Gautier Capuçon et Antonio Pappano magnifient l’émotion d’Elgar et de Walton 

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Sir Edward Elgar (1857-1934) : Concerto pour violoncelle et orchestre en mi mineur op. 85. Sir William Walton (1902-1983) : Concerto pour violoncelle et orchestre. Gautier Capuçon, violoncelle ; London Symphony Orchestra, direction Antonio Pappano. 2023. Notice en français, en anglais et en allemand. 58’ 09’’. Erato 5021732264831.

J’ai découvert le concerto d’Elgar très jeune, avec l’enregistrement de Jacqueline du Pré. Je devais avoir sept ou huit ans et j’ai été ému aux larmes, avoue Gautier Capuçon (°1981), en exergue du présent album, dont la notice consiste en un intéressant entretien du violoncelliste avec Antonio Pappano. Lorsqu’on évoque l’opus 85 d’Elgar, on est subjugué par la bouleversante gravure effectuée le 19 août 1965 par la si touchante soliste anglaise, qui n’avait alors que vingt ans. Dirigée par Sir John Barbirolli qui, à la tête du London Symphony Orchestra, avait trois fois son âge, elle demeure la référence suprême, supérieure en termes d’engagement et de spontanéité vibrante à celle qu’elle fera ensuite à Philadelphie sous la baguette de son mari, Daniel Barenboim. De nombreuses versions existent, à commencer par celle, historique, d’Elgar lui-même avec Beatrice Harrison en 1928. Tortelier à deux reprises, avec Sargent, puis avec Boult, Yo-Yo Ma/Previn, Navarra/Barbirolli, Webber/Menuhin, Rostropovitch/Rozhdestvensky, Maisky/Sinopoli, Isserlis/Paavo Järvi, Mørk/Rattle, Watkins/Davis, Kanneh-Mason/Rattle, liste non limitative, ont apporté leur pierre à l’édifice. La discographie est riche, mais l’ombre de Jacqueline du Pré la domine. 

En septembre 2023, Gautier Capuçon s’est emparé du concerto, avec la même formation dont la mythique soliste a bénéficié en son temps, le London Symphony : J’ai voulu, dit-il, attendre jusqu’à maintenant afin d’être prêt émotionnellement - j’avais sans doute le sentiment que le moment n’était pas encore venu. Ce concerto, dernière partition d’envergure d’Elgar, est créé à Londres en 1919 par le compositeur, avec le Londonien Felix Salmond (1888-1952), qui s’était perfectionné au Conservatoire de Bruxelles, où il avait suivi les cours de notre compatriote Edouard Jacobs (1851-1925). En quatre mouvements orchestrés d’une main légère, d’une durée moins étendue que le Concerto pour violon de 1910, la partition est à la fois virtuose, chaleureuse, lyriquement expressive, parfois tourmentée, voire tumultueuse. Mais l’émotion passionnée et douloureuse qui s’en dégage est aussi contemplative. Ce dernier aspect est valorisé par Gautier Capuçon, qui estime que l’œuvre est en elle-même la quintessence de l’émotion, tout en se posant la question de savoir jusqu’à quel point il se laissera submerger par ce sentiment si intense. À cet égard, il s’installe dans le troisième mouvement, l’Adagio, presque jusqu’à l’extase, offrant, sur son Matteo Goffriller de 1701, une intériorité proche de l’immobilisme, bientôt dynamisée par un final plus libre, au sein duquel le chant se donne libre cours. L’orchestre est mené de bout en bout par Pappano avec une pudeur permanente qui, sans manquer de puissance, rappelle les aspects sombres de ce concerto d’après-guerre. Une version longuement mûrie par le soliste, qui livre ainsi des moments peaufinés de sa propre intimité musicale. 

C’est à l’intention de Gregor Piatigorsky, qui le créa le 25 janvier 1957 à Boston sous la direction de Charles Munch, que Walton composa son concerto pour violoncelle en trois mouvements, riches en couleurs orchestrales, apportées notamment par le vibraphone, le célesta ou la harpe. À l’époque de l’écriture, Walton séjourne sur l’île d’Ischia, près de Naples, où il s’est installé depuis 1948. Le style est néo-classique et l’atmosphère générale oscille entre l’expansivité et une retenue qui ne se prive cependant pas d’épanchements. On associe souvent sur disque cette page virtuose, exigeante en termes d’équilibre avec l’orchestre, à celle d’Elgar. Les références sont servies par des solistes qui se sont aussi arrêtés à Elgar, on en retrouve dans les précités ; le 14 août dernier, nous avons recensé la version souple et engagée de Laura van der Heijden, avec le BBC Scottish SO dirigé par Ryan Wigglesworth (Chandos). Gautier Capuçon, avec un Pappano attentif à souligner les nuances d’une partition qui a aussi sa part de chant lyrique, va plus loin que la jeune Anglaise dans les effusions, dans les contrastes et dans la recherche de la beauté instrumentale. 

Ce disque de musique anglaise, au couplage logique, confirme tout le talent du virtuose français, qui assimile, avec la dévotion et la sensibilité requises, ces deux univers fascinants.   

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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