Fiable intégrale des symphonies et poèmes symphoniques de Saint-Saëns à Malmö

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  Camille Saint-Saëns (1835-1921) : Symphonie en la majeur Ratner 158 ; Symphonie Urbs Roma en fa majeur ; Symphonie no 1 en mi bémol majeur Op. 2 ; Symphonie no 2 en la mineur Op. 55 ; Symphonie no 3 en ut mineur Op. 78. Le Rouet d’Omphale, Op. 31. Phaéton, Op. 39. Danse macabre, Op. 40. La Jeunesse d’Hercule, Op. 50. Marc Soustrot, Orchestre symphonique de Malmö. Août 2013, réédition 2021. Livret en anglais, français. TT 66’00 + 71’33 + 67’19. Naxos 8.503301 

Naxos met en boîte trois albums regroupant les cinq symphonies et quatre poèmes symphoniques enregistrés dans l’ancien Malmö Konserthus, avant le déménagement en 2015. Alors que s’achève l’anniversaire Saint-Saëns, force est de constater qu’aucun orchestre français ne s’est aventuré dans ce genre d’entreprise depuis Jean Martinon voilà un demi-siècle ! Les intégrales symphoniques nous viennent de Suède (Marc Soustrot), des États-Unis (Thierry Fischer chez Hyperion) et de Belgique (Jean-Jacques Kantorow chez Bis), réactivant depuis une dizaine d’années l’intérêt sur ce corpus occulté par la célébrissime « Symphonie avec orgue » qui elle jouit d’une enviable discographie.

Si l’on devait résumer l’esthétique qui émane de ces sessions du 19 au 30 août 2013, on emploierait les termes minutie, rondeur, germanisme. Du moins un romantisme assez chaste. Certes les premiers opus sont contemporains du dernier Schumann, suivent de peu la disparition de Mendelssohn, et l’on sent bien ces influences dans l’interprétation de la Symphonie no 1. Cordes moelleuses et peu vibrées (fidèle à un certain dogme HIP), bois colorés sans verdeur, basses généreuses, sonorité rondouillarde. Pour autant, comparé à la phalange de l’ORTF, l’orchestre suédois manque moins de discipline (superbe Allegro maestoso, tracé d’un geste pur et droit, y compris la fugue à 3’31) que d’ampleur, de caractère. Ses charmes sont subtils (Allegretto-scherzando) voire dilués (Adagio). Le mouvement lent de la Symphonie no 2 semble aussi un peu terni, et dans les autres l‘ancien chef de la Philharmonie des Pays de Loire dégage un classicisme bon teint, qui navigue entre le primesaut mendelssohnien et les grâces du jeune Schubert, quoique d’un ton parfois anodin. La juvénile Symphonie en la majeur rend hommage à Mozart (on y entend des échos de la Jupiter), Marc Soustrot la fusèle avec l’énergie requise, instillant les rémanences haydniennes qu’on attend (le délicat caquet du hautbois dans l’allegro molto) : l’exercice de style est adroitement géré, sauf le Scherzo bien trop pastellisé. En revanche, l’Urbs Roma aurait mérité qu’on s’attache à ses aspects ludiques (Molto vivace), à sa gravité simili-beethovénienne (Moderato, assai serioso) : la direction routinière la prive d’une éloquence qui la sauverait d’un ennuyeux académisme.

Si l’on en croit nos oreilles, le volume 2 bénéficie d’une captation plus large que les deux autres, accordant un surcroît d’aération bienvenu, et un meilleur épanouissement des violons. Cet enregistrement de la Symphonie no 3 précéda de quelques mois celui de Leonard Slatkin à Lyon pour le même label… et succède à celui que Marc Soustrot avait réalisé à Angers en janvier-février 1984 sous étiquette Forlane (déjà en numérique). Même si les voix médianes sont un peu sacrifiées à l’élan, l’Allegro moderato est ciselé avec soin et goût, les pupitres suédois répondent agilement à la stimulation, voire brillamment (magnifiques trombones à 4’37, trompettes à 7’38). Toutefois, le Poco Adagio tend à s’enliser dans une fadeur élégiaque qui en étire les langueurs, sans pourtant coûter aux ardents tuilages d’archets (4’56). La seconde partie est diligentée avec clarté et précision, on n’y regrette que des timbales faiblardes. L’orgue est virtuel, alimenté par une banque de sons qui reproduit le Cavaillé-Coll de l’Abbaye Saint-Étienne de Caen, plutôt réalistement incorporé à l’orchestre. Les amateurs de sensations fortes ne seront pas déçus par le Finale, que Marc Soustrot déploie avec grandeur et intelligence, d’une diction fignolée, sans excès de pompiérisme : globalement, cette version tient son rang au sein d’une discographie surabondante, et s’avère en cela une honorable surprise.

Hormis une Danse macabre trop tiède qui en édulcore les sarcasmes (un violon solo bien peu sulfureux), les trois autres poèmes symphoniques sont parcourus avec fiabilité. La giration du Rouet d’Omphale est méthodiquement animée, d’abord un peu mécaniquement accentuée mais plus souple à la reprise, encadrant un ostinato enflé par un émouvant galbe pour les gémissements espressivo e pesante (3’11). La chevauchée de Phaéton ménage sa monture mais surprend par ses foudres soudaines (6’34, quel tonnerre !). Dans La Jeunesse d’Hercule, en comparaison à Neeme Järvi (Chandos), le tempo tend à traîner : abordant la bacchanale (allegro, 7’34-10’07), au demeurant attisée avec zèle, deux minutes après Louis Fourestier (5’30). Lequel avec l'Association des Concert Colonne (Pathé, février 1953) s’avère inimitable pour la saveur des timbres et sa tension larvée. Si cette monophonie vous effraie, étant dit que les quatre pièces orchestrales trouvèrent là une sorte d’idéal de sobriété, on peut s’en remettre à Charles Dutoit avec le Philharmonia de Londres (Decca, juin 1980).

À notre avis, parmi les témoignages existants, une parfaite proposition en kit des cinq symphonies rassemblerait Jean Martinon ou Thierry Fischer pour la La Majeur, le récent coup d’éclat de Jean-Jacques Kantorow à Liège (no 1), Jean Martinon pour la Urbs Roma où il demeure insurpassé, Georges Prêtre à Vienne, Yan Pascal Tortelier à Belfast chez Chandos, ou Eliahu Inbal à Francfort chez Philips (no 2). Pour la fameuse no 3, les références abondent : Willem van Otterloo à Amsterdam (sauf le Finale où les tuyaux du Concertgebouw s'essoufflent), Martinon (non avec Bernard Gavoty chez Emi mais avec Marie-Claire Alain chez Erato), Louis Frémaux à Birmingham (Emi), et bien sûr le fringant Charles Munch (RCA, sa seconde version, à Boston en avril 1959). Parmi ces émérites jalons, et pour emprunter notre conclusion à l’article de Bruno Peeters en nos colonnes du 14 décembre 2015 : « au prix de Naxos, cette intégrale en trois CD vaut certainement la peine ».

Son : 8-9 – Livret : 8 – Répertoire : 7,5-10 – Interprétation : 7 (Urbs Roma) – 9,5 (no 3)

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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