Josef Labor, le célèbre inconnu

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Josef Labor (1842-1924) : Quintette à clavier op. 3 ; Quatuor à clavier op. 6. Nina Karmon, violon ; Pauline Sachse, alto ; Justus Grimm, violoncelle ; Niek de Groot, contrebasse ; Oliver Triendl, piano. 2019. Livret en allemand et en anglais. 67.00. Capriccio C5390.

Quoique reconnu dans toute l’Europe comme pianiste et organiste et malgré la célébrité recueillie sur la scène musicale viennoise, le nom de Josef Labor est tombé dans l’oubli, y compris comme compositeur. Un CD de musique de chambre nous permet de considérer si l’Histoire a eu tort ou raison. Reconnaissons d’emblée que si les deux partitions proposées ici sont agréables à l’oreille et s’écoutent avec plaisir, elles sont assez conventionnelles et s’inscrivent strictement dans la grande tradition romantique.

Le sort n’a pas épargné Josef Labor. Né en Bohème à Horowitz (cela ne s’invente pas !) en 1842 de parents parlant l’allemand, il perd la vue à l’âge de trois ans à la suite d’une variole. Sa famille s’installe à Vienne en 1848, et il suit des cours dans un institut spécialisé, tout en s’adonnant à une éducation musicale au Conservatoire de la Société des Amis de la Musique. Il apparaît en public dès sa vingtième année, se produit comme pianiste, et quelques années plus tard comme organiste. Apprécié pour sa virtuosité mais aussi pour sa sensibilité au clavier, il s’attache, dans le domaine de l’orgue, à Bach, ce qui n’est pas courant à l’époque, à Buxtehude ou à Sweelinck. Engagé par le Roi de Hanovre George V, lui aussi aveugle, il apparaît souvent aux côtés de Joseph Joachim, employé par le même souverain. Labor suit le Roi, exilé à Vienne ; en plus de son activité de concertiste (il se produit à Londres, à Paris et en Russie), il oeuvre à l’Institut israélite pour non-voyants. Après la mort de George V en 1879, il se trouve un nouveau mentor, le magnat industriel Karl Wittgenstein, chez qui il rencontre Casals, Brahms, Strauss ou Mahler. Il donne des cours privés aux fils de son protecteur, Paul, qui perdra son bras droit pendant la première guerre mondiale, et Ludwig, le futur philosophe. Il est aussi le professeur de piano de Schoenberg et d’Alma Mahler, encore Schindler. Sollicité par Paul Wittgenstein pour des partitions pour la main gauche, dont le virtuose réclame l’exclusivité, il n’est joué à Vienne qu’en cercle restreint, ses onze œuvres écrites entre 1915 et 1924 pour Wittgenstein n’étant pas publiées. Admiré dans la capitale autrichienne où une Société portant son nom verra le jour pour faire connaître ses créations, Labor reçoit des honneurs publics pour son 80e anniversaire. Il disparaît en 1924, suite à une crise cardiaque.

De son vivant, Labor est considéré comme un brillant interprète mais il n’est pas vraiment reconnu en tant que compositeur. Son catalogue contient cependant des sonates, des pièces pour orgue et piano, de la musique religieuse, des mélodies et de la musique de chambre. Nous en découvrons deux sur le présent CD Capriccio. Le Quintette opus 3 a été créé à Vienne en novembre 1880 par le Quatuor Raznicki, Labor tenant lui-même la partie de piano. Le livret rapporte un long article paru dans la presse en juin 1882, suite à une exécution publique. Ce texte salue la « performance » établie par un compositeur aveugle, souligne la perfection de la forme, l’énergie et l’émotion. Ecrit en quatre mouvements, ce quintette est une partition chaleureuse. Il s’ouvre par un Allegro mélancolique, suivi d’un Scherzo contrasté, le violoncelle se livrant à un chant expansif dans l’Andante, tandis que le violon et l’alto, soutenus par le piano, entament un canon éloquent. L’Allegro final se réfère au premier mouvement en développant ses thèmes, avec deux brefs adagios insérés, conférant une atmosphère d’exaltation contrôlée. La partie attribuée à la contrebasse se révèle difficile et réclame de l’instrumentiste une grande virtuosité, raison pour laquelle Labor dédia son quintette au Professeur Simandl qui faisait partie de l’Orchestre de l’Opéra de la Cour de Vienne. L’œuvre est belle, avec des moments fignolés, mais elle ne transporte pas.

Le Quatuor à clavier opus 6 appelle les mêmes remarques. L’écoute en est tout aussi agréable, mais cela ne va pas au-delà. La structure en quatre mouvements est similaire : après un Allegro enlevé, l’expressivité de l’Adagio qui suit se déroule dans une certaine mélancolie. Les deux Allegros conclusifs se développent avec vigueur vers un crescendo qui met un point final à une partition dont la première en public eut lieu à Vienne en janvier 1894. Elle ne déplut pas à Bruno Walter qui la joua en 1908 avec le Soldat-Roeger Quartet. 

Le livret nous apprend encore que Josef Labor a fait l’objet de très peu de recherches musicologiques. Il a conservé, au-delà des années, son statut d’interprète de qualité, sans que l’on s’intéresse vraiment à ses compositions. En CD, on le retrouve sur l’une ou l’autre gravure « collective », mais on peut aussi découvrir certaines de ses pièces pour orgue grâce au label Priory. C’est bien peu, certes, mais il faut se rendre à l’évidence : Josef Labor avait du talent et de l’enthousiasme, mais il s’inscrit dans une ligne traditionnelle, insouciant aux nouveautés de son temps. Ce CD, très bien interprété par les cinq protagonistes, dont le violoncelliste Julus Grimm, mérite en tout cas une oreille bienveillante.

Son : 9   Livret : 8   Répertoire : 7   Interprétation : 8

Jean Lacroix 

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