La musique de chambre d’Aleksander Tansman, un florilège poétique
Quasi una fantasia… Aleksander Tansman (1897-1986) : Sonate quasi una fantasia ; Sonate n° 2 en ré majeur pour violon et piano ; Sonatine n° 1 pour violon et piano ; Romance pour violon et piano. Ludwika Maja Tomaszewska-Klimek, violon ; Hanna Holeksa, piano. 2023. Notice en polonais et en anglais. 53’ 52’’. Dux 2082.
Nous avons déjà évoqué, dans les colonnes de Crescendo, deux albums d’Aleksander Tansman consacrés au piano, en solo ou à quatre mains, édités par le label polonais Dux. Ce dernier s’est aussi intéressé à la musique de chambre du compositeur. Après un programme de sonates pour violoncelle et piano, puis un autre de trios, voici un éventail de pages pour violon et piano. Après des études à Lodz, sa ville natale, puis à Varsovie, Tansman se rend à Paris dès 1919. Il y joue ses propres œuvres avant de voyager aux États-Unis, au Canada ou en Extrême-Orient. Il fait partie, avec d’autres compositeurs (Tcherepnin, Mihalovici, Martinů…), de l’École de Paris. Il obtient la nationalité française, mais quitte l’Hexagone lorsque la guerre éclate pour s’installer à Hollywood et s’adonner à de la musique de films. Il reviendra en France après le conflit. C’est la période d’entre-deux-guerres qui fait l’objet du présent album, les quatre partitions du programme ayant été composées entre 1919 et 1925. Tansman est alors un jeune créateur dont les qualités mélodiques sont influencées par la fin du romantisme, par l’impressionnisme et, bientôt, par le jazz qu’il découvre à Paris.
En 1919 (il a 22 ans), Tansman écrit une deuxième Sonate pour violon et piano, qui a été précédée, un an auparavant, par une courte et délicate Romance pour les deux instruments, dans l’esprit de la tradition romantique. La sonate montre une écriture déjà ingénieuse, où l’impression d’improvisation est présente dès l’Allegro ma non troppo initial, avant une Mélodie slave de toute beauté, aux accents mélancoliques. Le Scherzo recèle de l’humour, annonciateur d’un plaisant Allegro giusto final. Il y a beaucoup d’émotion dans cette partition harmoniquement riche, qui la rapproche de l’esprit fauréen, teintée d’une nostalgie qui est sans doute celle du pays quitté.
En 1924, Tansman compose la Sonate Quasi una fantasia, qui donne à l’album son intitulé. Le langage du compositeur a évolué en termes de modulation et de narration. L’Allegro moderato s’épanche rythmiquement ; le léger Scherzo, que le violon commence à dessiner en solo, fait briller la technique des interprètes. L’Andante crée une ambiance de nocturne qui installe un dialogue pensif entre le violon et le piano. Le final, qui s’ouvre par un Lento expressif, se poursuit par un Allegro giusto bien enlevé. L’année suivante, Tansman compose sa Sonatine n° 1 en cinq mouvements, dans un contexte qui commence à être marqué par les découvertes musicales faites dans la capitale française. Cela se ressent dans le ton espiègle du Scherzo, un fox trot fluide et malicieux, qui n’empêche pas le compositeur d’exprimer son humeur nostalgique dans le Nocturne, et de la tendresse dans l’Allegro grazioso final.
Tout un univers poétique se dévoile dans ces pages de jeunesse. Les couleurs sont toujours vives et contrastées, les mouvements relativement brefs et baignés de rythmes se souviennent de la Pologne natale, avec une assimilation rapide au milieu musical dans lequel Tansman va désormais évoluer. Cet enregistrement de février 2023 est bien servi par Ludwika Maja Tomaszewska-Klimek, premier violon de l’Orchestre du Grand Théâtre de Lodz, et par la pianiste Hanna Holeksa, formée à Katowice et à Berne. Elles apportent à ces pages une chaleur séduisante.
C’est une belle découverte, préférable à l’album Naxos (2015) de Klaidi Sahatçi et Giorgio Koukl, qui proposaient en premières mondiales la Sonate Quasi una fantasia, la Sonatine n°1 et la Romance. Le label Dux pratique hélas de plus en plus souvent des minutages limités ; 53 minutes, c’est bien trop peu. Compléter l’album par d’autres pages aurait été appréciable. Nous pensons à la Sonatine n° 2, qu’il faudra écouter chez Naxos, où elle était aussi en première mondiale.
Son : 8,5 Notice : 8 Répertoire : 9 Interprétation : 9
Jean Lacroix