Le Mozart captivant de Leif Ove Andsnes (et du Mahler Chamber Orchestra) à Bozar
Auréolés de l’accueil enthousiaste réservé -y compris dans ces colonnes- au double album MM 1785 paru ce printemps chez Sony et reprenant entre autres les concertos pour piano 20, 21 et 22 de Maître de Salzbourg, Leif Ove Andsnes et ses partenaires du Mahler Chamber Orchestra s’installaient pour trois soirées au Palais des Beaux-Arts pour y offrir un florilège d’oeuvres composées par Mozart durant les miraculeuses années 1785 et 1786.
La deuxième soirée de ce cycle (la première était consacrée à des lieder et de la musique de chambre) donna l’impression -en dépit des mesures sanitaires récemment renforcées en Belgique- d’un retour à des temps plus insouciants, les musiciens -à l’exception de deux irréductibles deuxièmes violons- jouant tous démasqués et les cordes se partageant un pupitre pour deux, alors que les vents se tenaient à la distance normale qui prévalait avant la pandémie.
Ce qui rend le Mozart d’Andsnes si captivant, c’est -outre une maîtrise technique à ce point évidente et totalement au service de la musique qu’on finit par ne même plus y prêter attention- son approche aussi intelligente qu’équilibrée ainsi que la franchise et la sincérité du propos. Voici un interprète souverain qui n’est jamais au risque de confondre beauté et joliesse, rigueur et sécheresse, sentiment et langueur. Et pour le soutenir dans cette approche qui va infailliblement au coeur de la musique en renonçant à toute séduction extérieure, le pianiste norvégien peut compter sur l’appui sans réserves de l’excellent Mahler Chamber Orchestra, formation de chambre merveilleusement soudée autour de son soliste et chef. Car il ne faut pas s’y tromper : plus qu’un pianiste qui dirige du clavier, Andsnes est un véritable chef d’orchestre à l’incontestable autorité.
Et que dire d’un programme composé exclusivement de chefs-d’oeuvre, à commencer par le Concerto N° 23, K. 488 ? Ce dernier reçut une interprétation enchanteresse, en particulier dans l’Adagio central -certainement l’un des plus beaux du compositeur- joué avec une touchante simplicité et une totale absence d’affectation.
Andsnes revint ensuite dans le double rôle de chef et de pianiste-partenaire de la soprano Christiane Karg dans le merveilleux air de concert Ch’io mi scordi di te, K. 505 avec sa belle partie de piano obligé. Si le timbre assez mat de la soprano allemande peut ne pas plaire à tout le monde, on ne tarira en revanche pas d’éloges sur la qualité de son interprétation : technique irréprochable, diction parfaite, engagement total dans ce rôle d’amoureuse. Est-il besoin de dire que la partie de piano fut tenue à la perfection?
La deuxième partie du concert s’ouvrit par la Musique funèbre maçonnique K. 477 en ut mineur qu’Andsnes -bien qu’installé au piano- ne dirigea pas, laissant l’orchestre se débrouiller (très bien) sans lui. A peine le dernier accord de l’oeuvre retenti, le chef-pianiste reprit directement la direction des opérations dans le grand Concerto K. 491 en ut mineur également (bel exemple d’intelligente programmation) dont il offrit, soutenu par un orchestre totalement impliqué, une version associant dramatisme saisissant et remarquable profondeur de sentiment.
Visiblement infatigable, le soliste accorda au public enthousiaste un très beau bis sous la forme du Rondo en ré majeur, K. 485 concluant ainsi une très belle soirée.
Bruxelles, Bozar, 20 novembre 2021.
Patrice Lieberman
Crédits photographiques : Oezguer Albayra