La musique en France depuis 1870 par Brigitte François-Sappey
Sur les arts contemporains, le genre littéraire du type "la peinture contemporaine en Belgique", "la littérature française de 1950 à nos jours", ... se heurte toujours à des difficultés de fond.Première difficulté rencontrée par Brigitte François-Sappey : s'agit-il dans son ouvrage de la musique française ou de la musique en France ? Ravel avait-il raison quand il disait: Un artiste doit être cosmopolite dans ses jugements mais irréductiblement national lorsqu'il aborde à l'art de créer. Nous savons qu'une "polonaise" ou une "rhapsodie hongroise" ne résonne pas "français" ; Finlandia ou Iberia non plus ! Que pourrions-nous citer comme musique caractéristique de l'hexagone : la Suite française de Poulenc, peut-être, si nous nous rallions à ce Monsieur Croche bien français qu'était Claude Debussy lorsqu'il écrivait : la musique française, c'est la clarté, l'élégance, la déclaration simple et naturelle ; la musique française veut, avant tout, faire plaisir. Brigitte François-Sappey a fait son choix ; elle aborde l'avant-première guerre et l'aborde astucieusement en insistant sur la transition du salon au concerts grâce aux sociétés musicales. C'est l'occasion d'établir un catalogue fort complet des genres composés pendant cette période : piano, musique de chambre, mélodies, musiques symphoniques (symphonies, poèmes symphoniques, suites symphoniques, concertos), musiques théâtrales (ballets et musiques de scène, opéras), musiques chorales.
Place ensuite à Claude de France ; Dieu Bussy, seul honorera invitait Erik Satie. Brigitte François-Sappey obéit à l'injonction ; elle lui consacre un chapitre entier comme elle le fera pour Maurice Ravel, les deux seuls compositeurs à recevoir cet honneur. Entre ces deux chapitres, l'auteure nous mène dans les années folles et sages de 1914 à 1945. Le dernier chapitre, Itinéraires et feux croisés (depuis 1945) couvre l'après-seconde guerre ; seuls trois compositeurs y ont droit à une section : Olivier Messiaen, Henri Dutilleux et Pierre Boulez.
Voilà donc un beau programme de travail et de lecture.
Terminons par quelques mots sur une deuxième difficulté inhérente au titre : La musique en France depuis 1870 jusque ? On sous-entend aujourd'hui, cette notion imprécise qui évolue toutes les vingt-quatre heures comme le fait l'horizon dans l'espace. Ce type d'ouvrage est inévitablement destiné à vieillir. Le signataire a fait l'exercice avec un ouvrage de Claude Rostand, musicologue sérieux d'excellente réputation. Que lisons-nous au sujet de Messiaen, par exemple, dans son Que sais-je ? "La musique française contemporaine" publié en 1952 :
p. 64 : Tout ceci donne un langage extrêmement riche, trop riche souvent, et de cette richesse harmonique et rythmique résulte parfois quelque chose de brouillé, et par conséquent de monotone, les effets se neutralisant les uns les autres.
p. 66 : Encore qu'il soit difficile et dangereux de pronostiquer quoi que ce soit en pareille matière, il ne paraît pas probable que Messiaen puisse avoir une influence déterminante comme musicien.
Même s'il en évoque le risque, Claude Rostand porte des jugements. Brigitte François-Sappey évite cet écueil et aborde son sujet sans parti pris ; on n'est pas ici dans les diatribes de Benoît Duteurtre contre certains de ses compatriotes. C'est ce qui fait la valeur de ce nouveau livre de François-Sappey qui se lit avec plaisir, qui nous rappelle le rôle joué par les grands maîtres de ce dernier siècle et demi et qui titille notre intérêt en ressuscitant des noms que nous avions bien oubliés.
Concluons donc avec Mallarmé si cher au jeune Pierre Boulez : un livre ne commence ni ne finit : tout au plus fait-il semblant.
Jean-Marie André
2013, Fayard/Mirare, 264 pages, 15 €