Le Quatuor Casal dans un "monde de Beethoven" plein d’attrait, mais inégal

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 « Le monde de Beethoven 1799-1851. Le révolutionnaire et ses rivaux. » Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Quatuor N° 1, Op. 18 N° 1 ; Quatuor N° 9, Op. 59 N° 1 ; Quatuor N° 16, Op. 135 – Adalbert Gyrowetz (1763-1850) : Quatuor Op. 47 N° 3 – Joseph Haydn (1732-1809) : Quatuor Op. 77 N° 1 – Luigi Boccherini (1743-1805) : Quatuor Op. 64 N° 1 – Peter Hänsel (1770-1831) : Quatuor Op. 20 N° 4 – Gaetano Donizetti (1797-1848) : Quatuor N° 17 – Franz Schubert (1797-1828) : Quatuor N° 14, D. 810, « La jeune fille et la mort » – Felix Mendelssohn Bartholdy (1809-1847) : Quatuor N° 2, Op. 13 – Robert Schumann (1810-1856) : Quatuor N° 3, Op. 41 N° 3 – Carl Czerny (1791-1857) : Quatuor N° 28. Quatuor Casal. 2017-2019. 73’08 + 75’15 + 80’20 + 58’19 + 24’50. Livret en anglais et en allemand. 5 CD Solo Musica. SM 283.

Le Quatuor Casal (qu’il faudrait écrire casalQuartett) vient de Zurich. Il ne faut pas le confondre avec le Quatuor Casals (ou plutôt Cuarteto Casals), de Barcelone, qui vient lui aussi d’honorer Beethoven au disque avec une intégrale de ses quatuors à cordes.

Le propos, ici, est de replacer les quatuors de Beethoven dans leur contexte. Nous devions déjà au Quatuor Casal « La naissance du quatuor à cordes », en deux volumes (d'abord Alessandro Scarlatti, Giovanni Battista Sammartini, Wolfgang Amadeus Mozart, Wassilij Brandt, Luigi Boccherini et Joseph Haydn en 2009, puis Georg Philipp Telemann, Louis Gabriel Guillemain et à nouveau Mozart et Haydn en 2011). Avec ce coffret de 5 CD, intitulé « Le monde de Beethoven 1799-1851. Le révolutionnaire et ses rivaux. », ils poursuivent donc très largement l’aventure, puisqu’au-delà de Beethoven ils abordent aussi ses successeurs.

Ce coffret est présenté par un livret de 112 pages, avec une riche iconographie. Nous devons l’ensemble, graphisme et conception artistique compris, à l’altiste du Quatuor Casal, Markus Fleck (à noter que son frère, Andreas, en est le violoncelliste, et qu’il constitue avec Malgorzata Albinska-Frank l’équipe technique de l’enregistrement). Le texte est très documenté. Trop ? Il peine à clarifier le projet précis de cet enregistrement très ambitieux. Il y a par exemple beaucoup de données biographiques sur les compositeurs, notamment dans le domaine de leurs relations amoureuses, dont le rapport avec le propos global n’est pas toujours évident. Quelques maladresses dans la mise en page n’aident pas non plus (il y a du reste plusieurs coquilles, à différents niveaux – tags, plagination, ordre des œuvres, cohérence des polices de caractère – qui donnent une impression de manque de rigueur éditorial). Le texte (malheureusement seulement en allemand et en anglais) n’en demeure pas moins fort intéressant, et nous permet de découvrir quelques compositeurs dont on ne parle pour ainsi dire plus (en tout cas comme créateurs de quatuors à cordes), et qui font ici l’objet de premiers enregistrements mondiaux : Adalbert Gyrowetz (1763-1850), Peter Hänsel (1770-1831) et Carl Czerny (1791-1857).

Le premier CD est consacré à l’année 1799, celle des premiers quatuors de Beethoven. Si Gyrowetz est presque complètement oublié de nos jours, il avait une certaine réputation de son vivant. Il a écrit une soixantaine de quatuor à cordes. Celui en ré majeur, Op. 47 N° 3, a sans doute été choisi parce que son thème initial pourrait venir de Beethoven. Quoi qu’il en soit, voilà une œuvre que l’on pourrait croire signée de Haydn, avec lequel il a du reste été plusieurs fois confondu, parfois volontairement (certaines de ses œuvres étaient jouées ou imprimées sous le nom plus vendeur de son illustre aîné). Le Quatuor Casal, malgré quelques accidents de justesse, surtout du côté du violoncelle (dont la partie est, il faut reconnaître, extrêmement difficile) est ici tout à fait à son affaire (et sans concurrence, puisqu’il s’agit d’un premier enregistrement mondial), tout comme dans les deux autres quatuors de 1799, parmi les plus connus de Haydn (en sol majeur, Op. 77 N° 1) et de Beethoven (en fa majeur, Op. 18 N° 1), avec des mentions spéciales pour le finale du premier, alerte et vivace sous leurs doigts véloces, et pour le mouvement du second, diaphane et délicat sous leurs légers archets.

Le deuxième CD nous emmène en 1806, année du triptyque Opus 59 de Beethoven qui constitue une bonne partie de sa période dite médiane. Cette année-là venait de voir naître le dernier des 91 quatuors de Boccherini ; il allait par la suite exceller dans 113 quintettes à cordes, sans doute plus personnels. Son quatuor en sol majeur, Op. 64 N° 1, comme toute sa musique, ne manque ni de charme ni se sensibilité, et le Quatuor Casal, sans chercher à lui inventer une dimension qu’il n’a pas (c’est d'ailleurs le seul des treize ouvrages de ce coffret à n’être qu’en trois mouvements au lieu de quatre), y est irréprochable. Suit l’un des 58 quatuors (dont pas un seul n’avait enregistré jusque-là) de Hänsel : celui en ré majeur, Op. 20 N° 4. Il est étonnant que ce compositeur, au parcours assez cosmopolite, soit à ce point oublié aujourd'hui. Voilà une œuvre qu’on écoute avec grand plaisir, variée, équilibrée ; de celles dont on se dit qu’à défaut d’être un chef-d'œuvre comparable à tous ceux qui ont été écrits avant, pendant et après, et dont ce coffret nous donne un aperçu, nous avons là un bien bel ouvrage, que nous pouvons apprécier, à ce titre, d’autant sans réserve que l’interprétation en est impeccable. Le CD se termine donc avec Beethoven, et son quatuor en ut majeur, Op. 59 N° 3, qui semble choisi, d’après le texte de présentation, pour être le plus accessible de la série. Il n’empêche qu’il y a bien sûr un monde avec Boccherini et Hänsel, monde que l’interprétation ne souligne pas assez. Les trois premiers mouvements manquent de contrastes, de mystère, de grâce, et si le finale, pris à un tempo spectaculaire, ne manque pas de panache, on y retrouve les (relatives) faiblesses des mouvements précédents (y compris quelques maladresses techniques), et il finit par s’essouffler quelque peu. 

Logiquement, le troisième CD est daté de 1826, année du dernier quatuor de Beethoven. Pour illustrer le débat qui faisait alors rage entre d’une part les héritiers de Haydn et leur exigence formelle, et d’autre part les partisans de Rossini et de sa recherche d’un plaisir plus immédiat, le Quatuor Casal a choisi l’un des 18 quatuors de Donizetti : le N° 17, en ré majeur. Si les jolies idées ne manquent pas, en particulier dans le très lyrique Larghetto, nous avons du mal à être captivés de bout en bout, malgré une interprétation remarquable, sensible, chantante et subtile. La comparaison est cruelle avec ce qui suit : le tout dernier quatuor de Beethoven, donc, celui en fa majeur, Op. 135, qui nous emmène dans un monde où les idées venues d'ailleurs fusent avec une concentration et une densité stupéfiantes. Le Quatuor Casal est ici plus à l’aise que dans le très symphonique Op. 59, mais s’il trouve de bien belles couleurs, leur approche assez consensuelle reste cependant un peu frustrante, par manque de radicalité et même, parfois, de rigueur. Il était incontournable de convoquer ici Schubert, et en particulier l’un de ses trois derniers quatuors. Le choix a été fait de celui en ré mineur, D. 810, dit « La jeune fille et la mort ». Le texte nous dit que le compositeur a écrit ici « son œuvre la plus noire, la plus abyssale et la plus désespérée ». Ce n’est pourtant pas ce que nous ressentons à l’écoute de cette interprétation, qui reste bien pondérée... Pourquoi n’avoir pas choisi le tout à fait contemporain quatuor en la mineur, D. 804, dit « Rosamonde » ? Outre qu’il donnait à entendre un aspect de Schubert peut-être plus personnel, moins influencé par Beethoven (et, puisqu’il est question dans cette anthologie de ses « rivaux », n’était-ce pas aussi pertinent ?), son côté plus intime et pudique auraient probablement très bien convenu au Quatuor Casal, qui a toutes les qualités pour mettre ces caractéristiques en valeur. 

Les quatrième et cinquième CDs nous font entendre les « héritiers » de Beethoven. Tout d'abord Mendelssohn, avec le deuxième de ses 7 quatuors, celui en la mineur, Op. 13, un coup de maître écrit en 1827, dans les mois qui ont suivi la mort de Beethoven, par un compositeur de seize ans. L’influence des derniers chefs-d’œuvre de l’aîné, que le jeune homme a alors beaucoup étudié, est évidente, mais c’est bien Mendelssohn que nous entendons, avec sa grâce, son désir de plaire, mais aussi son éloquence et son sens du drame. Et le quatuor Casal excelle en tout cela. Leur lecture délicate, élégante, fluide et légère fait ici merveille. Suit l’un des quatuors du triptyque écrit par Schumann en 1842 (largement inspiré par celui, Op. 44, que Mendelssohn avait composé quatre ans plus tôt), et qui restera sa seule participation au genre : celui en la majeur, Op. 41 N° 3. Les interprètes y font preuve des mêmes qualités... mais Schumann n’est pas Mendelssohn. Il nous manque l’incandescence, la fébrilité, l’instabilité qui rendent cette œuvre aussi personnelle et bouleversante. Et enfin, l’un des 30 à 40 quatuors de Czerny : le N° 28, en la bémol majeur. De tous les compositeurs enregistrés dans ce coffret, il est sans doute celui qui a le plus côtoyé Beethoven. Et ce quatuor date de 1851, un quart de siècle après la mort du maître vénéré. À son écoute, nous avons pourtant l’impression d’entendre ce qui aurait pu être produit alors si Beethoven s’était arrêté de composer un quart de siècle avant sa mort... C’est peut-être, ceci étant, l’intérêt de terminer ainsi ce coffret ? Intéressant, certainement, mais tellement en-deçà de tout ce qui a précédé... Il s’agit d’un premier enregistrement, dont l’interprétation est tout à fait réussie. On sent le Quatuor Casal parfaitement à l’aise avec cette écriture très classique, et notamment une partie de premier violon souvent dominante, très chantante, parfois virtuose. Ils mettent bien en valeur ce qui fait les qualités de cet ouvrage qui, pour autant, ne pouvait être transformé en chef-d'œuvre.

Ce projet a le grand mérite de nous faire découvrir des œuvres très peu connues, dans d’excellentes interprétations, mais aussi la faiblesse de nous proposer de très célèbres chefs-d’œuvre moins convaincants. Il reste cependant à saluer, pour l’énorme travail réalisé, globalement de très haut niveau. Ce Quatuor Casal est à suivre avec attention, tout particulièrement dans le répertoire classique ou directement influencé par ce qu’il représente d’équilibre, de finesse et d’élégance.

Son : 7 – Livret : 8 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8

Pierre Carrive 

 

 

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