Le monde d’après - I : la démondialisation du classique ? 

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L’épidémie de Covid 19 va sans aucun doute déboucher sur des bouleversements majeurs et le domaine de la musique classique ne devrait pas être épargné par des métamorphoses. Nous proposons ici d’entrevoir ce « monde d’après ». Nous attirons votre attention sur le fait qu’il ne s’agit que de scénarios, cela ne veut pas dire que ce qui est écrit peut se produire, ni même que nous souhaitons cette évolution. Cet article n’a d’autre ambition que de scénariser un futur. 

La musique classique a toujours été mondialisée ! Le voyage est une norme de la vie des compositeurs et des interprètes. Les exemples sont nombreux : Haendel posant ses valises en Italie ou à Londres ou le petit Wolfgang Amadeus Mozart baladé à travers toute l’Europe. L’ère industrielle accélère ce mouvement, la modernisation des transports et la croissance démographique et urbaine créent une nouvelle demande : Johann Strauss et son orchestre se produisent chaque année en Russie tout en menant des tournées aux Etats-Unis. Les paquebots transatlantiques permettent aux grands musiciens européens de se produire régulièrement en Amérique et même de s’y installer : Antonín Dvořák devient ainsi directeur du Conservatoire de New-York. A l’ère Meiji, le Japon s’ouvre à la musique classique !

 La deuxième moitié du XXe siècle et une nouvelle vague d’évolutions techniques décuple les opportunités : la rapidité des transports aériens permet aux stars de multiplier les tournées et, pour les chefs d’orchestre, de cumuler des postes situés sur des continents différents ! Le marché du disque, porté par les mutations technologiques, assure une augmentation exponentielle du public. Les grandes stars accourent dans les salles prestigieuses et dans des “festivals mondes” qui voient le public exigeant du monde entier se masser chaque été : le Salzbourg de l’ère Karajan en est le meilleur exemple. Le début du XXIe siècle marqué par une ultra-mondialisation économique a ouvert de nouveaux marchés à la musique classique : Asie, Moyen-Orient, Amérique du Sud. Toutes ces salles de concerts émergentes s’avéraient désireuses d’avoir les grands solistes ou les grands orchestres. Ainsi, pour les orchestres britanniques peu subventionnés (le London Symphony Orchestra en particulier), la tournée internationale est même le business modèle car elle permet de gagner de l’argent ! 

Dès lors, l’interruption des transports alliée à la fermeture des salles de concerts est un traumatisme. Bien évidemment, la situation des musiciens et de tous les acteurs de la filière classique est difficile (nous en avions parlé dans notre précédent éditorial). 

Plus la durée du confinement sera longue, plus les lourdes conséquences seront amplifiées. Le festival de Verbier vient d’annuler son édition 2020, et les spéculations vont bon train sur une possible et malheureusement probable annulation des autres grands festivals estivaux sur le conseil des éminents spécialistes de la santé. La sortie de crise risque d’être longue et difficile et de nombreux pays risquent de se fermer pendant un bon moment pour éviter de nouvelles vagues de contagions. Sans possibilité de se déplacer, c’est toute une partie de l’économie culturelle qui risque de s’écrouler : des agences artistiques (l’agence britannique Hazard Chase vient de se placer en liquidation) aux orchestres dont le modèle est la tournée ! 

Au final, on risque d’observer une ré-investissement de l’échelon local ou régional. Ainsi, le chef d’orchestre François-Xavier Roth vient de déclarer à France Musique qu’il faudra “peut-être moins voyager, jouer plus ancré localement ». 

Cette volonté de jouer local rencontre également les préoccupations liées à l’environnement avec des orchestres et des musiciens qui refusent de prendre l’avion du fait de ses conséquences environnementales néfastes. Il existe à l’échelle locale de multiples opportunités : développer des concepts de concerts innovants, défricher le patrimoine musical oublié, créer des liens entre les arts, toucher les publics oubliés, faire vivre les droits culturels….Certes, il existe déjà des initiatives stimulantes mais toute une partie de la population vit encore éloignée de tout contact avec la musique classique. Il n’y a pas que le jeune public à choyer, il reste autant de marginaux de la consommation culturelle à accompagner que de néo-profanes àinitier.  

Peut-être qu’une fois la tête sortie du guidon, le classique prendra le temps de réfléchir sur ses pratiques. Le temps du “slow-classique”, comme il y a la “slow-food”, est peut-être venu ! 

Pierre-Jean Tribot

    

 

 

  

 

   

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