Flagey Piano Days 2019

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Pour la sixième fois déjà, les Flagey Piano Days attirent vers le paquebot des Etangs d’Ixelles les amateurs de l’instrument-roi en permettant d’entendre aussi bien des vedettes confirmées que ceux et celles qui seront peut-être les stars de demain.

Même si la plupart des 18 concerts étalés exceptionnellement cette année sur 6 jours respectent à peu de choses près la durée d’une heure normalement prévue, il faudrait une belle endurance au plus ardent des pianophiles pour assister à tous.

De ce que j’entendis de cette édition, l’indiscutable sommet restera les extraordinaires Variations Diabelli données par Paul Lewis pour son quatrième récital de la saison à Flagey où il mêlait à chaque fois oeuvres de Haydn (ici la Sonate en mi mineur H. XVI:34, jouée avec légèreté, bonne humeur et une splendide égalité de toucher dans les mouvements rapides qui encadraient un touchant Adagio), des oeuvres tardives de Brahms (les trois splendides Intermezzi, Op. 117, dont Lewis saisit parfaitement la couleur automnale, en particulier dans le deuxième rendu ici avec pudeur et sur un ton de confidence d’où jaillissait naturellement l’émotion) et de Beethoven. Et pouvait-on rêver plus belle apothéose à cette résidence à Flagey que ces Variations Diabelli, cette composition hors normes au départ d’une anodine petite valse du compositeur italien bien connu des pianistes débutants? On ne peut qu’admirer ici -outre la technique et l’endurance du pianiste britannique- l’intelligence constamment en éveil de Paul Lewis, son sens de la forme, l’acuité comme la profondeur de son esprit, tout comme sa sensibilité exceptionnelle aux moindres nuances de cette phénoménale musique dont il sut de façon infaillible exprimer les moments de sérénité et de profondeur, et d’humour aussi, dans cette oeuvre qui est un véritable kaléidoscope d’émotions. Un très grand moment de piano et, plus encore, de musique.

On attendait aussi avec beaucoup d’intérêt la venue de Vadym Kholodenko après son disque Scriabine (Harmonia Mundi) couronné Diapason d’Or de l’année. Malgré qu’il se heurta aux deux obstacles de taille que représentaient l’instrument imparfait et certainement trop puissant pour le modeste Studio 1 de Flagey et l’acoustique excessivement dure et réverbérée de l’endroit, Kholodenko offrit une prestation qui impressionna. Il débuta, en guise de mise en doigts, par une très propre lecture de la Sonate Clair de Lune de Beethoven -marquée hélas par un tempo trop lent dans l’Adagio sostenuto initial transformé en marche funèbre- avant de passer au répertoire russe où ses dons s’expriment certainement le mieux. Ouvrant un choix de Préludes de Rachmaninov par le Prélude en do dièse mineur (très bien joué même si l’acoustique du lieu transformait les cascades d’accords en bouillie), il fit entendre de belles choses, en particulier dans  les Préludes 3 et 6 de l’Opus 23, alors que le célèbre Cinquième se voyait une fois encore défait par l’acoustique. Mais Kholodenko garda le meilleur pour la fin, dans une très convaincante sélection d’oeuvres tirées de l’univers étrange et parfumé de Scriabine. Il commença par le Poème satanique (magnifiques octaves), suivi du Poème tragique et d’un Vers la flamme de haute tenue -même si le pianiste ukrainien n’y apporta pas les extraordinaires raffinements d’un Volodos- où l’écriture semble par moments annoncer Messiaen. Le sommet du récital fut certainement l’Alborada del gracioso de Ravel donnée en bis, traversée de rythmes cinglants comme des coups de fouet et marquée aussi par un très beau et subtil travail sur les timbres.

Même dans un festival consacré au piano, la musique de chambre ne saurait manquer. Alors que le Quatuor Modigliani devait se produire avec Jean-Frédéric Neuburger, le pianiste français, malade, se trouva remplacé par l’excellent Matan Porat qui avait déjà  fait très belle impression en novembre dernier au Studio 4 dans le Quintette de Schumann interprété avec le Quatuor de Jérusalem. Après que le pianiste israélien ouvrit le concert par une très fine transcription de son cru du Prélude à l’Après-midi d’un faune de Debussy, le quatuor français prit possession de la scène pour une exécution de grande classe du Premier quatuor de Brahms qui permit d’emblée d’apprécier ses qualités. Nous sommes ici face à un ensemble qui, dans la lignée du Quatuor La Salle, donne priorité à la parfaite lisibilité de la partition -on entend toujours quatre instruments dans un équilibre et un fini sonore parfait- plutôt qu’à l’opulence quasi orchestrale et à la fusion des timbres recherchées par d’autres ensembles. Ceci déboucha sur un Brahms fortement dégraissé et invariablement intéressant, tout comme le fut le Deuxième Quintette, Op. 81 de Dvoràk où le jeu clair et stylistiquement très français de Porat se maria idéalement à l’absolue transparence du Quatuor Modigliani pour déboucher sur une interprétation assez inattendue qui fut un véritable triomphe de la ligne claire (en ce compris dans la Dumka, interprétée sans une once de sentimentalisme), là où des approches plus traditionnelles mettent davantage l’accent sur la couleur ou -comme dans le Finale- la verve bondissante.

Crédits photographique : Paul Lewis (c) Johan Jacobs.

Patrice Lieberman

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