Le poète parle...

par

0126_JOKERRobert Schumann (1810 - 1856)
Variationen & Fantasiestücke
Abegg-Variationen op. 1, Fantasiestücke op. 12, Fantasiestücke op. 111, Variations en Mi bémol majeur "Geistervariationen"
Andreas Staier (piano Erard, Paris 1837)
2014-59'52''-Textes de présentation en français, anglais, allemand-Harmonia Mundi HMC 902171
Cet album est le troisième que consacre le pianiste à Robert Schumann. Il ne nous a pas habitués à des programmes élaborés à la légère. Cette fois, il propose desvariations et des pièces de fantaisie du "premier" et du "dernier" Schumann, des oeuvres composées à un peu moins d'un quart de siècle d'écart puisque les Variations Abegg op. 1 datent de 1830 et les Geistervariationen de 1854, ces dernières ayant fait couler beaucoup d'encre. Mais elles sont particulièrement poignantes quand on sait que c'est pendant leur composition que Schumann se jeta dans le Rhin avant d'être interné à l'hôpital psychiâtrique d'Endenich dans la périphérie de Bonn (Bonn aujourd'hui). "Variations des Esprits"... Clara raconte que Robert entendait des voix tantôt d'anges, tantôt de démons sur lesquelles il composa cinq variations. Pour sentimentale qu'eut leur valeur, Clara s'opposa toutefois à leur publication, Brahms n'en publia que le thème dans l'édition des oeuvres complètes de son ami (il composa lui-même des Variations pour piano à 4 mains sur le "thème des esprits", dédiées à Clara et Julie Schumann qui les jouèrent en concert). C'est n'est qu'en 1939 que parut, des Gestervariationen, une version différant du texte original à maints égards; une édition Henle parue dans les années 2000 recourut enfin à la partition autographe de Schumann -détenue par un particulier et cédée à l'éditeur sous forme de fac-simile- et à la mise au net d'une copie de Dusseldorf en 1855. Pour d'autres commentateurs, le "Thème des esprits" était la voix de Schubert tellement apprécié par Schumann. Les voix ne parlant plus, on ne connaîtra pas le fin mot de l'histoire. Mais qu'elle vienne d'un ange ou de Schubert, peu importe puisque les deux finalement ne font qu'un ! Et c'est un thème qui inspira le Schumann de la fin puisqu'on le retrouve dans d'autres oeuvres de l'époque comme le Concerto pour violon ou la deuxième des Fantasistücke op. 111 reprises ici. 
Mais revenons à l'ensemble du programme repris ici : l'opus 1 en fa majeur, déjà placé sous le signe du fantasieren cher au compositeur, suivi, dans un beau glissement de tonalités, vers le Ré bémol Majeur des huit Fantasiestücke opus 12 de 1837. Suivent les trois Fantasiestücke op. 111 de 1851 rappelant à de multiples reprises l'opus 12 mais dans un énoncé plus elliptique et où l'on retrouve aussi des atmosphères de l'Oiseau Prophète des Scènes de la Forêt  (op. 82, 1849) auxquelles s'ajoutent les fameuses Geistervariationen à l'égard desquelles on peut comprendre l'attitude de Clara : un thème et quatre variations en mi bémol majeur mesure 2/4, seule l'avant-dernière variation recourt au sol mineur, mais toujours en 2/4; le compositeur semble chercher, tester, travailler,... comme le ferait un bon élève...
Retrouvons maintenant Andreas Staier à l'oeuvre dans Schumann. Il semble avoir bien présente à l'esprit l'ambition du compositeur qui écrivait dans le journal qu'il avait fondé, la Neue Zeitschrift für Musik, vouloir "préparer une nouvelle ère poétique et contribuer à l'accélération de sa venue". Totalement investi de cette nouvelle ère poétique, le pianiste en traduit le fantasieren par ses justes rubati lovés dans une rythmique très précise, une extraordinaire clarté de jeu où il fait vivre les tempi, les subtiles modulations, les allures campagnardes de l'Humor, les mystérieux silences des points d'orgue; les phrasés se disent tout naturellement et cette vision tellement "juste" de la musique est servie par le fruit goûteux d'un superbe piano Erard de 1837 issu de la collection d'Edwin Beunk. Si on est d'entrée un peu dérouté par la sonorité d'époque, cela ne dure que quelques mesures. A la fin, on se demande si on pourrait encore écouter Schumann sur un grand Steinway ! Oui, bien sûr, mais ici, la passion m'emporte. A écouter absolument !
Bernadette Beyne

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 9 - Interprétation 10 

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