Si exactement glauque, mais la musique et le chant sont si beaux ! Don Giovanni à Saint Etienne

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« Comme c’est glauque », s’exclamait une spectatrice à l’entracte. Ce qu’elle semblait regretter à ce moment-là exprimait en fait un point de vue tout à fait pertinent pour caractériser le Don Giovanni de Laurent Delvert. Tout se donne à voir dès l’ouverture : nous sommes comme dans une de ces gares routières souterraines sales, puantes, glacées par les courants d’air, à peine éclairées par des publicités lumineuses défilantes. Une jeune femme s’y fait accoster, bousculer, tripoter par un trio de loubards. Sur les panneaux publicitaires défilent toutes sortes d’images de mode aux connotations sexuelles évidentes ou consacrées à de gigantesques hamburgers. Voilà qui dit une société fondée sur l’instinct et les désirs primitifs : posséder, engloutir. La saison dernière, au Palais Garnier, avec Ivo van Hove, c’était un Don Giovanni mafieux qui, avec ses sbires, écrasait la société sous une chape de plomb. Sa mort faisait ressusciter le soleil et ses merveilleuses lumières sur la cité. Ici, avec Laurent Delvert, c’est la société qui favorise l’éclosion de pareil prédateur. Et c’est contagieux. Le cortège de noce de Zerlina et Masetto a toutes les apparences d’un sinistre enterrement de vie de jeune fille/garçon : déguisements grotesques, bande de copines/copains avinés. Quant à la mort de Don Giovanni, elle ne résout manifestement rien. Elle conclut l’œuvre et la représentation. Elle n’est pas suivie du traditionnel chœur d’ensemble d’exaltation au spectacle d’un monde libéré d’un fort méchant homme. Rien ne changera.

Aucune noblesse dans ce Don Giovanni, aucune interpellation métaphysique : il se complaît dans la turpitude, ne respectant rien, fort sans doute d’une origine sociale qui lui évitera les ennuis. Quant à Leporello, il n’est jamais « bonne conscience », il est un jumeau pleutre, copie misérable d’un maître qu’il voudrait tant imiter, égaler, dans ses « conquêtes ». 

Ainsi va le monde, notre monde, qui dénonce à tous vents les turpitudes, mais fonde ses richesses sur l’exploitation des instincts dénoncés, créateurs de ces turpitudes. Glauque en effet.

Mais pour donner à entendre tout cela, et en fantastique contradiction, il y a les merveilles d’une partition. Giuseppe Grazioli dirige l’Orchestre Symphonique et le Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire et un octuor de solistes dont le chant s’exalte en très beau contrepoint des turpitudes et souffrances. Le Don Giovanni de Micha Partyka impose dans la voix comme dans le jeu l’impertinence d’un homme libéré de toute contrainte morale ou sociale. Le Leporello de Guilhem Worms est bien son jumeau -mais attention, pas son clone, dans la mesure où son chant est de belle personnalité affirmée. La Donna Anna de Clémence Barrabé émeut dans sa douleur et ses désirs de vengeance. Norma Zahoun a toute la juvénilité aussi naïve que malicieuse de Zerlina. Marie-Adeline Henry emporte -elle est dans la fureur- sa Donna Elvira. Camille Tresmontant donne juste vie à ce pauvre Don Ottavio sans cesse renvoyé à plus tard. Ziyan Afteh impressionne en Commandeur. Quelle apparition vengeresse ! Quant au Masetto de Matteo Loi, il est bien ce jeune homme un peu matamore qui a encore beaucoup à apprendre et que Zerlina mènera sans doute longtemps encore par le bout du nez…

Un public heureux a salué la belle réussite de cette première production de la saison de l’Opéra de Saint-Etienne.

Stéphane Gilbart

Saint-Etienne, Opera, le 8 novembre 2019

Crédit photo : Cyrille Cauvet

 

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