Gary Hoffman, la majesté incarnée au Brussels Cello Festival
La première édition du Brussels Cello Festival s’ouvrait le vendredi 12 octobre avec l’intégrale des Six Suites de Bach pour violoncelle seul jouées par six violoncellistes à l’Église du Sablon. Le lendemain, après une matinée de masterclasses, les concerts se poursuivaient dans la Grande Salle du Conservatoire de Bruxelles avec un récital entièrement consacré aux sonates de Brahms. Après les deux sonates pour violoncelle et piano jouées par Jakob Koranyi et Gary Hoffmann, une surprise : les deux sonates pour clarinette, jouée au violoncelle par Pieter Wispelwey !
Si l’on a pu apprécier la clarté des aigus de Jakob Koranyi vendredi soir dans son interprétation de la 6e Suite en Ré majeur de J.S. Bach, son registre grave a clairement séduit l’assemblée cet après-midi. Dans une interprétation très proche de la partition originale de cette merveilleuse Sonate en mi mineur, le Suédois et le pianiste David Selig juxtaposent aisément les atmosphères sombres et idylliques du premier mouvement, font ressortir la limpidité du deuxième, et déchaînent les tempêtes avec le final ! On apprécie particulièrement le calme physique et la concentration presque monacale du violoncelliste -espérons que Koranyi, quasiment inconnu ici, sera invité plus régulièrement en Belgique par la suite.
Gary Hoffman poursuit cette première partie de concert avec la Sonate en Fa Majeur. Maître en résidence à la Chapelle Reine Élisabeth, il est aussi ce grand violoncelliste mondialement connu. Et quel violoncelliste ! Il est déroutant de voir à quel point Hoffman fait un avec son violoncelle -la projection est parfaite dans tous les registres et toutes les articulations sont claires et nettes (quels spiccatos dans le troisième mouvement !). Avec David Selig, les deux musiciens nous livrent une interprétation majestueuse et conquérante de ce chef-d’œuvre dont les dimensions atteignent la grandeur du répertoire symphonique du grand maître allemand. Effectivement, dans le Rondo final, Selig transforme son piano en orchestre, faisant entendre ici le pupitre des vents, là des cuivres. Tout simplement magnifique.
L’entracte clôturée, nous sommes face à Pieter Wispelwey qui, à l’inverse des 2 violoncellistes précédents, joue sur un podium. Accompagné par Pei-Shan Lee, le Hollandais nous joue les deux sonates pour clarinette et piano de Brahms, dans une transcription de sa main, basée sur l’arrangement pour alto du compositeur. Depuis le romantisme, on voit les violoncellistes virtuoses prendre l’initiative et jouer des œuvres pour hautbois, cor, violon, alto, et de nombreux compositeurs approuvèrent eux-mêmes certaines de ces transcriptions (on pense notamment à la Sonate pour violon de Franck, la Sonate pour alto de Chostakovitch, ou l’Adagio et Allegro pour cor de Schumann). Ainsi, si l’acte d’arranger n’est pas blasphématoire, il faut se demander si ces transcriptions sont adéquates et si elles conviennent à la vision artistique que Brahms avait envisagé à l’origine. Bien évidemment, les passages les plus chantants conviennent parfaitement au violoncelle mais, à quelques reprises, les traits virevoltants et arpégés, faciles et fluides à la clarinette, deviennent excessivement virtuoses et Wispelwey trébuche parfois dans ses propres pièges. Et les grimaces, gestiques et respirations bruyantes donnent l’impression qu’une certaine nervosité bloque le violoncelliste hollandais. Néanmoins, le public applaudit chaleureusement ces interprétations.
Pierre Fontenelle, Reporter de l’IMEP
Bruxelles, Grande Salle du Conservatoire de Bruxelles, le 13 octobre 2018
Gary Hoffman © Bernard Martinez