À Bruxelles, on fête Weinberg !

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L’histoire peut être cruelle. Certains artistes médiocres ont leur heure de gloire tandis que d’autres, d’authentiques génies, sont injustement oubliés. Tel fut le cas avec Mieczysław Weinberg (ou Wajnberg, Vainberg et Vaynberg…), compositeur polonais à l’histoire tragique. 

Né de famille juive musicienne à Varsovie en 1919, manifestant d’immenses talents musicaux dès son plus jeune âge tant comme compositeur que pianiste, Weinberg fuit l’avancée allemande vers l’est en 1939 à l’âge de vingt ans, se retrouvant exilé en Biélorussie soviétique. Sa famille nucléaire décimée dans les camps de concentration, le voilà orphelin poursuivant ses études au Conservatoire de Minsk. Cruel sort du destin, en 1941, tout juste diplômé, il doit fuir les Allemands une fois de plus, se retrouvant ainsi en Ouzbekistan jusqu’à son installation finale à Moscou en 1943. S’il se noue vite d’amitié avec les grands musiciens soviétiques (Shostakovitch, Rostropovich, Kondrachin…), les autorités moscovites lui seront tout de suite hostiles. Il va sans dire que son sombre parcours a laissé des traces dans sa musique, jugée trop pessimiste et trop complexe par le Soviet. Malheureusement, son œuvre sera lentement oubliée jusqu’à ces dernières années. Depuis une dizaine d’années, et tout particulièrement à l’occasion des célébrations du centenaire de sa naissance, le milieu de la musique classique vit un véritable Weinberg-revival, comme celle que l’œuvre de Bach avait vécu au milieu du XXe siècle. On ne compte plus les parutions discographiques et les interprètes qui ont mis leur talent au service de Weinberg (on pense notamment à Deutsche Grammophon, Gidon Kremer et le Quatuor Danel avec leur infatigable promotion du cycle complet de ses 17 quatuors à cordes).

Ainsi, Chamber Music for Europe consacre l’édition 2019 de sa première Biennale à ce grand compositeur, organisant 4 concerts entre le 6 et le 8 décembre. Pour clore ce festival, Raphael Fëye, chef de l’orchestre de chambre Les Métamorphoses, invitait d’abord le violoncelliste hollandais Pieter Wispelwey dans le Concertino pour violoncelle et orchestre à cordes et la Fantaisie pour violoncelle et orchestre avant de poursuivre avec la dernière œuvre du compositeur, la Symphonie n°4 op.153 pour orchestre à cordes, clarinette et triangle.

Le Concertino en do mineur pour violoncelle et orchestre à cordes op. 43bis, présenté en tête de programme, est parfaitement représentatif du génie de Weinberg. Une douce ligne lyrique, ô combien tragique, se déploie tout au long du premier mouvement, ponctué par de superbes tournures harmoniques d’une simplicité désarmante. La suite de l’œuvre est parcourue de danses virtuoses rappelant les origines juives et polonaises du compositeur -on trouve même un certain côté farceur dans les divers jeux rythmiques du 2e mouvement ! 

D’emblée, on est frappé par les qualités des Métamorphoses. Tout au long du concert, les cordes déployaient de superbes sonorités d’ensemble tant dans les couleurs que dans les dynamiques. Des plus infimes pianos jusqu’aux passages les plus toniques, leur intensité commune captive l’auditoire. Pour une aussi jeune phalange, principalement constituée de jeunes professionnels, on ne peut que saluer le travail effectué par leur chef d’orchestre Raphaël Feye (violoncelliste lui aussi) pour atteindre de tels résultats. On regrette néanmoins que cette même cohésion n’ait pas été atteinte chez les vents dans la Fantaisie pour violoncelle et orchestre op.52. Côté soliste, Pieter Wispelwey a profité du duvet sonore proposé par Les Métamorphoses pour jouer de sublimes pianos. Son style de jeu plutôt intuitif utilisait savamment les procédés de l’intonation expressive pour déformer les intervalles mélodiques. 

Chamber Music for Europe, menée de main de maitre par Guy Danel (ancien violoncelliste du Quatuor Danel), n’est pas uniquement organisatrice de concerts, c’est un véritable pilier de la vie musicale belge, proposant des nombreuses masterclasses, des ateliers-découverte à la musique classique aux jeunes Molenbeekois, des rencontres avec des compositeurs tels que Toshio Hosokawa, et divers évènements ponctuels tout au long de l’année. En 2017 notamment, ils organisaient l’exposition exceptionnelle de manuscrits variés de Bach, Chopin et Beethoven. Avec la réussite que fut cette première Biennale, on ne peut qu’espérer le meilleur pour cette association.

Pierre Fontenelle

Bruxelles, Grande Salle du Conservatoire de Bruxelles, le 8 décembre 2019

Crédits photographiques : Raphael Fëye/DR 

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