Franck Russo, clarinettiste

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Le clarinettiste Franck Russo fait paraître chez Calliope un premier disque titré  “A la Nuit". Avec la complicité de la pianiste Laurianne Corneille et de la soprano Lia Naviliat Cuncic, il fait dialoguer Schumann et Schubert à la clarinette ou au cor de basset. Le musicien répond aux questions de Crescendo Magazine.

Votre nouvel album est consacré à des œuvres  de Schumann et Schubert. Pourquoi ce choix et comment avez-vous déterminé le programme ?

Je dirais que c'est tout d'abord Schumann qui a déterminé mon choix d'enregistrement quant à son tempérament musical et son caractère tant original qu'insolite. Eusébius et Florestan, son paroxysme, ses paradoxes ou bien ses contradictions m'évoquent beaucoup de choses depuis mes études au conservatoire, notamment avec Daria Hovora en classe de musique de chambre en sonate avec piano. Je pense que Robert Schumann est l'un de mes compositeurs favoris, chez qui je me retrouve souvent et avec qui j'arrive à m'exprimer à la fois tendrement et avec feu, avec folie... Schubert lui, s'associe tout naturellement avec Schumann, il est aussi une figure emblématique du Lied allemand et exprime une vocalité toute particulière, c'est à cet instant, dans ce choix de dualité que sont entrés dans l'aventure la voix de soprane ainsi que le cor de basset, voix d'alto... 

Ces deux compositeurs ne sont pourtant pas naturellement associés au répertoire pour clarinette ?

Alors si, ils le sont profondément mais assez discrètement, puisqu'aujourd'hui, il est vrai que les enregistrements de disques avec clarinette autour de Schubert et Schumann sont plus que rares.  Mais je voulais marquer une originalité, clairement, surtout dans un premier disque. Leur affection respective pour l'instrument est pourtant évidente, en premier lieu dans la musique de chambre à l’image de la Fantasiestücke de Schumann. Cette partition est composée originalement pour clarinette mais elle est désormais beaucoup plus jouée au violoncelle.  C’est une pratique que j’ai reprise en jouant à la clarinette les Cinq Pièces dans le Style Populaire Op. 102 de Schumann ou l'Arpeggione de Schubert... et ça marche ! Dans le répertoire symphonique, les deux compositeurs nous ont gâtés avec de magnifiques soli... 

 L’album porte le titre de la “A la nuit”. Pourquoi ce titre ?

Alors ce choix est venu tout à fait naturellement quand on a exploré les textes des Lieder, "Nacht", la Nuit était partout. Ce sont des mélodies si tendres, affectueuses, douces, parfois tourmentées, remplies d'amour que le moment de la nuit se trouve être le moment idéal, peut-être pour écouter cette musique ; ou alors j'ai voulu guider les auditeurs vers cet instant, et prendre le temps, se poser, écouter et respirer, se reposer... 

Pourquoi alternez-vous la clarinette avec le cor de basset ?

Tout simplement car j'avais en premier lieu envie de mettre à l'honneur cet instrument rare et si cher à Mozart... Il est aussi la voix d'alto ou de ténor et même parfois de baryton. Je chante donc avec la soprane, dialogue et raconte, dis les textes des Lieder des auteurs avec qui Schubert et Schumann ont collaboré... Je peux tout aussi bien, grâce aux timbres différents de ces clarinettes, exprimer tous ces sentiments de la Nuit. Dans la Romance d'Hélène de Schubert qui est composée pour orchestre et soprano (extrait de son Singspiel en un acte), c'est normalement la clarinette en si bémol (soprano) qui accompagne Hélène. Ici, j'ai fait le choix d'un arrangement pour cor de basset car, n'ayant pas l'orchestre, je pouvais terminer dans le grave les phrases d'introductions et cadences des bassons et violoncelles, ce que je ne pouvais pas faire à la clarinette. J'exploite ainsi tout le registre de l'instrument ainsi que ses possibilités d'expression... Dans l'Adagio et Allegro de Schumann, originellement pour cor, il me semblait opportun d'utiliser le cor de basset (du même registre), "petite basse" dans le jargon des clarinettistes et montrer une sonorité toute aussi particulière parfois même proche d'un cor cuivré. Mendelsohn l'avait utilisé dans ces Konzertstücke et après, pendant presque un siècle, il a disparu... Strauss l'a remis à l'honneur ensuite ! C’est un instrument que j'aime et comme je suis en quelque sorte ambassadeur de la marque Buffet Crampon, mon rôle est de faire découvrir des choses nouvelles ou si peu connues à mon public. 

La clarinette et le cor de basset sont-ils des instruments du romantisme ?

Oui, ils sont des instruments du romantisme ! En tous les cas, pour la clarinette, c'est certain. C'est Mozart qui a rencontré le cor de basset en premier, il faisait partie du courant et genre Classique certes, mais Wolfgang n'était-il pas aussi, au fond de lui, un grand romantique quand on écoute par exemple les adagios de ses 21e et 23e Concertos pour piano ? Ou encore certains de ses airs d'opéra ? Certains passages de son Concerto pour clarinette qui sont tout autant de l'opéra par ailleurs. Je pense qu'il n'y a pas un instrument plus romantique que l'autre et je ne parle pas forcément de la clarinette ou du cor de basset, je parle de la voix, chaque instrument est une voix, se doit d'exprimer les vœux et souhaits des compositeurs avec leurs intimité et originalité. En tant que clarinettiste, je peux tout jouer, tout dire, tout faire, classique, romantique, jazz, klezmer, balkan, tango... Pleurer, chanter, rire, crier, jouer avec mes clarinettes, oui, mais surtout jouer avec ce que j'ai dans le cœur. Je crois que chaque instrumentiste doit vocaliser avec son instrument tout comme l'expression d'un chanteur... 

Comment la clarinette dialogue-t-elle avec la voix dans les partitions avec chanteuse ?

J'ai fait le choix, à la fois, de Lieder orignaux (les deux oeuvres de Schubert : le Pâtre sur le Rocher et la Romance d'Hélène) et, dans les Schumann, je transpose simplement la partie d'alto ou ténor au cor de basset et les textes sont toujours présents, dits, chantés par la Soprano. Je ne voulais absolument pas manquer un mot des auteurs de ces poèmes... Goethe et les autres nous en auraient voulu je pense, et ils auraient eu raison ! Ainsi donc, ou je suis en homorythmie avec la soprano, c'est à dire que je fais le même rythme mais dans un son plus grave ou plus aigu, ou bien je réponds en imitation, ce qui crée des échanges de timbres intéressants, nous sommes en plein dans la musique de chambre ! 

L'enjeu a été ce travail de diction, si propre au langage du Lied allemand, et de se rapprocher le plus possible, dans l'articulation de mon instrument, de celle de la soprane...

J'aurais pu aussi appeler ce disque "Romance" ou "Romance à la Nuit". Les Romances de Schumann font un appel ou écho à la Romance d'Hélène de Schubert, mais les Fantasiestücke opus 73 et In der Nacht opus 74, qui respectivement débutent et clôturent l'enregistrement, m'ont semblé plus sombres et reflètent plus pour moi les atmosphères de la nuit. Certes les nuits sont aussi tellement lumineuses... et oui, Schubert et Schumann sont là pour nous le dire ! Merci à eux. 

Le site de Franck Russo :  https://franckrusso.com

  • A écouter :

“A La nuit”. Oeuvre de  Franz Schubert (1797-1828) et Robert Schumann (1810-1856). Franck Russo, clarinette ;  Laurianne Corneille, piano ;  Lia Naviliat-Cuncic, soprano. Calliope. CAL22103

 

 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

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