La réussite vocale compense l'échec visuel

par

Richard STRAUSS (1864-1949)
Der Rosenkavalier
T. Erraught (Octavian), K. Royal (Die Marschallin), L. Woldt (Baron Ochs von Lerchenau), Th. Gheorghiu (Sophie), M. Kraus (Herr von Faninal), Solistes, The Glyndebourne Chorus, London Philharmonic Orchestra, dir.: Robin TICCIATI, Mise en scène : Richard JONES
2 DVD-191'-live Glyndebourne mai 2014-Textes de présentation en anglais, français et allemand-Chanté en allemand-Sous titres anglais, français, allemand, japonais, coréen-Opus Arte OA 1170 D

Ce Chevalier à la rose est resté célèbre : la presse britannique est tombée à bras raccourcis sur la pauvre Tara Erraught, critiquant sans pitié son interprétation, ses costumes, son physique même. On l'a traitée de "trapue",  "boulotte", "pas attirante", " fille de cuisine" et d'autres noms d'oiseaux. Cela avait fort frappé à l'époque, surtout provenant d'une Angleterre si fair-play... Le scandale est retombé, voici le DVD : qu'en est-il exactement ? Le rideau se lève sur une Maréchale... toute nue. Ah. Voilà qui est  étonnant. Elle se rhabille vite, rassurez-vous. Quant à Octavian, Tara Erraught le chante en petit amant effronté, encore très gamin. Elle est affublée de costumes grotesques, et cela tout au long de l'opéra. Le comble sera atteint à l'acte III, où sa Mariandel en tissus bariolés ne pourra que susciter les rires. Vocalement et dramatiquement, elle offre un Octavian impeccable, tant dans son duo avec Sophie que dans le finale de l'opéra, épousant toutes les émotions successives d'un rôle en or. A la voir tout au long du spectacle, les propos des journalistes paraissent bien dérisoires : bravo à la chanteuse de s'en jouer avec un panache magnifique! Vite revêtue donc, Kate Royal incarne une fort belle Maréchale, plutôt enjouée que rêveuse : toute la grande scène du réveil est un véritable enchantement pour l'oeil et l'oreille. Signalons-y le chanteur italien du peu italien Andrej Dunaev, ou le notaire fatigué mais célèbre de Gwynne Howell. Royal chante son monologue sur un divan, surveillée par un psy faisant semblant de prendre des notes : est-ce important ? Brillant Ochs de Lars Woldt, jeune, efficace et très en voix. Son costume de bavarois campagnard (culotte de cuir et tout et tout) ne l'aide pas trop. Heureusement, la direction d'acteurs de Richard Jones, alerte et rythmée, emporte tout, sans vulgarité jusqu'alors. Pourquoi le spectacle se gâte-t-il aux deux actes suivants ? Par les décors tout d'abord, anodins au I, franchement hideux par la suite. La présentation de la rose, moment magique s'il en est, tombe à plat, dans un environnement de plateau télé avec un "Faninal" clignotant du plus mauvais effet. Si la gentille Sophie de Teodora Gheorghiu paraît un peu effacée, Ochs chante admirablement : l'on attend ses graves, ils sont là. Il ne peut pourtant sauver le finale de l'acte II souvent menacé de vulgarité : la mise en scène y tombe, aidée par de soudaines couleurs rouges et roses, horribles. Cette vulgarité imprégnera de nouveau la première partie de l'acte III - il est vrai difficile à réaliser -, et dominée par un décor en perspective de très mauvais goût, une fois de plus (et quelle robe affreuse pour la Maréchale, à son retour !). Mais, on le sait, et Strauss en premier, Le Chevalier à la rose vivra toujours par la beauté fulgurante de son finale : fermons les yeux et gâtons-nous en écoutant ces trois dames, ces trois magnifiques chanteuses : Erraught, Royal et Gheorghiu. Elles nous consolent de l'affligeante impression visuelle de l'ensemble du spectacle. Il est quand même triste de gâcher ainsi le plaisir du mélomane qui ne demande qu'à être ébloui et charmé. Malgré l'excitante direction de Robin Ticciati, un DVD décevant de la part d'un festival aussi prestigieux que Glyndebourne.
Bruno Peeters

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