Concertos pour piano belges du XIXe siècle

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Auguste DUPONT (1827-1890) : Concerto pour piano et orchestre n° 3 op. 49. Peter BENOIT (1834-1901) : Poème symphonique pour piano et orchestre op. 43. Sinfonieorchester St Gallen ; Howard Shelley, piano et direction. 2020. Livret en anglais, en français et en allemand. 62.49. Hypérion CDA68264.

Le label Hypérion se consacre depuis plusieurs années au répertoire du « Concerto romantique pour piano » par le biais d’une série de CD qui porte ce titre. Quand on en parcourt le catalogue, on se rend compte de la richesse apportée au patrimoine du clavier, car, à côté de compositeurs célèbres, bien d’autres, moins connus ou méconnus, ont eu ainsi les honneurs du disque. Sauf erreur, les compositeurs belges n’y étaient pas encore représentés. C’est désormais chose faite, avec ce volume 80 (déjà !), qui met en scène le Wallon Auguste Dupont, originaire d’Ensival près de Verviers, et le Flamand Peter Benoit, né à Harelbeke, dans l’arrondissement de Courtrai, en Flandre occidentale. De quoi satisfaire les deux côtés de la frontière linguistique ! 

Auguste Dupont étudie le piano au Conservatoire de Liège. Il apprend des œuvres de Bach, publie de la musique pour piano et se met à voyager : Bruxelles avant l’Angleterre, puis l’Allemagne où il devient l’ami de Moscheles et de Meyerbeer, ce qui lui donne accès à la Cour royale de Berlin. Après son retour en Belgique, il devient professeur au Conservatoire de Bruxelles et met au point une méthode pédagogique, publiée en collaboration en 1882. Il se produit en concerts en Hollande et en Allemagne et est reconnu comme un grand pianiste. Le reste de sa carrière se déroule dans l’enseignement au Conservatoire de la capitale belge, mais il joue encore en soliste en France. C’est ce que nous apprend la notice du livret. Celle-ci précise encore, grâce aux informations de Fétis dans sa Biographie universelle des musiciens de 1866, que Dupont a composé deux premiers concertos pour piano et orchestre, l’un en 1850 et un autre dont la date n’est pas connue. Le Concerto n° 3 ici enregistré est du début des années 1870, a été révisé en 1880 et publié deux ans plus tard. Dupont l’a joué lui-même, mais aussi, par exemple, Eugen d’Albert. L’œuvre devait connaître un grand succès en Angleterre lorsqu’elle y fut donnée, en première britannique, en 1883. Trois mouvements pour cette page éminemment romantique : un Allegro moderato qui s’ouvre de façon dramatique par l’orchestre avant une cadence du piano. Cet effet va traverser toute la page, avec des contrastes marqués et de beaux élans mélodiques. Le compositeur domine bien un sujet qui éveille des réminiscences de Schumann ou de Liszt dans le traitement à la fois lyrique et virtuose du clavier, trouvant son apogée dans un final bucolique mettant en scène le piano et le cor solo pour s’achever avec brio. L’Adagio, poétique et tendrement pensif, se déroule dans une atmosphère chambriste qui fait la part belle aux cordes. Le Vivace conclut cette partition intéressante par une démonstration de liberté animée, dans un climat de danse rythmé et enlevé. On est heureux de découvrir une partition de facture romantique qui s’écoute avec plaisir, ne se perd pas en vaines tournures et montre à suffisance les qualités de Dupont comme pianiste et compositeur. C’est Howard Shelley qui officie au clavier et à la tête du Symphonique de Saint Gall, cité de la Suisse de langue allemande où l’on peut admirer une magnifique cathédrale. Cette formation a été créée en 1877 et dispose d’une superbe salle de concerts dans cette région du lac de Constance. Né en 1950, Shelley s’est produit dans le monde entier, comme soliste, concertiste et chef d’orchestre ; il compte à son actif discographique près de septante gravures dont les classiques traditionnels, mais s’attache aussi à des partitions moins fréquentées, que l’on peut retrouver dans cette série du « Concerto romantique pour piano ». Il donne à la partition de Dupont une fière allure, soulignant tour à tour avec justesse le lyrisme mélodique et les grandes articulations du discours pianistique et orchestral. 

Le Poème symphonique pour piano et orchestre op. 43b de Peter Benoit est en fait un volet de deux œuvres composées en 1865, partitions qui se complètent, l’autre étant un Concerto pour flûte et orchestre op. 43a. Quatre ans auparavant, Benoit terminait son opus 34, cinq recueils de Contes et Ballades pour piano seul, sous l’inspiration de légendes populaires flamandes et, après achèvement des deux « poèmes symphoniques/concertos », il estimait que ces trois œuvres formaient un triptyque qui devait idéalement être joué ensemble. On sait que Benoit, après des études au Conservatoire de Bruxelles, fut récompensé par un Grand Prix de Rome en 1857 (il avait alors 23 ans) et entreprit un voyage qui le mena en Allemagne et en Bohème, puis en France où, de 1859 à 1863, il fut chef d’orchestre du théâtre des Bouffes Parisiens. On sait aussi que, revenu en Belgique, il s’établit à Anvers où il installa le Conservatoire Royal flamand de musique. Dans ce Poème symphonique, Benoit évoque en trois parties le château de sa ville natale, Harelbeke. La Ballade initiale est une scène nocturne autour des ruines, avec de grands développements virtuoses qui rappellent Weber ; le climat tragique domine, comme une plainte douloureuse. Dans le Chant des Bardes, le second mouvement, Benoit déploie une mélodie noble et nostalgique qui parle de la grandeur du passé et des personnages vénérables qui ont peuplé le château. Un Scherzo qui porte le titre de « Chasse fantastique » lance ensuite un cortège sauvage avec un ciel de tempête que des cors et le tambour accompagnent, dans un climat proche de Berlioz. Benoit reprend dans son thème principal une chanson flamande « Daar kwam een muis gelopen » et donne une allure de plus en plus tragique et fortement rythmée à son poème/concerto dont le Final éloquent et grandiose se confond avec la disparition du château. Peter Benoit, excellent chef d’orchestre, dirigea sa partition à maintes reprises avec Arthur De Greef, qui y apporta quelques variantes que le compositeur approuva. Dans le cas présent, Howard Shelley a choisi la version originale dont il donne une vision colorée et épique, dans un geste large et héroïque. 

Ce CD est le bienvenu pour mieux connaître notre patrimoine national et en particulier cette période romantique dont bien des trésors attendent d’être ressuscités. On admettra qu’il ne s’agit pas de chefs-d’oeuvre, mais ces partitions montrent que, dans le contexte musical du XIXe siècle, la Belgique avait des compositeurs de grand talent qu’il serait nécessaire de documenter plus abondamment. Ce serait tout aussi nécessaire pour des pans entiers de notre musique, XXe siècle compris ! Pour ceux qui ont envie de découvrir sur le même CD le concerto pour piano et le concerto pour flûte de Peter Benoit, rappelons que le label Naxos en a proposé une version en 1995, par le Royal Flanders Philharmonic Orchestra dirigé par Frédéric Devreese. Luc Devos tenait la partie de piano, Gaby Van Riet celle pour flûte. Cette écoute est intéressante : on saisit mieux la logique du projet du compositeur, d’autant plus que les deux solistes sont impeccables et que le programme propose en plus une ouverture, Le Roi des Aulnes, qui date de 1859, dans un style proche de Weber, pour lequel Benoit éprouvait une grande admiration.

Son : 8.  Livret : 9.  Répertoire : 8.  Interprétation : 9 

Jean Lacroix  

 

 

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