Laura van der Heijden met le violoncelle anglais à l’honneur

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Frank Bridge (1879-1941) : Oration (Concerto elegiaco) pour violoncelle et orchestre. Cheryl Frances-Hoad (°1980) : Concerto pour violoncelle et orchestre « Earth, Sea, Air ». William Walton (1902-1983) : Concerto pour violoncelle et orchestre. Laura van der Heijden, violoncelle ; BBC Scottish Symphony Orchestra, direction Ryan Wigglesworth. 2023. Notice en anglais, en allemand et en français. 82.03. Chandos CHSA 5346. 

Après deux albums de musique de chambre avec le pianiste Jams Coleman pour Chandos, l’un réservé à diverses pages (Britten, Takemitsu, Debussy, Korngold, Fauré…), l’autre à un parcours de Prague à Budapest, la jeune violoncelliste britannique Laura van der Heijden (°1997) signe pour le même label son premier disque avec orchestre. Née d’un père néerlandais et d’une mère suisse, elle est originaire du Sussex. Ses talents se sont manifestés de façon précoce ; elle a étudié le piano et le violoncelle au Royal College of Music. Dès 2008, elle a suivi les cours de Leonid Gorokhov (°1967), un élève d’Anatoli Litikin (1931-2017) à Saint-Pétersbourg, installé en Angleterre depuis longtemps. 

Pour ce premier programme concertant, la virtuose n’a pas choisi la facilité. Le Concerto elegiaco Oration (1929-30) de Frank Bridge est en effet une longue page complexe de plus de trente minutes, en huit parties, qui est un plaidoyer du pacifiste Bridge, le professeur de composition de Britten, contre les horreurs de la guerre. Conçu comme un hommage commémoratif pour les victimes de la Première Guerre Mondiale, ce concerto en forme de grande arche est à la fois vibrant et profondément humain, selon la juste expression du spécialiste brittenien Mervyn Cooke, signataire de l’excellente notice (une habitude chez Chandos).

Cette partition, qui contient des passages méditatifs voire contemplatifs, et des éruptions orchestrales ainsi que quelques dissonances, a demandé une longue maturation. Depuis quelques années, Bridge admirait Alban Berg et la Seconde École de Vienne, dont il subit une influence en termes d’épuration, qui se manifeste dans cette Oration, à la fois intense et dénudée, avec des changements d’atmosphère, parfois abrupts. Bridge dirigea lui-même la création à Londres, le 17 janvier 1936, avec une interprète de 23 ans, Florence Hooton (1912-1988), qui allait créer d’autres partitions anglaises (Bax, Ireland, Leighton…). L’œuvre ne fut jouée qu’une seule autre fois du vivant de Bridge, et ne fut redécouverte qu’en 1970, suivie d’une gravure pour Lyrita, en 1979 par Julian Lloyd Weber, avec le London Philharmonic dirigé par Nicolas Braitwaithe, demeurée une référence. Laura van der Heijden fait ici la démonstration de sa capacité à détailler tout le mystère et toute la difficulté technique qui entourent l’oeuvre, et en souligne la valeur symbolique de façon idoine.

Le Concerto pour violoncelle de Walton a été composé en 1956, à l’époque où le compositeur résidait à Ischia, près de Naples. Dédié au Russe naturalisé Américain Gregor Piatigorsky (1903-1976) qui lui en avait passé commande, il a été créé par ce dernier le 25 janvier 1957 à Boston, sous la direction de Charles Munch, puis à Londres, le 13 février, sous la baguette de Malcolm Sargent. On lira dans la notice diverses péripéties rocambolesques autour de cet événement. Walton, victime d’un accident lors du déplacement pour y assister, puis hospitalisé, entendit la version de Piatigorsky et émit des réticences. On lira aussi d’autres anecdotes savoureuses qui s’ensuivirent, notamment les remaniements du final pour faire plaisir au soliste, qui le voulait intense, Walton préférant l’univers du Moderato initial pour conclusion. C’est la mouture originale qui est jouée depuis par les interprètes, au nombre desquels on trouve les noms de Yo-Yo Ma, Janós Starker, Lynn Harrell ou Steven Isserlis. Un postromantisme lyrique et épuré traverse cette partition d’une trentaine de minutes, qui est aussi influencée par le néoclassicisme de Strawinsky. On y trouve tout autant la réserve anglaise que des aspects rythmiques, voire jubilatoires, sans doute nourris de l’atmosphère méditerranéenne dans laquelle Walton vivait à Ischia, où il s’était établi avec son épouse argentine dès 1948. Laura van der Heijden se coule aisément dans ce climat global, entre effusions et rigueur technique, et livre de ce concerto une version à la fois souple et engagée.

« Earth, Sea, Air » est l’intitulé du concerto de Cheryl Frances-Hoad qui complète le programme. Cette compositrice, formée à la Yehudi Menuhin School et à l’Université de Cambridge, puis au King’s College de Londres, compte déjà à son actif un opéra, des pages chorales et de la musique de chambre et concertante, dont cette partition de 2022, présentée ici en première gravure mondiale. Laura van der Heijden, qui en est la dédicataire, l’a créée à Glasgow le 18 mai 2023, puis enregistrée quelques jours plus tard, avec le BBC Scottish mené par le compositeur et pianiste Ryan Wigglesworth (°1979), son directeur musical depuis deux ans. Il s’agit d’une évocation de la nature au cours de laquelle la Terre, la Mer et l’Air font chacun l’objet d’un mouvement, évoquant tour à tour le vol d’un martinet, les algues marines et les volcans, le tout étant joué sans interruption, dans un contexte lyrique, mais aussi kaléidoscopique en termes de couleurs et de changements de textures, comme l’a précisé un critique du Times après la première exécution du concerto. La symbiose avec les divers aspects de la nature est ici en parfaite adéquation, elle offre une belle spatialisation du propos, que l’on taxera de fascination pour les beautés de la création. 

Avec ce copieux album, la jeune soliste fait la démonstration de sa capacité à appréhender des œuvres solides qu’elle sert avec justesse, intensité et approche sensibles. Les musiciens du BBC Scottish répondent de façon idéale aux sollicitations de Ryan Wigglesworth, signant ainsi un programme complice avec Laura van der Heijden, dont la carrière est à suivre avec attention.  

Son : 8,5  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

Chronique réalisée sur la base de l’édition SACD

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