Le Printemps des Arts 2024 : Strauss en ouverture
Le Printemps des Arts fête ses quarante ans cette année à l’occasion de la troisième édtion sous la direction de Bruno Mantovani. Le motto de cette année 2024 est "ma fin est mon commencement".
Le premier concert symphonique avec l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo est entièrement consacré à Richard Strauss avec deux œuvres de jeunesse Aus Italien et Don Juan en relief avec les Quatre derniers Lieder, l’une de ses dernières compositions.
A cette occasion, c’est Fabien Gabel, un habitué de l’OPMC qui est au pupitre. Aus Italien op.16 est une curiosité. Cette Fantaisie symphonique en quatre tableaux évoque les sensations suscitées par la vue et les magnifiques beautés de Rome et de Naples. On sourit en entendant le dernier mouvement car Richard Strauss croyait avoir trouvé un air populaire napolitain, alors que Funiculi funicula est une chanson publicitaire composée en 1880 par Luigi Denza. Fabien Gabel et l'OPMC. donnent une performance absolument délicieuse de cette charmante œuvre.
Le poème symphonique Don Juan est composé dans la foulée deux ans plus tard. Strauss est inspiré du drame de Nikolaus Lenau. C'est un portrait fougueux, langoureux et tragique du héros qui donne dans le grand orchestre spectaculaire. Les premières minutes sont conquérantes, emportées par l'OPMC rutilant, sur un tempo emporté au panache. Un thème planant qui s'élève facilement au-dessus de tout caractérise Don Juan comme un amant narcissique. D'impressionnantes peintures sonores, interrompues à plusieurs reprises par des moments de désillusion, retracent les différentes amours : d'un engouement juvénile à une grande scène d'amour romantique dans un élan sonore à la Tristan et Isolde. La phalange monégasque verse dans la partition une liqueur de feu, la mixture enchantée de ses cordes, de ses bois et de ses cuivres, à mesure que Fabien Gabel ordonne la pâte, lui intime urgence, flamboiement, noirceur vénéneuse. Jusqu’au dénouement morbide. C’est terriblement prenant. Tous les instruments sont mis en valeur. Les cordes graves, suivie de soupirs de délice de la flûte -culminant dans une sensualité apparemment parfaite de tendresse entre hautbois et violoncelles. Liza Kerob au violon incarne l'éternel féminin. Fabien Gabel dirige avec passion, enthousiasme et intensité.
Changement de ton et de style avec Les Vier letzte Lieder représentant le testament musical du compositeur. C'est la jeune soprano arménienne Ruzan Mantashyan qui interprète le cycle pour la première fois. Elle a une très belle voix, puissante et colorée, elle déploie une musicalité instinctive et sereine qui nous touche. Elle suit avec une admirable justesse les phrases sinueuses typiques du chant de Strauss, qui changent de tonalité à tout moment. L'émotion est constante même si ce répertoire, tant concert qu’au disque, est bardé d’immenses performances. L'orchestre sonne presque comme un des grands orchestres germaniques sous la direction attentive de Fabien Gabel. Un trésor !
Monte-Carlo, Auditorium Rainier III, 14 mars 2024
Carlo Screiber
Crédits photographiques : Stéphane Bourgeois