debussy et la Sonate en ut mineur D 958 de Schubert.

Le Grand Humoresque de Schumann ne bénéficie pas de la même popularité que Le Carnaval ou les Kreisleriana mais l’œuvre est aussi riche qu’eux, tant sur le plan pianistique que musical. Composé de sept pièces qu’on joue habituellement sans interruption, il présente une grande diversité de caractères et d'humeurs (« mélange d’exaltation et d’esprit farceur »), ce qui fait le charme et la difficulté de cette partition d’une trentaine de minutes.

Le discours de Bronfman est extrêmement limpide et chaque détail est clairement audible. En effet, au lieu de faire sonner l’instrument pour inonder la salle des sons super-puissants d’un piano moderne, il s’attache à clarifier chacune des notes, rendant ainsi toute l’œuvre intelligible à souhait. Les rythmes schumanniens que ses doigts règlent comme une horloge, renforcent le sentiment obsessionnel propre au compositeur ; la beauté de la mélodie dans Einfach und zart, servie par une sonorité cristalline, fait rêver de souvenirs nostalgiques… Là, tout est justement dosé, sans aucun excès, à la limite du raisonnable, et pourtant la puissance de la musique nous capte de plein fouet. Bref, la magie opère.

Il continue à nous emmener dans une contrée pianistique lointaine avec la Suite Belgamasque. Un Debussy lui aussi limpide, sous un soleil rayonnant, notamment dans « Prélude ». Et ce n’est certainement pas dans un brouillard ou une brume qu’on voit une image de menuet d’un autre temps. Elle est certes sobre mais montre en même temps quelque chose de sensuel. La sensualité mais aussi la douceur dominent dans « Clair de lune » dans le ciel sans nuage. Dans son interprétation, le rythme régulier du « Passepied » rappelle quelque peu Schumann mais s’envole vite pour une autre aventure. Ce Debussy est une grande découverte, comme lui seul, et personne d’autre, peut le jouer.

Après l’entracte, il offre l’une des dernières Sonates de Schubert absolument éblouissante, d’une rare profondeur. Obsessionnelle aussi, par ses rythmes et par sa longueur, cette Sonate met tous les pianistes en épreuve : saisissant ou ennuyeux, il n’y a pas d'« entre les deux ». Avec Yefim Bronfman, on oublie le temps qui passe. La musique prend son ampleur au fil des mouvements et il y est si investi que nous sommes naturellement entraînés dans son univers. C’est l’idéal même d’une expérience musicale, et c’est pourquoi c’est un privilège de partager un moment avec lui.

Trois bis complètent le récital. D’abord une Sonate lente de Scarlatti, véritable grâce incarnée. Il joue dans un tempo très retenu et une sonorité en état de quasi-silence, certaines notes merveilleusement ornementées. Avec l’effet de sourdine (avec ou sans la pédale), on se croirait dans un rêve. Ces quelques minutes furent le meilleur moment de cette soirée. Puis l’Étude révolutionnaire et l'Étude op. 10 n° 3, de Chopin où, encore une fois, la clarté domine. C’est avec cette clarté presque déconcertante que s’est refermé son récital.

Requiem de Mozart en version piano/harmonium

Né à La Martinique, Loïc Lafontaine a fait ses études de piano au Conservatoire de Bordeaux dès l’âge de 4 ans, puis au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Lauréat du Concours international des Grands Amateurs de Piano à Paris et à Berlin en 2010, il a intégré la société Yamaha et gère aujourd’hui administration et logistique au sein de Yamaha Artist Services Europe. Ce 18 novembre, il dévoile un autre visage, celui de transcripteur. Mû par le désir de diffuser largement les chefs-d’œuvre, il s'est prêté à un exercice de transcription, suivant le modèle de Liszt, Busoni, Rachmaninov ou encore Ravel. Il a choisi pour cela le Requiem de Mozart. Initialement destinée à l’orgue et au piano, sa partition est interprétée ce jour à l'harmonium et au piano. Il fallait donc baisser le diapason du piano pour l'aligner sur celui de l’harmonium.

L’utilisation de cet « orgue à pédalier » rappelle le caractère religieux du Requiem. L’instrument fourni par le Festival souffre hélas de son vieillissement ; il siffle beaucoup, les deux grosses pédales qui remplacent la soufflerie grincent péniblement, à tel point que parfois, les couinements est aussi sonores que la musique. Frédéric Ledroit, titulaire des grands orgues de la Cathédrale d’Angoulême, peine à trouver un équilibre entre les notes.
Autre problème d’équilibre, celui entre les deux instruments est plus conséquent. Le son d’un grand piano de concert, en occurrence un Yamaha CFX, couvre souvent l’harmonium. De surcroît, Loïc Lafontaine joue avec une certaine grandiloquence post-romantique qui sonne étrangement dans cette œuvre. A-t-il pensé à la manière dont Busoni a transcrit Bach ? Si l’idée, originale, propose des possibilités séduisantes notamment pour les différentes couleurs inattendues, la partition serait à notre sens plus adaptée à des concerts pédagogiques pour décrypter et analyser l’œuvre de façon ludique.

Photos : Yefim Bronfman © Dario Acosta ; Loïc Lafontaine ©Bertnard Martinez

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