ilolli-pop, le monde absurdement coloré d’Alex Paxton
Alex Paxton (1990-) : ilolli-pop. Dreammusics ensemble. 2022 - Livret en : anglais - 41’42 – nonclassical. nonclss054.
Retrouver l’univers sonore délirant d’Alex Paxton -son premier album, Music for Bosch People, date de cette année- est une expérience effarante, vaguement effrayante, exigeante et réjouissante à la fois : abondant, foisonnant, fourmillant, débordant, luxuriant, il ressemble à ces errements de la nature dans un milieu accidentellement et exceptionnellement propice, si nourris qu’ils échappent à toute règle ou contrainte -sans parler de la loi de la pesanteur. Paxton l’improvisateur fait des erreurs son authenticité- et bannit du même coup la gomme qu’Arnold Schoenberg désignait à son élève John Cage comme le bout le plus important de son crayon, incorporant les faiblesses, les fautes comme autant d’écarts susceptibles de faire évoluer le chemin musical vers « quelque chose de soniquement stimulant » et privilégiant la surprise créative de celui qui démarre de plus en plus l’écriture en sachant de moins en moins où elle va le mener.
Pourtant, dans ilolli-pop, deuxième album d’un musicien speedé, les fulgurances qui frôlent la cacophonie sont tout sauf hasardeuses : écrites avec précision, par exemple dans les cinq mouvements du morceau titulaire (commande de l’Ensemble Modern), véritable corps solide du disque -sur la partition duquel on trouve des annotations d’ajouts sonores aussi terre-à-terre que « sac en plastique sale d’un aspirateur »-, enluminées jusqu’au débordement par des bruits électroniques, sons de synthèse ou de lecteur de cassettes, elles sont l’équivalent sonore du Palais Idéal du Facteur Cheval. L’image (en deux ou trois dimensions) joue un rôle crucial dans le processus de composition de Paxton : s’il n’a pas de parcours académique en la matière, la façon très spontanée (improvisée, dit-il) dont il utilise les matériaux qui lui tombent sous la main pour créer un motif pictural, il la recycle dans son monde sonore comme des équivalences, sans corrélation stricte, encore moins linéaire, mais avec des similarités de processus -et le refus de la gomme.
Le joyeux Sometimes Voices (commande du Nevis Ensemble) procède par stop and go successifs à partir de samples assemblés de façon rigoureuse ; Corn-Crack Dreams (commande d’Hyper Duo) s’inspire du cri nocturne du râle des genêts, oiseau migrateur nichant au sol dans les prairies d’Europe ; je suis moins convaincu par Mouth Song, longue improvisation au trombone qui clôture un disque ébouriffant, au non-sens lancinant.
Son : 7 – Livret : 6 – Répertoire : 7 – Interprétation : 7
Bernard Vincken