Alex Paxton : la bande-son du Jardin des délices

par

Alex Paxton (1990 -) : Music for Bosch People. Alex Paxton, Christine Buras, Harriet Burns, Mike De Souza, Alyson Frazier, Matthew Herd, David Ingamells, Felix Josza, Rob Luft, Emma Purslow, David Zucchi. 42’54 – 2021 – Livret en : anglais. Birmingham Record Company. BRC011.

La musique que crée Alex Paxton sur cet étrange Music for Bosch People, invraisemblable décoction issue d’un chaudron de genres où il jette pêle-mêle fibre classique (il écrit pour le London Sinfonietta ou joue avec l’Ensemble Modern, sans parler de ses œuvres lyriques), fascination expérimentale (il essaie, triture, tord), tradition folk (c’est comme le fond de l’océan : on ne le voit pas mais sans lui, pas de bikini), piment électronique et colorant jazz (il est tromboniste), est irrémédiablement clivante : si on ne s’y laisse pas sombrer, on souffle tant qu’on la fait chavirer – Paxton cultive la contradiction et la décrit en une litanie facile de contraires (« musique minimaliste avec bien plus de notes, musique ancienne mais bien plus actuelle… ») ; ce qui la déforce, même si la contradiction s’assume plus que le paradoxe.

La musique que crée Alex Paxton n’est pas facile. Comme ne l’est pas la peinture de Jérôme Bosch, auquel le compositeur se réfère volontiers (y compris dans le titre de ce disque), et que pourtant nous avons appris à regarder – finalement à apprécier. Et là, sa comparaison ne cède rien : Paxton crée de grandes fresques sonores qui collent au quotidien (et en expulsent dès qu’on s’en approche) et les infeste de détails en surnombre, fantaisistes, objecteurs de conscience, d’essence surnaturelle ou génitale, criards et cachés, aussi dévastateurs qu’une colonie de bactéries (ou d’humains qui s’industrialisent).

La musique que crée Alex Paxton n’a rien à voir avec celle de Stefan Prins (par exemple, elle est infiniment plus dense). C’est pourtant à elle que je pense quand je l’entends : déstructuration, saturation, vindicte et irrespect normatif. Peut-être est-elle aussi à voir ?

Au fond, c’est la vie qu’essaie de capter ce trublion décalé dont on se demande avec quels organes il écrit : les rires et les joies (ça bouillonne et pétille), les excitations (reproductives ou agressives), l’énergie et la vitalité – comme une sève qui ne connaît que les printemps. C’est une musique de sensation, ancrée dans la pratique forcenée de l’improvisation – même si celle-ci devient une des techniques de composition d’un Paxton qui a une idée claire de ce qu’il veut obtenir. Quitte à laisser des blancs dans l’image pour les « bulles d’impro » (les siennes et celles des autres) – et il y en a.

Allez à Madrid, au musée du Prado, le disque en poche, devant Le jardin des délices : mettez-le dans l’oreille, détaillez l’inlassable triptyque de Bosch – et on verra.

Son : 6 – Livret : 6 – Répertoire : 7 – Interprétation : 7

Bernard Vincken

 

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