Bartók et Enescu dans de superbes moments de jeunesse !

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Béla Bartók (1881-1945) : Concerto pour violon et orchestre n°1, Sz.36* ; George Enescu (1881-1955) : Octuor pour cordes en do, op.7** ; Vilde Frang, violon. *Orchestre Philharmonique de Radio France, Mikko Franck. ** Vilde Frang, Erik Schumann, Gabriel Le Magadure, Rosanne Philippens, violons - Lawrence Power, Lily Francis, altos - Nicolas Altstaedt, Jan-Erik Gustafsson, violoncelles 2018- DDD-58'05"-Textes de présentation en anglais, français et allemand - Warner Classics 0190295662554

Un couplage inhabituel entre deux œuvres de jeunes compositeurs ; d'une part, un concerto issu d'une courte histoire d'amour non partagé, d'autre part, un octuor qui se veut une profonde réflexion sur la structure musicale traditionnelle en quatre parties.

Jusqu'en 1956, seul nous était connu le mouvement initial, andante, du premier concerto pour violon de Bartók, composé entre juillet 1907 et début février 1908 ; c'est en effet, presque à l'identique, le premier des deux portraits, une idéale, op. 5. En mai, Bartók tombe sous le charme d'une jeune violoniste de dix-neuf ans, Stefi Geyer. Très vite, il lui écrit un concerto en deux mouvements, le portrait musical d'une jeune fille idéalisée d'une part et pétillante, pleine d'humour, d'autre part. La jeune fille signifie alors clairement les limites de leur relation à un Bartók abattu. Sur son lit de mort, en 1956, Stefi Geyer confiera le manuscrit au mécène suisse Paul Sacher qui créera l'oeuvre avec son orchestre bâlois deux ans plus tard. C'est une oeuvre d'un lyrisme proche des traditions du romantisme tardif de Richard Strauss.

On ne saura jamais si le second des deux portraits pour violon et orchestre créés en 1916, ces deux minutes et demie d'une grotesque, aurait été le troisième mouvement du concerto, une sorte de musique laide que le compositeur aurait envisagée pour décrire une Stefi Geyer indifférente, froide, muette.

La violoniste norvégienne Vilde Frang ne craint pas d'affronter Bartók ; elle s'était déjà mesurée à sa sonate pour violon seul. Avec une sonorité claire, elle nous fait ressentir l'intense passion innocente du premier mouvement et la nervosité plus amère que le compositeur a voulu mettre dans le second pour traduire "sa" Stefi fumant la pipe, comme il l'a écrit. Elle est soutenue par le bel ensemble de l'Orchestre Philharmonique de France et Mikko Franck. Je ne voudrais citer ici que la dizaine de mesures du superbe dialogue entre le violon et les seuls hautbois dans le second mouvement du concerto.

Sans avoir la notoriété du second concerto composé dans la pleine maturité du compositeur à la veille de la seconde guerre mondiale, il est rare que les deux oeuvres ne soient pas couplées dans les enregistrements récents. Parmi ses interprètes, on trouve Yehudi Menuhin dès 1965 et, plus tard, parmi d'autres Midori, Vilmos Szabadi, Gidon Kremer, Thomas Zehetmair et, récemment, Christian Tetzlaff ou Renaud Capuçon.  

Composé la première année du XXe siècle, l'Octuor à Cordes de George Enescu (ou Georges - avec s - Enesco, son nom "francisé") reflète la volonté d'un jeune compositeur de dix-neuf ans de construire une forme sonate étendue aux quatre mouvements. Dans une construction rigoureuse, il tente de combiner le principe de transformation thématique que Liszt avait déjà tenté dans sa sonate en si mineur avec l'architecture cyclique d'un César Franck où un thème principal et des éléments secondaires réapparaissent régulièrement. Chez lui, cet attachement à une forme sonate généralisée aboutit à un finale d'une rare densité qui récapitule les différents thèmes et épisodes qui l'ont précédé. Ce sera dorénavant sa marque de fabrique la plus caractéristique. Il donne même la clé d'écoute de sa partition dans sa préface : Cet Octuor, oeuvre cyclique, présente la particularité suivante : étant divisé en quatre mouvements distincts, à la manière classique, ces mouvements s'enchaînant entre eux, forment un seul mouvement de symphonie, où les périodes, sur un plan très élargi, se succèdent selon les règles de la construction d'une première partie de symphonie...

Vilde Frang est ici rejointe par des artistes du plus haut niveau - nous ne citerons que l'altiste Lawrence Power. C'est une évasion dans un parcours accidenté qu'ils nous découvrent à huit : de leurs moments si apaisants à leurs chevauchées tellement survoltées.

Edouard Colonne trouvait cet octuor horriblement beau alors que son père, le maître des concerts homonymes, le jugeait plus horrible que beau. Il se trompait lourdement et l'histoire a fait son choix ; l'octuor d'Enesco est aujourd'hui considéré comme un des modèles du genre.

L'artiste justifie son choix et son intérêt pour l'octuor d'Enesco dans un livret qui est, par ailleurs, bien documenté sur les deux partitions grâce à la plume de Misha Donat.

A écouter et réécouter souvent sans aucune hésitation. Plaisir et joie garantis.

Jean-Marie André

Son 9 – Livret 10 – Répertoire 9 – Interprétation 10

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