Une saison particulière pour l’OSR

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L’année 2018 doit être marquée par une pierre blanche. Il y a cent ans, Ernest Ansermet fondait l’Orchestre de la Suisse Romande. C’est pourquoi le mois de novembre fera figure d’événement, car sa dernière semaine comportera trois concerts commémoratifs.

L’ouverture des feux a eu lieu hier soir, mercredi 3 octobre. Jonathan Nott, son directeur musical et artistique, a décidé de juxtaposer une brève page d’Anton Webern et deux grandes œuvres de Johannes Brahms, ce qui, une fois de plus, traduit l’éclectisme de ses choix. Le compositeur viennois est rarement présent dans les programmes ; et le chef a opté pour les Six pièces pour orchestre op.6 ne durant qu’une douzaine de minutes mais supposant un effectif instrumental énorme, même si dans la révision de 1928, utilisée ici, le nombre de pupitres est réduit de moitié. Dès le Etwas bewegt initial, surprend cette recherche de coloris qui passe d’une flûte au phrasé évanescent à un cor et à une trompette dans le grave. A un animato aux contrastes violents, s’enchaîne une section de quelques mesures dont l’alto et la clarinette chantent la nostalgie. Puis le pianissimo de la grosse caisse laisse entrevoir un magma d’où émergeront les cuivres bouchés qui, peu à peu, cèderont la place à une marche funèbre ponctuée de puissants accords culminant sur un crescendo tragique qui se diluera en une élégie désabusée.

Le contraste avec ce qui suit est évidence, puisqu’apparaît le Brahms crépusculaire du Double Concerto en la mineur op.102 datant de 1887. Les solistes en sont Svetlin Roussev, le premier violon solo actuel de l’OSR, et le jeune violoncelliste madrilène de vingt-sept ans, Pablo Ferrandez qui, à la suite du tutti initial, exhibe une ample sonorité en une cadence d’une extrême liberté, à laquelle répond le violon, plus intériorisé ; leur premier ensemble révèle d’emblée une heureuse complicité, si rare chez les artistes de renom. La phalange orchestrale laisse alors se répandre une houle sonore empreinte de passion, suscitant chez l’un des traits à l’arraché, chez l’autre, un cantabile expressif. L’Andante revêt ensuite la généreuse noblesse d’un duo à l’octave dont le violoncelle dégagera la connotation tragique, avant que n’apparaisse un Vivace non troppo conclusif à l’effervescence toute tzigane.

Jonathan Nott achève son programme par la Première Symphonie en ut mineur op.68 que Brahms élabora en plus de vingt ans entre 1855 et 1876. Avec un effectif important comportant notamment douze premiers et douze seconds violons, le discours se veut d’abord péremptoire puis se morcelle en coloris véhéments opposant désespoir lancinant et énergie vrombissante. L’Andante sostenuto prend ici une retenue que le hautbois magnifie par la fluidité de son chant ; les phrasés s’étirent pour privilégier l’avancée des bois sur fond de cordes graves, ce qui conférera une candeur toute pastorale au troisième mouvement. Le Finale fait sourdre une angoisse que le pizzicato pianissimo des cordes exacerbera jusqu’à l’avènement du legato souverain dominant le motif de choral dont la baguette accentuera la dynamique pour parvenir à une stretta virulente, que le public applaudit à tout rompre.

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 3 octobre 2018

Crédit photographique : Pierre Abensur

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