Le Nozze di Figaro à La Monnaie et la panne technique du décor

par

Antonello Manacorda

L’opéra, comme le théâtre et la danse, est un « art vivant », qui se vit en direct dans l’éphémère d’une représentation. Il n’est donc pas à l’abri de l’un ou l’autre aléa, ce qui se traduit le plus souvent à l’opéra par un problème de voix chez l’un des interprètes. Plus rares sont les problèmes techniques. Quoique.

Ce dimanche, je devais assister au premier épisode d’un projet ambitieux de l’Opéra de La Monnaie à Bruxelles : considérer comme une œuvre unique les trois opéras de Mozart écrits par Da Ponte et les représenter en soulignant les conséquences dramaturgiques de cette unicité. 

Un élément scénographique essentiel du projet est la présence sur le plateau d’un seul lieu de jeu, une immense maison aux étages et pièces multiples, façades ouvertes, et qui tourne afin de faire découvrir toutes les strates de l’action.

Patatras ! La tournette a rendu l’âme, refusant définitivement les rotations indispensables. D’où la décision de ne proposer aux spectateurs qu’une « version de concert », supprimant ainsi toutes les intentions et concrétisations qui font l’originalité du propos.

De quoi s’agissait-il -et que je pourrai découvrir, je l’espère, les prochains dimanches, lors des épisodes 2 (Cosi fan tutte) et 3 (Don Giovanni) ?

Pour Peter de Caluwe (le directeur de l’Opéra) et Jean-Philippe Clarac & Olivier Deloeuil (les concepteurs-metteurs en scène), ces trois grands opéras nous présentent « une seule et même histoire en trois épisodes », un peu comme une série télévisée. Ils ont donc, par exemple, imaginé des liens de parenté entre les personnages : Don Alfonso de Cosi est le frère du Commandeur de Don Giovanni ; Don Giovanni est le frère du Comte Almaviva des Noces. Tous ont des métiers d’aujourd’hui, Elvira devenue ophtalmologue, Masetto tatoueur, etc. D’autre part, comme à l’époque de la création de ces oeuvres, les mêmes chanteurs interviennent dans chacun des opéras.

Mais surtout, pour les concepteurs, cela permet une actualisation du propos avec, par exemple, des références plus qu’explicites au mouvement #Metoo, au combat contre le féminicide, visibles dans la scénographie ou la traduction aménagée des surtitres. Pour l’heure, étant donné la panne, je ne peux pas me prononcer quant à la pertinence de pareilles options.

Dimanche donc, une « version de concert » : au bord du plateau ou dans des espaces accessibles et visibles du grand bâtiment immobile, les jeunes chanteurs ont fait preuve d’un superbe engagement. Dramatiquement, ils ont joué au maximum les situations, avec un sens remarquable de l’improvisation. Vocalement, nous avons pu profiter, sans guère de distraction, de la qualité de leur chant. Quelle belle équipe… sans raté, elle. J’y reviendrai lors des épisodes suivants.

Antonello Manacorda, à la tête de l’Orchestre Symphonique et des Chœurs de La Monnaie, n’a pas laissé passer sa chance. Il nous a prouvé combien cette musique de Mozart est elle-même étonnamment riche dramaturgiquement : l’écouter sans sollicitations visuelles, c’est vivre les situations qui s’enchaînent, c’est plonger au cœur des personnages, dans la drôlerie, l’espièglerie ou dans l’expression de sentiments aussi nuancés que merveilleusement exprimés.

Voilà qui a justifié l’enthousiasme d’un public d’abord déçu dans ses attentes.

Bruxelles, La Monnaie, le 1er mars 2020

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques : Pieter de Swart

 

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