La musique sauve la mise en scène de Marthaler
A Madrid, la saison du Teatro Real se clôturait avec Les Contes d'Hoffmann d'Offenbach dans la mise en scène du Suisse Christoph Marthaler qui ne nous habituera jamais à la laideur. Pour décor, la Casa Europa, un centre culturel de Madrid avec son bar disposant d'une vue panoramique sur la ville et au-delà, et au centre duquel gît une statue de nymphe endormie; le troisième acte nous fera déménager du bar où s'agitent les serveurs à la salle de billards sur lesquels croupissent des corps entremêlés, tels autant de bêtes humaines. Les lieux sont équipés d'un arsenal désenchanté : des femmes nues se relayent, posant pour deux peintres coupés du monde; un groupe de touristes tout ce qu'il y a de plus lambda joue le rôle des choeurs; on ne nous épargne pas les vestes de la Stasi, de la Gestapo ou de la Mafia pour les rôles diaboliques ni l'échafaud sur lequel Antonia terminera son chant. Les visages de femmes : Olympia (Ana Durlovski) en petite robe vichy rouge, Antonia aguichante, Giuletta (Measha Brueggergosman) cynique au possible et Niklausse, (Anne Sofie von Otter) une vieille muse vagabonde et alcoolique avec lesquelles on assiste à la destruction d'Hoffman dans ce monde qui a perdu son âme. Si certaines trouvailles sont intéressantes -comme ce harem sortant d'un billard à la fin du troisième acte- elles sont toujours trop appuyées, comme s'il en fallait tant pour que le public comprenne. En fin de spectacle, Stella dit un poème de Fernando Pessoa, Ultimatum, un texte écrit après la deuxième guerre mondiale et appelant avec violence de grands politiciens, de grands poètes et de grands généraux à former la Grande Europe. Indispensable pour rappeler les élections européennes ? Ces mises en scène sont finalement injurieuses pour le public... et on s'ennuie très vite. D'autant que c'est l'édition de Fritz Oeser (1976) qui est adoptée (Cambreling l'a enregistrée pour EMI en 1988), complétée par des éléments retrouvés par le chef à la Bibliothèque Nationale de France et par le metteur en scène, soit presque 3h30 de spectacle. Heureusement, la direction de Sylvain Cambreling donne l'occasion de s'échapper de cette atmosphère glauque. Il renoue avec la dimension fantastique de l'opéra, donnant à la musique ses zônes d'ombres et de lumières, caractérisant les univers de leurs couleurs, magnifiquement suivi par l'orchestre. Et le plateau est sans reproches : Eric Cutler (Hoffmann), Jean-Philippe Lafont (un Crespel de caractère), Vito Priante (Lindorf/Coppélius), Christoph Homberger (Andrès/Cochenille), Altea Garrido (Stella), Lani Poulson (la mère d'Antonia), Gerardo Lopez (Nathanaël), Graham Valentine (Spalanzani), Tomeu Bibiloni (Hermann), Isaac Galan (Schlémil).
Hué lors de la première, Christoph Marthaler s'est abstenu ce soir.
Bernadette Beyne
Madrid, Teatro Real, le 21 mai 2014