JoAnn Falletta à propos de The Passion of Yeshua de Richard Danielpour et de l’exploration du répertoire symphonique.
Nous avions rencontré, à l’automne 2018, la cheffe d’orchestre JoAnn Falletta à l’occasion d’un concert au Concertgebouw Amsterdam. Alors que cette infatigable exploratrice du répertoire est au coeur de l’actualité discographique, elle nous présente The Passion of Yeshua du compositeur Richard Danielpour dont elle fait paraître le premier enregistrement au pupitre de son Orchestre Philharmonique de Buffalo (Naxos).
Vous venez de publier, en première mondiale, l’enregistrement de The Passion of Yeshua du compositeur Richard Danielpour. Pouvez-vous nous présenter cette partition ?
Ce merveilleux oratorio de Richard Danielpour est le récit des dernières heures de la vie du Christ sur terre, à travers les Écritures. Cette oeuvre est inspirée de la Passion selon Saint Matthieu de Bach, mais la partition de Richard est doublement différente : il célèbre la foi juive du Christ en utilisant la langue et les traditions hébraïques (par exemple le Seder et le Kaddish) et il intègre également les voix de femmes qui ont été exclues du récit de la Passion -Marie, la mère de Dieu, et Marie-Madeleine. Il s'agit d'une œuvre profondément spirituelle qui cherche à trouver un lien entre les religions juive et chrétienne dans une musique d'une extraordinaire beauté.
Quels sont les défis interprétatifs à surmonter dans une telle oeuvre qui requiert solistes, choeurs et orchestre ?
Richard a atteint un merveilleux équilibre entre les voix solistes, les duos, les récitatifs, les chœurs à la fois étonnants et beaux et les interludes orchestraux. Il est important pour le chef d'orchestre de maintenir la tension dans le drame de ce récit, et de laisser la place à une interprétation intensément personnelle des personnages.
En écoutant The Passion of Yeshua, il me semble que c'est une partition très dense et dramatique. Partagez-vous cette impression ?
Oui, la partition est profondément dramatique, allant de la tendresse à la colère, en passant par la tristesse et le pardon. L'effet sur le public a été extrêmement fort ; il a été stupéfait par la force de cette musique, beaucoup d'entre eux en avaient les larmes aux yeux.
Vous connaissez ce compositeur depuis longtemps. Comment percevez-vous son évolution stylistique ?
Richard et moi étions ensemble à la Julliard School à New-York, et son travail a toujours été magnifique. Mais j'ai vu dans son évolution son désir -sa compulsion- d'aborder des questions et des sujets plus difficiles et plus complexes. Son opéra Margaret Garner traite de la question de l'esclavage en Amérique, son Requiem américain pleure les morts de la tragédie du 11 septembre, et sa Passion of Yeshua cherche à unir les Juifs et les Chrétiens dans la compréhension et la compassion.
Un de vos récents enregistrements avec le Buffalo Philharmonic Orchestra s'intitule "Forgotten Treasures". Il contient des œuvres rares de Weiner, Pizzetti, Martucci, Schmidt, Tcherepnin. Comment avez-vous trouvé des trésors oubliés ?
Je suis un explorateur infatigable ! J'essaie toujours de trouver du répertoire peu connu (surtout celui des années comprises entre 1850 et 1950) et je recherche des partitions, des critiques, des enregistrements de concerts et des écrits historiques. Une grande partie de ces recherches a abouti à la réalisation de CD pour le label Naxos. Mais il m'arrive de trouver des œuvres singulières qui ne se retrouvent pas sur un album complet. J'ai donc rassemblé ces cinq "trésors oubliés" sur un CD comme quelques-unes de mes œuvres préférées qui méritent d'être connues, interprétées et aimées.
Quel est votre prochain projet d'enregistrement ?
Ce sera notre deuxième CD des œuvres orchestrales de l'extraordinaire compositeur français Florent Schmitt (Salomé, Oriane et le Prince d'amour, Musique sur l'eau et La Légende).
La fermeture des salles de concert touche également les États-Unis. En Europe, de nombreux artistes et professionnels s'inquiètent des conséquences économiques. Qu'en est-il des États-Unis ?
Je crains que la crise Covid n'affecte en effet notre travail musical pendant longtemps. Nous aurons besoin de créativité, de force et de courage pour trouver notre chemin dans ce nouveau monde. J'espère que le point positif sera peut-être que les gens comprendront à quel point la musique -la musique en direct en particulier- est vitale pour la vie, à quel point nous avons besoin de la musique pour survivre en tant qu'êtres humains.
- A écouter :
DANIELPOUR, R.: The Passion of Yeshua. UCLA Chamber Singers, Buffalo Philharmonic Chorus and Orchestra, Falletta. Naxos. 8.559885-86
Le site de JoAnn Falletta : www.joannfalletta.com
Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot.
Crédits photographiques : Mark Dellas